Le président des États-Unis Donald Trump, en chef autoritaire, s’est adressé aux citoyens américains en les exhortant dans un discours :
« On n’abandonnera jamais, on ne concédera jamais […] Vous devez vous préparer à vous battre […] Nous allons marcher sur le Capitole ! […] Vous devez montrez votre force. Vous devez être fort ! … »
Ses partisans les plus loyaux, encouragés depuis des semaines par les tweets du président, vont le prendre au mot et envahir le Capitole le 6 janvier pour tenter de renverser le résultat de l’élection présidentielle.
Donald Trump est un génie des nouveaux médias, c’est indéniable. Ses opinions et croyances sont diffusées en masse depuis des années et fleurissent de plus en plus sur les nouveaux moyens de communication en ligne. On peut légitimement argumenter que cette habile utilisation médiatique a conduit un magnat de l’immobilier, star de télé-réalité, à la fonction suprême d’une superpuissance mondiale.
Il utilise parfaitement la plate-forme Twitter, véhicule incontournable de l’information virale. Cependant, après les événements du Capitole, le réseau social empêche définitivement l’accès de sa plate-forme au président des États-Unis. Le pays du premier amendement, leader du monde libre, assiste donc à la censure technologique de l’homme d’État le plus puissant du pays.
Une réaction progressive de Twitter
Twitter a procédé progressivement. Depuis quelques semaines, la plate-forme tente de réguler les propos de Donald Trump en affichant des messages d’avertissements, de vérifications ou encore des messages d’explications sur le procédé électoral américain sous les publications du président américain. Le réseau social va ensuite masquer totalement les tweets du président contestant le résultat de l’élection.
De surcroît après les événements du Capitole, la plate-forme a réagi plus drastiquement : le compte est temporairement suspendu. Quelques heures plus tard, Donald Trump retrouve l’utilisation de son compte, puis, ne pouvant plus empêcher ses impulsions accentuées par ce sevrage forcé, a rapidement posté des tweets en qualifiant de patriotes ses électeurs et en étalant son manque total de fair-play en précisant qu’il n’assistera pas à l’investiture du quarante sixième président des États-Unis, Joe Biden. Tweets relativement modérés de la part du président. Cependant la plate-forme analyse et juge ces derniers tweets comme une incitation anti-démocratique et clôture définitivement le compte en prenant appui sur leurs CGU, Conditions Générales d’Utilisation.
« Nous avons estimé qu’ils étaient susceptibles d’encourager et d’inspirer des personnes à reproduire les actes criminels qui ont eu lieu au Capitole américain le 6 janvier 2021 », indique Twitter.
Les autres plate-formes ne tarderont pas à suivre : Facebook, Youtube, Twitch, Snapchat notamment, bannissent le président américain.
Une situation chaotique analysée du point de vue des réseaux sociaux
Donald Trump, avide utilisateur des réseaux sociaux, réunit à la fois le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information du fait de sa fonction de président. Ce n’est donc pas un simple utilisateur pour une entreprise du numérique. Pourtant sur Twitter ou Facebook, il est soumis comme chaque utilisateur aux CGU d’une compagnie privée.
Les CGU d’une plate-forme représentent l’arme la plus puissante du réseau social sur les utilisateurs. On peut même s’avancer en disant que pour certains réseaux sociaux, en lumière des nombreux procès, la loi n’est pas nécessairement la priorité dans la rédaction des CGU.
Les CGU permettent de modérer, changer ou supprimer le contenu posté qui n’est pas en accord avec la vision de l’entreprise. C’est grâce à ses conditions générales qu’un réseau social peut supprimer des contenus violents, racistes ou pornographiques. Un réseau social peut aussi gérer, sans obligation légale de neutralité ou de pluralisme, sa communauté d’utilisateur. Beaucoup de commentateurs considèrent aujourd’hui que si l’on est en désaccord avec les règles privées des plate-formes, il suffit d’en changer. Il est pourtant de plus en plus difficile de nier le rôle de ces entreprises du numériques dans nos procédés démocratiques et l’utilisation des réseaux sociaux les plus prisés garantissent une visibilité inégalée dans l’histoire du monde.
Aux États-Unis, ces entreprises du numérique doivent concilier le premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d’expression avec la Section 230 d’une loi de 1996 du « Communications Decency Act » qui établit l’irresponsabilité et l’immunité des plate-formes sur le contenu illicite posté par ses utilisateurs.
Dans cette tendance mondiale de propagation de l’information décomplexée, Il s’agissait de trouver le bon moment pour utiliser les CGU du réseau social et réguler les propos du président.
Pendant la durée de son mandat, Donald Trump a bénéficié d’une absence totale de modération de la part de Twitter en raison du point de vue de la plate-forme sur l’importance de sa fonction. Donald Trump utilise Twitter depuis des années de façon virulente notamment pour insulter ses opposants. Parmi une multitude d’autres exemples de recours aux insultes : le 9 février 2019, il donne le surnom de « Pocahontas » à Elizabeth Warren, son adversaire à la présidentielle, en raison de ses origines amérindiennes. Tweet qui n’a entraîné aucune censure ni mesure de la part de Twitter. Il fallait prôner la liberté d’expression la plus totale afin d’éviter que Donald Trump s’intéresse de plus près aux CGU et remette en cause la Section 230, ce qui aurait obligé les plate-formes à contrôler activement le contenu, à engager des frais supplémentaires sur la modération et éventuellement répondre devant la justice d’un rôle dans la diffusion massive d’informations illicites car ils se seraient retrouvés responsables de tout propos inscrits sur leur sites.
Le président qui bénéficie de cette Section 230 tout les jours pour s’exprimer sans modération, finira par signer tout de même son abrogation par décret présidentiel en mai 2020. Il considérait que trop de contenus républicains étaient modérés par Twitter. Il avait annoncé par la suite qu’il s’efforcerait de faire adopter une loi pour modifier ou supprimer cette section.
Cette section abolie, les réseaux sociaux seraient alors devenus responsables en tant qu’éditeurs. Les plate-formes auraient dû filtrer le contenu activement ce qui paradoxalement aurait participé à la suppression de beaucoup de contenus républicains. Les réseaux sociaux auraient donc eu beaucoup de pouvoir sur la modération du contenu en ligne et sur la liberté d’expression dans le monde.
Cependant l’influence de Donald Trump n’est plus la même en janvier 2021. Le décret n’est pas appliqué en pratique. Après l’invasion du Capitole, la situation a changé. Cinq personnes ont perdu la vie et beaucoup ont pointé du doigt le rôle des réseaux sociaux dans cette attaque anti-démocratique. Le président américain a échoué aux élections, en outre à quelques jours de la fin de son mandat, il perd publiquement de plus en plus d’alliés.
Les réseaux sociaux peuvent donc utiliser leurs pleines puissances sans crainte d’un second mandat imminent du président Trump.
Un dilemme se présentait alors : en retirant le compte du président trop tôt, ils auraient été accusés de prendre parti avec ses opposants politiques.
En retirant trop tard, on les auraient tenus complices d’éventuelles violences.
Le but étant, pour tout réseau social dans cette situation particulière, de rester le plus neutre possible, et surtout, de garder une bonne réputation auprès du public, afin de conserver leur immunité et éviter un contrôle étatique plus strict.
Ils choisissent donc d’empêcher Donald Trump de s’exprimer sur leurs plate-formes.
Cette période inédite invite le monde entier à réfléchir sur le statut et la régulation des plate-formes sur internet.
Qui aurait pu imaginer que des plate-formes de partage de contenus puissent devenir plus puissantes que des nations souveraines ?
Cela fait maintenant des années que les informations circulent à une vitesse folle sur internet. Les problématiques engendrées par la circulation de l’information ne sont pas nouvelles, elles ont simplement été décuplées et exacerbées. La régulation du contenu sur internet est débattue depuis des années, d’importants procédés de régulation et de modération des plate-formes ont été mis en place. Dans l’Union européenne, un réseau social doit agir une fois que le contenu lui a été préalablement signalé et, si celui-ci est manifestement illicite, il doit être retiré promptement.
On peut noter que le droit existant protégeant la liberté d’expression et réprimant son utilisation abusive n’a pas disparu, il est simplement mal adapté pour être appliqué efficacement et rapidement sur internet.
Kate Ruane de l’ACLU, l’Union Américaine pour les Libertés Civiles nous énonce : « Nous comprenons le désir de suspendre (le président), mais tout le monde devrait s’inquiéter quand ces entreprises ont le pouvoir de retirer des personnes de leurs plate-formes qui sont devenues indispensables à l’expression de milliards d’individus ».
Les libertés fondamentales dont nous disposons tous doivent être garanties, que ce soit sur la place publique ou sur internet.
Une refonte mondiale de la régulation applicable nécessaire
Un réseau social ne devrait plus avoir le pouvoir exclusif et régalien de décider si un président d’une nation souveraine puisse être ou ne pas être toléré sur la plate-forme.
On ne peut plus dire aujourd’hui que Twitter et Facebook ne sont que des simples entreprises privées qui peuvent décider de tout sur leurs plate-formes. La portée mondiale de ces nouveaux forums publics ne peut pas se contenter de clauses contractuelles californiennes. Les libertés fondamentales doivent retrouver leurs forces au sein des réseaux à l’international.
Nos droits et libertés ne doivent pas être en dessous de quelconques clauses des géants du numérique.
Le commissaire européen Thierry Breton demande d’ailleurs un contrôle démocratique des réseaux sociaux et se penche sur la modération du contenu :
« Cette réaction sans précédent des plate-formes en réponse aux attaques du symbole de la démocratie américaine laisse cependant perplexe : pourquoi n’ont elles pas réussi à bloquer plus tôt les fake news et les discours de haine qui ont conduit à l’attaque [du Capitole] »
En Europe, la directive sur le commerce électronique n’est plus adaptée pour régler ces problématiques fondamentales. Le Digital Services Act ( DSA ) et le Digital Markets Act ( DMA ), déposés par la Commission européenne le 15 décembre 2020, tentent de mettre fin à cette irresponsabilité des géants du numérique en luttant contre les contenus illicites en prônant une concurrence saine, ouverte et loyale.
Les réponses peuvent être nationales aussi. Le gouvernement polonais prépare un nouveau projet de loi pour limiter le pouvoir des réseaux sociaux. Dans ce projet de loi, les motifs de suppression de contenu ou de compte doivent être établis. Il prévoit la création d’un « conseil à la liberté d’expression » pour analyser les plaintes des utilisateurs de réseaux sociaux dont les contenus ont été supprimés. Ce nouveau cadre législatif exigera des grands acteurs mondiaux un respect de la loi nationale qui garantit les libertés fondamentales sur internet.
En France, le débat est très actuel. Dans le cadre de la loi Avia, le législateur a tenté, avec beaucoup de difficultés, de réguler la haine sur internet avec la création d’un observatoire de la haine notamment.
Ces vives problématiques sont loin d’être closes. Il faudra être attentif chaque jour pour trouver un contrôle démocratique et judiciaire efficace des grandes plate-formes du numérique.
Il s’agira aussi de négocier avec toutes ces plate-formes pour maintenir l’ordre public international sur internet. Nous pouvons évoquer une dérive flagrante avec le cas de la Chine. Le réseau social chinois Wechat qui revendique près d’un milliard de comptes dont les propos sont censurés avec des mots clés interdits comme par exemple le mot « Tibet » suite au récent conflit entre le Tibet et la Chine. La plate-forme permet de supprimer ce mot sans notifier l’utilisateur.
Les libertés fondamentales sur internet ne doivent pas être considérées comme totalement acquises, il s’agit d’un perpétuel combat.
Maxime Dannière
Sources :
– HABERMAN (M.), Trump Told Crowd « You Will Never Take Back Our Country With Weakness », 6 janvier 2021 ( https://www.nytimes.com )
– LOUETTE (P.), Trump banni des réseaux sociaux les politiques européens s’alarment, 11 janvier 2021 ( https://www.lesechos.fr )
– MANSOUR (J.), Donald Trump banni de Twitter, 9 janvier 2021 ( https://www.leparisien.fr )
– NASS (C-L.), CHAIGNE (T.), Qui sont les cinq morts du Capitole ?, 8 Janvier 2021 ( https://www.liberation.fr )
– NETTER (E.), Mieux réguler les réseaux sociaux » après l’assassinat de Samuel Paty ?, 21 Octobre 2020 / Après le bannissement de Trump, « make social networks great again », 11 Janvier 2021 ( https://enetter.fr )