L’enseigne de prêt-à-porter Camaïeu vient d’être rachetée ce mercredi 7 décembre 2022 lors d’une vente aux enchères par la marque Célio. Ainsi, Célio possède désormais les actifs immatériels de la société desquels il faut toutefois exclure le fichier client. En effet, comme énoncé par Patrick Deguines, le commissaire-priseur supervisant l’opération : « compte tenu des contraintes liées au respect de la législation RGPD, en accord avec les organes de la procédure judiciaire, nous avons été contraints de renoncer à la mise aux enchères de ce lot ».
Pour rappel, il y a deux mois, le tribunal de commerce de Lille avait annoncé le placement de la société Camaïeu en liquidation judiciaire. Le tribunal avait par la suite ordonné une vente aux enchères des stocks de la société ayant eu lieu début novembre. Une nouvelle vente aux enchères a été ordonnée et programmée le mercredi 7 décembre 2022 à Vaudeville, dans le Nord, portant initialement sur plusieurs éléments à savoir :
- D’autres stocks ;
- Le fichier client de la société comportant environ 4 millions de clients ;
- Les noms de domaine ;
- Le portefeuille de marques, marques françaises, marques de l’Union Européennes et marques internationales.
Toutefois, la question de la licéité de la cession du fichier client de la société s’est posée au regard des forts risques et enjeux de celle-ci en matière de protection des données personnelles des clients.
Qu’est-ce qu’un fichier client ?
Un fichier client est essentiel d’un point de vue marketing permettant à une entreprise de connaître et de fidéliser ses clients. Il s’agit dès lors d’une base de données composée d’informations sur les clients de l’entreprise. Un ficher client possède de la valeur et participe à la valorisation de l’entreprise lorsqu’il permet de désigner les clients qui y sont inscrits, notamment si ce fichier comprend leurs noms, adresses mail, leurs numéros de téléphones ou encore leurs dates d’anniversaire, mais également par exemple leurs préférences de consommation. Ainsi, plus le fichier contient d’informations, plus il est valorisé.
Ces informations sont par essence des données à caractère personnel. Cela signifie selon la CNIL qu’il s’agit de « toute information relative à une personne physique susceptible d’être identifiée, directement ou indirectement ».
Ainsi, toute entreprise traitant d’un fichier client est soumise à la réglementation du Règlement Général de Protection des Données entré en vigueur le 25 mai 2018, et de la Loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 20 juin 2018.
Dès lors, il est nécessaire que le fichier client soit licite pour qu’il puisse être cessible lors de la cession d’un fonds de commerce.
Les enjeux de la vente d’un fichier client
Comme énoncé, l’enseigne Camaïeu possédait un fichier client important. Prévoir la vente de celui-ci présentait donc des risques sur le terrain des données personnelles. Dans un premier temps, la vente n’est possible que si la réglementation a été respectée par le responsable de traitement initial, s’il a notamment recueilli le consentement exprès du client, mis en place la possibilité de l’exercice du droit de rétractation, respecté le principe de minimisation des données en limitant l’usage des données aux seules finalités mentionnées lors de la collecte, mais également permis aux clients l’exercice de leur droit d’accès à leurs informations.
Le nouveau responsable de traitement devra ainsi être attentif à la législation en vigueur. De plus, lors de la cession, le consentement du client devra être à nouveau recueilli par le cédant, et le cessionnaire devra informer les clients du transfert de leurs données.
Si les parties n’ont pas pris de mesures techniques suffisantes pour protéger et sécuriser les droits et la confidentialité des données des clients, la cession du fichier client pourrait être déclarée nulle.
Aussi, la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) pourrait intervenir en prenant des mesures administratives, mais aussi, prononcer des sanctions et amendes administratives pouvant aller peuvent jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial. De plus, les parties s’exposent à une action pénale prévue par l’article 226-18 du Code pénal disposant que la collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300.000 euros.
Surveillant de près la vente envisagée du fichier client de Camaïeu, la CNIL a publié ce 5 décembre 2022 un utile rappel des règles relatives à la vente de fichiers clients ce qui a conduit Camaïeu a retiré le fichier client du lot de la vente aux enchères.
La position de la CNIL rappelant les règles relatives à la vente de fichiers clients
Dans son article intitulé « Vente de fichiers clients : la CNIL rappelle les règles », la CNIL détaille le nécessaire respect des obligations qui s’imposent aux parties quant à la vente d’un fichier client, afin de respecter le droit des personnes.
Ainsi, dans un premier temps, la Commission énonce que le fichier ne doit contenir que les données de certains clients, à savoir, les clients actifs depuis moins de 3 ans, qui ne se sont pas opposés à la transmission de leurs données ou qui y ont expressément consenti.
Aussi, de manière évidente, la CNIL souligne que l’acquéreur doit respecter les droits des personnes en s’assurant et permettant l’information claire des personnes concernant le rachat de leurs informations dans un délai d’un mois, et en vérifiant l’existence d’un consentement à la prospection électronique.
Concrètement, le RGPD ne s’oppose pas à la vente d’un fichier client qui doit cependant être encadrée selon ces obligations précises. Celles-ci ne semblaient pas pouvoir être respectées de manière satisfaisante dans les conditions relatives au rachat de Camaïeu.
Célio acquiert tout sauf le fichier client
La marque Célio est désormais propriétaire des actifs immatériels de la société Camaïeu, dont les 115 marques enregistrées en France et à l’étranger et les 110 noms de domaines pour un montant de 1,8 millions d’euros, la mise à prix de départ ayant été fixée à 500.000 euros.
Ce lot n°27 comportant les actifs immatériels devait contenir le fichier client qui a finalement été retiré de la vente. Aussi, le commissaire-priseur a jugé ce retrait regrettable.
La renonciation de Camaïeu à vendre son fichier client aux enchères était certainement préférable si les obligations mentionnées par la CNIL ne permettaient pas une cession licite et sans risques.
Cette récente actualité permet ainsi de rappeler la valeur de l’actif immatériel d’une société, mais également, l’importance de la réglementation liée à la protection des données dans le cadre de la vente d’une partie notable de cet actif, à savoir, le fichier client.
Sources :
- « RGPD : Camaïeu renonce à vendre son fichier client aux enchères », Usine Digitale, 6 décembre 2022 : https://www.usine-digitale.fr/article/rgpd-camaieu-renonce-a-vendre-son-fichier-client-aux-encheres.N2074561
- « Vente de fichiers clients : la CNIL rappelle les règles », CNIL, 5 décembre 2022 : https://www.cnil.fr/fr/vente-de-fichiers-clients-la-cnil-rappelle-les-regles#:~:text=La%20vente%20d’un%20fichier,agissant%20des%20droits%20des%20personnes
- « Le fichier client : un actif de l’entreprise à valoriser », France Num, 7 mars 2022 mis à jour le 27 octobre 2022 : https://www.francenum.gouv.fr/guides-et-conseils/developpement-commercial/gestion-des-donnees-clients/le-fichier-client-un-actif
- « La marque Camaïeu rachetée par Celio pour 1,8 million d’euros », Le Figaro, 6 décembre 2022 mis à jour le 8 décembre 2022 : https://www.lefigaro.fr/societes/camaieu-la-marque-est-reprise-par-celio-pour-1-8-million-d-euros-20221207
- « Rachat de la marque Camaïeu par Celio pour 1,8 million d’euros ! », François Godfrin avocat à la Cour, 8 décembre 2022 : https://www.avocat-godfrin.com/post/rachat-de-la-marque-cama%C3%AFeu-par-celio-pour-1-8-million-d-euros