Le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2022-1016 QPC du 21 octobre 2022 est venu enterrer les espoirs de la société WISH, car son déréférencement est bien maintenu. Les sages ont jugé conforme à la Constitution le a du 2° de l’article L.521-3-1 du code de la consommation permettant à la DGCCRF de prendre des mesures de déréférencement à l’encontre des sites d’e-commerce, sans que cela porte atteinte à la liberté de communication et d’entreprendre. Ce dispositif exceptionnel a été utilisé pour la première fois contre ladite Marketplace.
Bref rappel des faits :
Après une enquête de la DGCCRF en septembre 2020, de nombreux produits vendus sur le site étaient non conformes aux normes européennes et comportaient entre autres des produits contrefaits. Aussi le rapport de l’enquête révèle des pratiques de publicités mensongères et de concurrence déloyale.
Ainsi c’est dans ce contexte que la DGCCRF a notifié plusieurs fois le retrait des articles illicites, en demandant à la Marketplace WISH de se mette en conformité à la réglementation en vigueur. Observant qu’aucune amélioration de la plateforme de vente en ligne n’avait été relevée et, de surcroit, s’apercevant que les articles illicites réapparaissaient sous un autre nom, Le Ministre de l’Économie a mis en œuvre le fameux article du code de la consommation pour déréférencer l’adresse URL du site WISH. Il a par la suite enjoint Apple, Google et Microsoft de déréférencer l’adresse URL « wish.com » sur leurs moteurs de recherche ainsi que l’application « Wish » sur leurs magasins d’application.
Suite au déréférencement, la société « ContextLogic » (Wish) a saisi le juge des référés pour annuler la décision ministérielle mais a également déposé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le a du 2° de l’article L.521-3-1. Essuyant un double refus, la société s’est donc pourvue devant le Conseil d’État qui a fait droit à la demande d’une QPC. Le Conseil Constitutionnel s’est donc vu saisir le 26 juillet 2022 sur la constitutionnalité dudit article.
Focus sur l’article L.521-3-1 du code de la consommation
Cet article est issu de la loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020 dit loi DDADUE, qui a pour but de lutter entre autres contre les risques de préjudice grave aux intérêts des consommateurs sur les plateformes en ligne. De surcroit, cet article octroie à la DGCCRF des moyens puissants d’action pour lutter contre les contenus manifestement illicites sur les plateformes d’e-commerce
Ainsi, on retrouve trois dispositifs qui sont gradués en fonction de la gravité envers les intérêts des consommateurs :
-La DGCCRF peut ordonner aux hébergeurs ou plateforme en ligne l’affichage d’un message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu’ils accèdent au contenu.
-Lorsque l’infraction constatée est passible d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement et est de nature à porter une atteinte grave à la loyauté des transactions ou à l’intérêt des consommateurs, l’autorité administrative peut ordonner le déréférencement aux plateformes en ligne des adresses électroniques dont le contenu est manifestement illicite ou/et de prendre toute autre mesure destinée à en limiter l’accès. C’est bien de ce dispositif dont le Conseil Constitutionnel devait répondre de sa conformité à la Constitution.
Une mesure de déréférencement vise à faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche. Cependant le site reste accessible, si on conserve le lien « URL ».
-Enfin la loi DDADUE prévoit une dernière mesure qui à ce jour n’a jamais été utilisée. Il permet d’enjoindre aux opérateurs de registre ou aux bureaux d’enregistrements de domaines de prendre des mesures de blocage d’un nom de domaine, d’une durée maximale de trois mois, renouvelables une fois ou si l’infraction persiste une mesure de suppression du nom de domaine.
De surcroît, cette mesure est réservée au cas les plus graves, car le site ne pourra plus être accessible même si l’on dispose de « l’URL », il est définitivement « banni » du territoire.
L’objet de la QPC :
La société requérante reprochait à l’administration d’avoir enjoint le déréférencement au gestionnaire d’interface en ligne sans intervention d’un juge et aucune limite de temps. De plus, cette action s’applique à tous les contenus manifestement illicites ou non. Ainsi, cette mesure serait contraire à la liberté d’expression et de communication et d’entreprendre.
La décision du conseil constitutionnel : Une limitation de la liberté de communication au profit de la protection du consommateur.
Après avoir énoncé l’importance des services de communication en ligne et de leur rôle dans la vie démocratique et de l’expression des idées et des opinions, le Conseil Constitutionnel rappelle que la législation peut y porter atteinte dès lors que la mesure est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi.
En l’espèce, la disposition contestée s’inscrit dans un objectif d’intérêt général ayant pour finalité de protéger le consommateur et d’assurer la loyauté des transactions commerciales en ligne.
Dans un second temps les sages rappellent que le législateur est venu encadrer précisément cette mesure. En effet, le déréférencement a uniquement vocation à s’appliquer à des sites internet ou applications à but commercial exploités par un professionnel. De plus, les pratiques commerciales doivent être caractérisées par des infractions punies d’au moins d’une peine deux ans d’emprisonnement et de nature à porter atteinte à la loyauté des transactions ou de l’intérêt des consommateurs. Enfin, les contenus présents sur le site doivent présenter un caractère manifestement illicite.
Cependant le législateur ne s’est pas arrêté là pour venir encadrer cette puissante mesure. Ce dispositif doit suivre une procédure a priori. Il faut tout d’abord au préalable effectuer une injonction de mise en conformité, qui peut être contestée devant le juge.
De plus, l’intervention du juge est aussi possible lorsque la mesure de déréférencement est prise via un recours en référé sous 48H. Il peut apprécier notamment la proportionnalité de la mesure c’est à dire si l’entière du site doit être déréférencé ou une partie de l’interface en ligne.
Sur la liberté d’entreprendre, la mesure n’empêche pas l’accessibilité au site du fait que leurs adresses demeurent directement accessibles en ligne. Elle est donc écartée.
Une demi-mesure :
Malgré une avancée dans notre arsenal juridique pour encadrer les plateformes de e-commerce, cette mesure reflète un sentiment d’inachevé. En effet, le site est « invisible » sur les moteurs de recherche, cependant il suffit d’écrire son adresse URL exacte pour y accéder, facilement trouvable sur internet. Une autre pratique pour contourner ce déréférencement est d’utiliser un VPN et de se connecter à un moteur de recherche étranger.
Cette mesure aura bien sur des effets sur les consommateurs « novices » d’e-commerce, car ils ne tomberont plus sur des produits contraires à la réglementation européenne. Toutefois, les utilisateurs habitués du site continueront d’importer des produits contrefaits et dangereux sur notre territoire.
Sources:
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042615686