Conformément au programme du Président Emmanuel Macron lors des élections présidentielles, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public dès 2022 a été concrétisée. C’est la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative qui vient prévoir les modifications apportées aux différents textes organisant anciennement le recouvrement de la redevance, et notamment le Code général des impôts, à son article 6. Cette mesure s’insère dans la question du pouvoir d’achat des ménages, et de la lutte contre l’inflation en France.
La suppression de la redevance constitue une réelle question politique en raison des changements qu’elle apporte et des conséquences qu’elle provoque.
L’alignement de la France aux pays européens : la suppression d’une taxe perçue comme obsolète
Historiquement, la contribution à l’audiovisuel public (CAP), anciennement nommée redevance audiovisuelle, a été mise en place en 1933, d’abord pour les postes de radio, puis étendue aux téléviseurs en 1949 avec la loi du 30 juillet. Elle constituait une taxe importante à la contribution du financement des antennes de radios et chaines de télévisions publiques, qui s’élevait à une hauteur d’environ 85%. Ainsi, elle était payée par tous les contribuables propriétaires d’un poste de télévision et redevables de la taxe d’habitation et avait pour unique but de nourrir les sociétés de l’audiovisuel public.
Jugée « obsolète » par plusieurs personnalités publiques dont notamment le ministre chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, sa suppression a semblé s’imposer pour bon nombre de personnes.
Effectivement, d’une part, la taxe ne distinguait pas entre les revenus de chaque ménage, et était de ce fait identique pour tous. D’autre part, la détermination des personnes soumises au paiement de la contribution – fondée sur la détention de téléviseurs et le paiement de la taxe d’habitation – n’est plus adaptée au monde actuel. Cette inadaptation s’observe au regard de deux éléments. Dans un premier temps, en raison de la prolifération des écrans numériques autres que les téléviseurs, sur lesquels peuvent être regardés les programmes, et qui échappent alors à la redevance. Et dans un second temps, sur l’abandon de la taxe d’habitation, initié en 2020.
Le nouveau mode de financement de l’audiovisuel public : la Taxe sur la Valeur Ajoutée
Pour répondre à la suppression de la contribution, l’État entend financer l’audiovisuel public à travers la TVA. Par conséquent, elle sera payée par tous, sans discrimination. La part de la TVA pour 2022 s’élève à un montant identique à ce qu’il aurait été s’il avait été collecté au titre de la CAP, c’est-à-dire 3,7 milliards d’euros.
Cependant, ce nouveau mode de financement semble poser des difficultés.
Dans un rapport, commandé par Jean Castex, de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles sur la réforme du financement de l’audiovisuel public, publié le 20 juillet 2022, il est souligné à plusieurs reprises l’importance que représente l’indépendance des médias, et notamment financière, qui doit se fonder sur trois piliers : « l’adéquation des ressources aux missions, la prévisibilité des ressources et l’absence de gel infra-annuel ». Cependant, plusieurs personnalités ont évoqué le fait que le mode de financement choisi par l’État subirait le contexte économique, et que le budget pourrait par conséquent être modifié chaque année. Cela revient à dire que le montant alloué à l’audiovisuel public sera dépendant de l’action des ménages, et donc de l’économie nationale.
Cette observation est par ailleurs partagée avec l’économiste spécialiste des médias, Julia Cagé, qui dans un rapport sur les nouvelles formes de financement de la CAP, pointe du doigt le fait que le nouveau mode de financement, par sa sujétion au vote annuel de la loi de finances, n’est pas compatible avec la nécessité d’un « financement pérenne, pluriannuel et indépendant des cycles des majorités politiques », elle prône à cet égard une ressource affectée, à l’image des pays nordiques.
De plus, un autre problème intervient, celui-ci sur le plan technique. En 2025, la loi sur les finances publiques interdira que soient alloués les produits d’une taxe à des secteurs qui ne présentent aucun lien avec elle.
Une décision controversée : l’atteinte aux principes d’indépendance et de pluralisme des médias ?
Bien qu’acceptée à 170 voix contre 57, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public n’a pas fait l’unanimité, que ce soit de la part des députés ou des professionnels du milieu, qui ont pu considérer cette mesure comme une atteinte à l’article 34 de la Constitution, relatif à la préservation de « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » par le législateur.
Dans le but de s’y opposer, c’est le 28 juin 2022 qu’un mouvement de grève des employés des radios et télévisions publiques a eu lieu. Ces derniers ont soulevé la menace que la suppression de la redevance pourrait entrainer sur l’indépendance de l’audiovisuel public. Les syndicats ont, eux aussi, souligné l’impact qu’elle pourrait engendrer sur ces médias, qui seraient alors soumis « aux arbitrages et aux pressions politiques incessantes ».
Le pluralisme des courants d’expression socio-culturels constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Son respect est une condition de la démocratie (C. Const, 21 janvier 1994). Or, il est possible qu’à travers ce nouveau mode financement intégralement public, l’on puisse percevoir les opinions et tendances politiques du gouvernement en place.
En outre, les syndicats considèrent que le budget de l’audiovisuel public doit être stable et que de ce fait il serait préférable qu’il dispose « d’une ressource affectée, garantissant au mieux son indépendance économique et politique tant en termes d’information que de diversité culturelle ».
De plus, la question de l’indépendance de l’audiovisuel public, qui constitue elle aussi une « condition de la démocratie », comme le rappelle le député Alexis Corbière, a été soulevée lors du vote parlementaire. Cette difficulté a amené plus de soixante députés et soixante sénateurs à saisir le Conseil constitutionnel quant à la conformité de l’article 6 de la loi de finances rectificative.
Cependant, face à ces remises en question, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité de la loi de finances rectificative à la Constitution dans sa décision du 12 aout 2022. Il l’a toutefois assortie de réserves d’interprétation quant aux futurs choix du législateur sur le mode de financement choisi.
Ainsi, les conditions de financement de l’audiovisuel public choisies ne sont pas contraires à la liberté de communication telle que prévue par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dès lors que le montant des recettes attribuées aux sociétés de l’audiovisuel public et à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) ne leur empêche pas d’exercer leurs missions de service public, conformément à leurs dispositions statutaires.
Ainsi, le législateur doit agir de façon à ne pas « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel », c’est-à-dire la liberté de communication, qui comporte notamment la liberté de recevoir des informations pluralistes, dont l’indépendance concourt à la correcte mise en œuvre.
Pour résoudre l’ensemble des difficultés, des députés de la Nupes – coalition de partis politiques de la gauche française – proposent une taxation des géants du numérique, dont notamment les plus grosses plateformes en ligne que sont les GAFAM, pour financer l’audiovisuel public. Cette proposition est aujourd’hui en discussion par les députés Renaissance à la commission des affaires culturelles et, si elle aboutit, devrait voir le jour en 2025.
Sources :
Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 : https://circulaire.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046186661
Ministère de l’économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, economie.gouv.fr, Ce qu’il faut savoir sur la contribution à l’audiovisuel public, Bercy Infos, 23 aout 2022 : https://www.economie.gouv.fr/particuliers/contribution-audiovisuel-public
Ministère de l’économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, economie.gouv.fr, Suppression de la taxe d’habitation : un gain pour tous les contribuables, une compensation intégrale pour les collectivités, 16 octobre 2019 : https://www.economie.gouv.fr/suppression-taxe-habitation-gain-contribuables
Conseil constitutionnel, décision du 12 aout 2022 n° 2022-842 DC sur la conformité des dispositions relatives au financement de l’audiovisuel public : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2022842DC.htm
Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, rapport Réforme du financement de l’audiovisuel public, juin 2022 : https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2022/2021-M-071-03_Rapport_CAP_public.pdf
Julia Cagé, Rapport de l’économiste Une autre redevance est possible, Pour un financement affecté mais plus juste de l’audiovisuel public, juin 2022 : https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2022/06/redevance.pdf