Dans un contexte de mondialisation, les informations circulent plus librement, et à une échelle planétaire. La mondialisation et l’accès aux produits et services des autres pays a permis de développer des réseaux numériques permettant l’accès des citoyens à des sites étrangers, et ainsi, aux points de vue d’autres nations. Ce développement d’internet fait ressortir les passions communes aux personnes, mais aussi leurs divergences.
L’invasion du capitole a été un des déclencheurs de la prise de conscience générale de la nocivité des fausses informations diffusées en ligne, en dépit des différentes mesures prises par le gouvernement français afin de lutter contre les fausses informations.
Une première loi dite anti « Fake News » a vu le jour en décembre 2018 pour commencer à contrôler les fausses informations circulant sur internet. S’en est suivie la création du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM), créé par le décret n°2021-922 du 13 juillet 2021.
Les fausses informations devenant un sujet des plus préoccupants dans la société française, un état des lieux quant à leurs explications et leurs solutions se faisait ressentir, c’est tout l’objet du rapport de la commission Bronner publié en janvier 2022.
I. “Les lumières à l’ère du numérique“, une volonté d’omniscience quant aux fausses informations
Ce rapport a été initialement demandé par le président de la République Emmanuel Macron au travers d’une lettre de mission destinée à la Commission Bronner.
L’accent est posé sur la question de la dérégulation massive du marché de l’information, accélérée par le développement d’internet. Dans un contexte où les théories du complot relatives à la Covid-19 se diffusent à une vitesse vertigineuse, détournant l’unité de la nation face à cette pandémie, il revient aux différents acteurs du marché de l’information de chercher des solutions permettant un équilibre entre la préservation des libertés, notamment celle d’opinion, et préservation des intérêts des sociétés démocratiques.
Le rapport, dans son introduction, précise que les algorithmes façonnent notre rapport à l’information. En cherchant à capter l’attention de l’utilisateur en lui livrant des contenus favorisant la réaction, des schismes de pensée peuvent se former et des radicalismes d’opinion naître.
La nécessité d’un espace épistémique commun est mise en avant, pour cause, « aux États-Unis, certains citoyens vivent dans la même société mais pas forcément dans le même monde ». Cette diffusion de l’information n’est pas uniforme à tous les citoyens, certains vont avoir accès à certaines informations liées à un évènement, d’autres à des informations tout à fait différentes. Des paradigmes propres se forment, dénaturant la cohésion et l’unité sociale.
Les questions relatives à de telles perturbations dans la vie démocratique par l’univers numérique ont été les enjeux de cette commission, cherchant alors des voies de réflexion et de solutions conduisant un accès à des informations saines sur les réseaux numériques, sans créer pour autant d’ingérences juridiques dans les libertés d’expression et d’opinion des citoyens.
II. Des recommandations apportées pour une sanité sociale dans les débats dans l’univers numérique
Ce rapport se décompose en plusieurs chapitres traitant chacun d’aspects relatifs à la diffusion des fausses informations, avec des recommandations qui y sont attachées.
Les mécanismes psychosociaux de la désinformation sont abordés afin de mieux comprendre les raisons pour lesquelles les personnes peuvent croire aux fausses informations et théories du complot diffusées sur internet.
Un chapitre est consacré à la logique algorithmique qui, comme énoncé précédemment, participe à la diffusion de ces fausses informations, celles-ci ayant une résonance dans les débats et intéressant davantage les utilisateurs de par leur caractère surprenant.
L’économie des fausses informations rejoint le point précédent. Ces fausses informations se diffusant très rapidement intéressent grandement l’utilisateur qui cliquera plus facilement sur les liens et aura son attention captée par ces informations. Ainsi, les réseaux sociaux et sites d’informations (et de fausses informations) ont la capacité de gagner de l’argent par le biais des publicités déposées sur leurs sites, ce qui encourage d’autant plus la diffusion de ces informations nocives pour les sociétés.
Concernant une recherche juridique quant à cette problématique, le rapport de la commission demande d’encourager au niveau national et européen la mise en place de règles contraignantes imposées aux grandes plateformes qui visent, en particulier, les “fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public“.
Enfin, le dernier chapitre de ce rapport démontre que renforcer l’enseignement et l’esprit critique des utilisateurs a un intérêt majeur dans la création d’un univers numérique plus sain. A cette enseigne, l’esprit critique peut être défini comme la capacité à évaluer correctement les contenus et les sources des informations à notre disposition.
III. Un regard vers la recommandation de l’instauration d’un nouvel article dans la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN)
Le rapport rappelle avant toute chose que « diffuser une nouvelle qui se révèle partiellement ou totalement fausse n’est pas en soi, dans un système libéral, un acte répréhensible ».
En premier lieu, la commission prend en compte l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881. La base juridique s’y afférant, restreinte, mais solide, selon les termes du rapport, permet « de déterminer la frontière entre les excès de la liberté d’expression qui ne sont pas – en eux-mêmes – répréhensibles de ceux qui, au contraire, remplissent les conditions pour pouvoir être sanctionnés pénalement voire faire l’objet, le cas échéant, de mesures administratives contraignantes ».
A cela, le rapport propose la création d’un nouvel article dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique, nᵒ 2004-575 du 21 juin 2004 , engageant la responsabilité civile du diffuseur de mauvaise foi d’une fausse nouvelle préjudiciable, laquelle pourrait être rédigée comme suit :
Ce nouvel article permettrait la création d’une sanction civile proportionnée de la diffusion de fausses nouvelles. Celui-ci est d’autant plus intéressant qu’il prend en compte le préjudice porté à une personne physique, et se détache de la traditionnelle diffamation intégrée dans le droit de la presse.
En l’état des faits actuel, une législation pénale est déjà présente, mais celle-ci ne renferme qu’une lutte contre les fausses informations « risquant de troubler l’ordre public », donc risquant de troubler la société dans son ensemble. L’ajout d’un dispositif civil permettrait une lutte contre les fausses informations « risquant de créer un préjudice à une personne civile déterminée ».
Ainsi, ce dispositif permettrait un armement juridique clair permettant de protéger la société dans son ensemble, ainsi que les personnes la composant.
IV. Un optimisme à considérer dans la lutte contre les fausses informations
Le rapport Bronner peut être analysé au travers de trois aspects distincts : Lutte juridique contre la diffusion des fausses informations / Prise en compte du rôle des acteurs du numérique dans leur diffusion / Développement de l’esprit critique des utilisateurs quand à la réception de celles-ci.
Malgré cet état de fait optimiste, il reste encore des questions à se poser quant à la définition de ces fausses informations, notamment à se demander qui peut les qualifier comme telles. Les fausses informations concernant les ingérences étrangères sont les plus intéressantes dans ce cas de figure, un nouvel exemple d’actualité vient appuyer cette interrogation : le conflit se déroulant en Ukraine.
Du côté occidental, il est affirmé que la Russie veut envahir l’Ukraine ; du côté de la Russie, celle-ci affirme ne pas vouloir engager de conflit mais seulement essayer d’inhiber les risques et chercher un accord de paix. Ici aussi, la question des fausses informations peut se poser, dans un contexte géopolitique si particulier, qui croire ? Cet exemple est notamment étayé au travers de la démission d’un chef de la marine allemande après des propos affirmant que “dire que la Russie veut envahir l’Ukraine est une ineptie”.
Entre fausse information et divergence de point de vue, il n’y a qu’un pas. Le rapport précise bien que des paradigmes se forment dans les esprits des citoyens, il leur revient de chercher l’information la plus complète, de recouper les sources, dans un but de vérité. L’esprit des lumières se doit être diffusé à notre époque actuelle, un équilibre doit être pensé pour accéder à ce but.
Rapport de la Commission Gérald Bronner, en date de Janvier 2022.
Sources :
- Rapport Commission Bronner, janvier 2022.
- “L’impact de la dérégulation de l’information : la condamnation d’un partisan de Qanon“, Nicolas Forquignon, IREDIC, 30 novembre 2021.
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LOI n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
- “Viginum : Garde-fou d’une protection politico-numérique à l’aube des élections présidentielles, un regard vers le décret n°2021-1587 du 7 décembre 2021“, Théo Avila-Ponce, IREDIC, 21 janvier 2022.
- Horwtiz, J., Seetharaman, D. (26 mai 2020) «Facebook Executives Shut Down Efforts to Make the Site Less Divisive.» Wall Street Journal.
- Lai, E. R. (2011), «Critical thinking: A literature review», Pearson’s Research Reports, 6, pp.40-41
- CEDH, n° 5493/72, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, paragraphe 49
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“Crise en Ukraine : le chef de la Marine allemande démissionne“, France 24, 22 janvier 2022.