Le Parlement européen consacre la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques

…n’en déplaise à la législation française, qui n’est pas en faveur de la présomption de salariait comme il en ressortait de la lettre, rédigée par la conseillère aux Affaires sociales de la représentation permanente française, Emilie Marquis-Samari, envoyée le 16 septembre 2021.

Ce Jeudi 2 février 2023 le Parlement européen a voté une directive visant à améliorer le statut des travailleurs des plateformes numériques (Uber, Deliveroo, …). En effet, avec 376 pour, 212 contre et 15 abstentions, le Parlement européen a validé la directive permettant de considérer les travailleurs des plateformes comme des salariés. Les plateformes se cachaient derrière le fait que leurs travailleurs étaient indépendants et qu’ils travaillaient s’ils le veulent et aux heures qui leurs conviennent. Cependant dans la réalité il en est tout autre. 

Du point de vue français, cette solution s’inscrit finalement dans la continuité de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 4 mars 2020 (19-13.316), arrêt dit “Uber”. En effet, la Cour de cassation a validé la décision de la Cour d’appel qui avait prononcé la requalification de la relation en contrat de travail, en estimant que l’étude concrète de l’exécution de la prestation démontrait un lien de subordination juridique entre le chauffeur VTC et la société de plateforme en ligne.

Il faut ici rappeler que la présomption de salariat devait être déterminée, mais celle-ci l’était finalement assez simplement au regard du lien de subordination ; en effet, la plateforme imposait à ses chauffeurs des itinéraires particuliers, ainsi que les tarifs ; de plus, la plateforme est un service organisé et, bien que le chauffeur se connecte quand il le souhaite, il intègre un service organisé en l’espèce par la société Uber. De plus, le chauffeur accepte des courses sans même connaitre la destination et enfin la plateforme dispose d’un pouvoir de sanction pour les chauffeurs qui refuseraient des courses ou qui se verraient signalés par des clients. Ainsi donc la Cour de cassation dans l’arrêt Uber a indiqué que le statut d’indépendant était “fictif”. 

Il faut noter que c’est la jurisprudence qui a dégagé les critères du contrat de travail et de façon assez classique. La Chambre sociale renouvelle ce qu’elle dit depuis 1931 et depuis 1996. En 1931, la Cour de cassation, dans l’arrêt Bardou, rejette le critère de la dépendance économique. Ce qu’elle dit de nouveau dans l’arrêt Uber. En 1996, dans un arrêt Société Générale, la Cour de cassation considère que la subordination relève d’un triple pouvoir : le pouvoir de direction, de contrôle et le pouvoir de sanction.  Ainsi, la qualification de contrat de travail suppose la réunion de trois critères cumulatifs, à savoir : Une rémunération, une prestation de travail, et un lien de subordination juridique est caractérisé par le pouvoir de l’employeur « de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. soc., 13 nov. 1996 : Bull. civ. 1996, V, n° 386). Ce lien juridique de subordination est souvent démontré par l’accomplissement d’un travail dans le cadre d’un service organisé (lieu de travail, horaires de travail…). 

L’intérêt de cette directive qui entérine la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes réside dans le fait que les travailleurs pourront jouir des droits sociaux qui découlent d’un contrat de travail classique tels que les droits à un salaire minimum (lorsqu’il existe), à la négociation collective, à la protection du temps de travail et de la santé, aux congés payés… C’est d’ailleurs cela que défend la Commission. Autrement dit, cette directive se veut protéger les travailleurs de ces plateformes qui étaient finalement dans des situations précaires, il leur suffisait d’avoir une impossibilité de travailler tel qu’un accident par exemple pour ne plus percevoir de revenus, même si l’accident était survenu au moment d’une course pour la plateforme. Cela va donc changer. 

En outre, elles bénéficieront également d’une « protection supplémentaire » en ce qui concerne le recours à une gestion algorithmique, précise le texte. La gestion algorithmique implique « des systèmes automatisés qui appuient ou remplacent les fonctions de direction au travail », précise le texte. Ainsi, la directive renforcera en quelque sorte la transparence dans l’usage de ces algorithmes, tout en créant un droit de contester les décisions automatisées.

L’on peut se demander si un troisième statut autre que celui de salarié et celui d’indépendant va naitre, comme il en existe notamment ailleurs en Europe. Un statut intermédiaire qui serait plus en faveur des travailleurs tout en prenant en compte des exigences des plateformes. 

Sources :

https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/le-parlement-europeen-enterine-la-presomption-de-salariat-pour-les-travailleurs-des-plateformes-numeriques/

https://www.kochel-avocat-lyon.fr/publication-47440-larret-dit-uber-du-4-mars-2020.html

https://www2.liaisons-sociales.fr/ressources/videos/en-direct-de-la-redaction/francoise-champeaux-arret-uber.html