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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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Jeudi 24 novembre 2022, le président de la chambre basse de l’Assemblée fédérale russe, Viatcheslav Volodine, déclarait : « Elle va protéger nos enfants et l’avenir de ce pays contre les ténèbres répandues par les États-Unis et les pays européens. Nous avons nos propres traditions et valeurs ».
A travers cette intervention, le chef de la Douma fait référence à la nouvelle loi entrée en vigueur le 8 décembre dernier, qui vient étendre une loi de 2013 interdisant l’accès aux mineurs, à toute information en lien avec des relations homosexuelles. C’est donc dans une volonté de renforcer la politique amorcée par le gouvernement, que les députés de l’Assemblée fédérale ont voté le 27 octobre 2022, à l’unanimité et en première lecture, l’extension de la loi de 2013, venant ainsi la compléter et l’entériner. Toutes ces législations ont entrainé une politisation de l’homosexualité en Russie.
Alors que son acceptation a toujours été difficile – considérée comme un crime jusqu’en 1993 et une maladie mentale jusqu’en 1999 – l’homosexualité, qui avait pendant quelques années, connu un moment de « répit », est aujourd’hui marquée par une politique de rejet.
Que prévoit la loi de 2013 ?
Officiellement appelée « Loi visant à protéger l’enfant des informations portant atteinte aux valeurs familiales traditionnelles », le texte législatif de 2013 est venu interdire la « promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs », faite notamment par la voie des médias, que sont la presse, la télévision, la radio et l’Internet. Le gouvernement russe considère les informations émises lors d’une telle promotion, comme nuisibles à la santé et au développement des enfants.
Que vient changer la nouvelle loi de 2022 ?
Alors que la loi de 2013 était consacrée à la « protection » des mineurs, les nouveaux amendements de 2022 tendent à étendre son champ d’application à toute personne, quel que soit son âge. Le but est alors de renforcer la proscription du « déni des valeurs familiales ».
L’objet principal de la loi est d’interdire la promotion de relations ou d’orientations sexuelles non-traditionnelles. Elles regroupent essentiellement les relations homosexuelles et les transgenres. Par ailleurs, deux autres éléments ont été introduits, puisqu’il est désormais également interdit de promouvoir la pédophilie et le changement de genre.
Toutes ces interdictions nouvellement promulguées concernent les présentations positives qui peuvent être faites par le biais des médias, d’Internet, de la littérature, du cinéma et de la publicité, c’est-à-dire par tout moyen de nature à mettre une information à la disposition d’un large public indéterminé. Par exemple, concernant le cinéma, la Douma a averti que « les films faisant la promotion de relations sexuelles non traditionnelles ne recevront pas de certificat de distribution ». Tout cela va ainsi avoir un fort impact sur la culture en Russie. Déjà aujourd’hui, plusieurs individus issus de milieux artistiques ont fait le choix de quitter le pays afin de ne pas être limités dans leurs arts.
Par ailleurs, pour faire appliquer la loi correctement, le gouvernement a choisi de passer par des sanctions financières très dissuasives. Il est désormais prévu que les amendes pourront aller jusqu’à un montant de 10 millions de roubles, ce qui équivaut à environ 160 000 euros, alors que le salaire moyen mensuel des russes en 2022, est d’environ 360 euros.
Une décision visant à restreindre l’influence des Occidentaux et des États-Unis dans le pays ?
Prise en pleine guerre contre l’Ukraine, la loi semble en réalité se colorer d’une volonté pour la Russie de s’éloigner des pratiques et valeurs occidentales et états-uniennes. Effectivement, d’après la phrase citée en introduction par Viatcheslav Volodine, la Russie présente une réelle détermination à se détourner le plus possible de tout ce qui se rattache aux Occidentaux.
Le gouvernement russe présente, en effet, son choix comme « un combat contre le monde occidental », qui serait selon Moscou, « déterminé à éradiquer la Russie », et ce, notamment sur le plan des valeurs. Le député russe, Alexandre Khinchtein, vient confirmer cela, en évoquant le fait qu’il s’agit d’un « conflit de civilisation avec l’Occident ». Ainsi, en promulguant une telle loi, l’affrontement de la Russie ne se réalise plus seulement sur le plan matériel, mais passe également par un contrôle des mentalités.
« L’opération militaire spéciale en Ukraine ne se déroule pas seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans la conscience des gens, dans leurs esprits, dans leurs âmes » – Alexandre Khinchtein.
A cette volonté de s’émanciper de l’influence des pays occidentaux, s’ajoute une question de démographie. Effectivement, depuis la fin de l’Union soviétique en 1991, la Russie connait une baisse démographique importante qui, selon la constante diminution actuelle, devrait décroître d’environ 10 à 15 millions d’individus d’ici 2050. A cet effet, l’État russe justifie sa volonté de revenir au modèle d’une famille traditionnelle en raison de l’incapacité pour les couples homosexuels de procréer, et donc de contribuer à la politique nataliste du pays. Cette logique est poussée à l’extrême par un député russe, qui considère que « l’homosexualité est une menace mortelle pour toute l’humanité ».
Des conséquences fortement perceptibles sur les habitants LGBT+ en Russie
Par sa politique mise en place, la Russie réalise une exclusion progressive des personnes LGBT+ sur son territoire. Cette marginalisation a commencé avec la loi de 2013, qui est venue en quelque sorte « légitimer » les actes et propos homophobes, en plaçant dans l’esprit des russes que l’homosexualité constitue un fait « anormal, voire de pervers ». Elle a ainsi contribué au décuplement de la stigmatisation, du harcèlement et des violences réalisés à l’encontre de la communauté LGBT+. Aujourd’hui, avec le renforcement de la loi, les craintes des personnes concernées se sont accentuées, et une réelle incompréhension est née.
L’atteinte russe aux droits et libertés fondamentaux
Outre les conséquences sur les citoyens LGBT+, la nouvelle législation présente aussi des effets sur l’ensemble des habitants et des médias, par l’atteinte à la liberté d’expression.
Déjà entamée par l’établissement de plusieurs lois dites de lutte contre les Fake news, le gouvernement russe consolide ainsi son emprise sur la liberté d’expression, renforçant les limites de celle-ci.
Commencée en 1923, avec la création de la première agence mondiale de lutte contre la désinformation, la Russie poursuit en 2016 son combat contre la prolifération des fausses informations, en obligeant les propriétaires de moteurs de recherche sur internet, à contrôler la véracité des informations dites « essentielles pour le public ». Tout ceci s’ajoute aux restrictions déjà présentes sur les médias russes, qui interdisent les informations relatives à l’extrémisme, à la propagande, au culte de la violence, etc.
Puis en 2019, la Russie vient interdire toute information délibérément fausse, de nature à porter atteinte à l’armée russe, en ce qu’elle serait une menace pour la sécurité du public et de l’État – puis élargie le 4 mars 2022, à toutes les « activités des organes de l’État russe en dehors du territoire russe » –. Ces mesures ont déjà été à l’époque, qualifiées de « censure » par beaucoup. Elles ne touchent pas seulement les journalistes et responsables éditoriaux tels que la BBC au Royaume-Uni ou encore la Deutsche Welle en Allemagne, mais toute la population russe.
Tout cela a pour conséquence de porter atteinte à la liberté d’expression de chacun, et notamment des médias, dont elle constitue pourtant l’essence même. Par conséquent, toutes ces nouvelles mesures sont de nature à forger une véritable censure, qui n’a de cesse de progresser.
De surcroît, l’interprétation de la loi comprend des incertitudes, qui s’observent principalement au regard de la notion de « promotion ». Effectivement, celle-ci est plutôt vague, ce qui peut notamment s’expliquer par la volonté russe de ne pas limiter les possibilités postérieures de répression, et permettre alors une aggravation de la censure.
Ainsi, derrière les législations russes prises à l’encontre des personnes LGBT+, que les ONG et défenseurs des droits de l’homme dénoncent comme « répressives », il y a une réelle position politique. L’homosexualité est considérée comme « un signe de décadence, capitaliste et occidentale, en tout cas étrangère ». Vladimir Poutine tente ainsi de construire ce qui est appelé un « socle conservateur fédérateur ».