Le rapport McKinsey sur la « Création de valeur dans le métavers » paru le 15 juin 2021, estime que les métavers pourraient, d’ici 2030, générer un marché allant jusqu’à 5 000 milliards de dollars.
Le développement de ces nouvelles technologies implique de nouvelles questions et de nouveaux enjeux juridiques. Les juridictions voient apparaître les premiers contentieux à ce sujet, notamment en matière de propriété intellectuelle.
Le 14 janvier 2022, Hermès a décidé de saisir le tribunal fédéral de New York. Cette procédure étant soumise au droit américain, le tribunal rend son verdict le mercredi 8 février 2023, condamnant Mason Rothschild, artiste à l’origine de la collection de NFT MetaBirkins, à verser 133.000 dollars de dommages et intérêts à la société Hermès.
Au-delà de la simple affaire de contrefaçon, ce procès constituait le premier exercice de protection d’un territoire de marque au sein du “métavers”, et posait la question suivante : peut-on vraiment revendiquer une œuvre d’art quand on parle de NFTs vendus à une centaine d’exemplaires ?
Le Metabirkin : un NFT du sac Birkin d’Hermès
C’est en 2021 que la collection de NFTs MetaBirkin voit le jour à l’initiative de l’artiste Mason Rothschild basé à Los Angeles.
La collection cumule dès la première semaine un volume de ventes de plus de 450 000$ pour seulement une centaine de NFTs. La collection se compose uniquement de NFTs de sac du modèle Birkin d’Hermès, tout en y ajoutant une texture de fourrure synthétique unique à chaque jeton, faisant passer pour message la lutte contre les maltraitances faites aux animaux dans le milieu du luxe et de la mode.
En décembre 2021, l’artiste Mason Rothschild proposait à la vente ces 100 NFTs sur la plateforme OpenSea, pour plus de 10 000 dollars la pièce.
Hermès s’appuie sur le droit des marques pour sauvegarder ses intérêts.
Il faut savoir qu’Hermès fondait ses demandes essentiellement sur le droit des marques. Dans sa plainte, Hermès accuse Mason Rothschild de contrefaçon de sa marque BIRKIN en invoquant son utilisation non autorisée dans le commerce pour la vente et la publicité de ses NFTs, une utilisation illicite qui causerait une confusion dans l’esprit du public et l’induirait en erreur sur l’origine des produits, ce qui nuirait à l’image de marque d’Hermès.
L’artiste profiterait également de la réputation et de la notoriété de la marque Hermès.
Hermès appuie à chaque fois son argumentaire sur l’utilisation du nom « Birkin » dans un but commercial, ainsi que sur la valeur identique des sacs Birkin du monde « réel » et des NFTs Metabirkin.
La prestigieuse maison est en effet titulaire, depuis 2005, d’une marque américaine « BIRKIN » déposée en classes 16 (porte-chéquiers) et 18 (articles de maroquinerie).
Toutefois, le 26 aout 2022, Hermès a procédé à un nouveau dépôt de son signe « Birkin » dans les classes 9, 35 et 41 par lesquels elle vise les exploitations de ses produits dans des environnements de réalité virtuelle et sous forme de NFTs.
Hermès réclame l’interdiction de tout usage de son nom, sa marque et de son sac, et inclut dans ses demandes, l’interdiction de tout acte susceptible soit de créer une confusion auprès du public ou de porter atteinte à sa réputation.
La société accuse également M. Rothschild de fausse appellation d’origine, de dilution de marque, de cybersquatting, d’atteinte à la réputation, ainsi que de concurrence déloyale.
L’artiste se défend sur la base d’un droit constitutionnel prévu au Premier Amendement de la Constitution américaine : la liberté d’expression.
Faisant partie des dix amendements ratifiés en 1791, des Bill of Rights, le premier amendement de la Constitution des États-Unis protège la liberté d’expression.
Se fondant sur le fait que la liberté d’expression ne saurait être limitée par aucune loi, l’artiste Mason Rothschild développe son argumentation autour de sa liberté d’expression à représenter le sac iconique d’Hermès.
Dès la réception du premier courrier de mise en demeure, l’artiste avait précisé que le premier amendement « me donne tous les droits de créer de l’art basé sur mes interprétations du monde qui m’entoure. » Après rendu de la décision des tribunaux New-Yorkais, l’avocat de Rothschild a commenté qu’il s’agissait d’une « journée terrible pour les artistes et pour le premier amendement ».
“Où la valeur d’un sac Birkin se situe-t-elle vraiment ? Dans l’objet physique fabriqué artisanalement, ou dans l’image qu’il projette ? Une image ne transporte rien d’autre que du sens”, expliquait Rothschild dans sa défense.
D’après l’artiste, l’objectif premier de sa collection consiste à dénoncer la maltraitance et la souffrance animale intimement rattachée à l’industrie du luxe et du prêt-à-porter.
De fait, l’empêcher de passer ce message reviendrait à le censurer, et donc à le priver d’un droit constitutionnel.
Tribunal fédéral de New York: Le NFT n’est pas une œuvre mais un produit de consommation.
Profitant de la renommée de ce sac, l’artiste se fonde sur la liberté d’expression pour justifier la reproduction et l’exploitation de ces sacs, et revendique l’idée selon laquelle il aurait voulu procéder à un hommage au sac Birkin dans le cadre d’une expérience artistique. Mason Rothschild soutient avoir lui-même créé des œuvres d’art sous forme de NFT.
Le tribunal américain rejette néanmoins cette argumentation en statuant, conformément à ce qui est revendiqué par Hermès, que les NFT revendiqués par l’artiste ne pouvaient être qualifiés d’œuvre d’art et devaient être considérés comme des produits de consommation.
Ces NFT s’apparentant à des produits de consommation, ils sont de ce fait soumis à la réglementation applicable aux marques.
Le tribunal estime ainsi que la reproduction d’une marque sans autorisation ne relève pas de la liberté d’expression et doit être qualifiée de contrefaçon.
Nouveau rebondissement post-verdict: L’artiste Mason Rothschild n’a pas arrêté la commercialisation des tokens.
Alors que l’on pensait que l’affaire opposant Hermès au développeur de la collection MetaBirkin NFT était arrivée à sa fin, on apprend un nouveau rebondissement.
Seulement quelques semaines après avoir remporté son procès contre l’artiste américain, Hermès demande à un tribunal fédéral américain le blocage de la collection MetaBirkin basée sur le Birkin, son célèbre sac de luxe.
En effet, l’artiste derrière la collection NFT n’a pas arrêté la commercialisation et la distribution des tokens. Il est toujours possible d’acheter des NFTs de la collection numérique MetaBirkin sur la plateforme LooksRare, la page d’accueil de son site affichant toujours un lien dédié à leur achat.
Hermès a demandé donc au tribunal de délivrer une injonction visant à bloquer les ventes des tokens de la collection MetaBirkin, « Mason Rothschild a continué à promouvoir les NFT malgré le jugement rendu récemment. Nous souhaitons que le tribunal fédéral intervienne et oblige Rothschild non seulement à cesser de vendre les actifs numériques, mais aussi à transférer les NFT qu’il possède encore à Hermès » a indiqué le groupe dans sa plainte.
Hermès, titulaire de la marque française Birkin en classes 16 et 18, aurait-elle pu choisir d’assigner l’artiste Mason Rothschild devant le juge français ?
Le site Rarible, qui présente au public les objets pour lesquels la contrefaçon de marque est invoquée, est accessible depuis la France, ce qui permettrait de saisir le juge français pour demander réparation du seul dommage causé en France.
En droit français, une disposition spécifique du code de la propriété intellectuelle accorde une protection aux marques dites renommées, même si les produits ou services en question sont non similaires à ceux visés par le dépôt de marque, dès lors qu’il est tiré profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou qu’il lui est porté préjudice.
Cependant, il doit s’agir d’un usage « dans la vie des affaires » c’est-à-dire d’un usage qui « se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique ».
Traditionnellement, la jurisprudence considérait qu’en vertu de la liberté d’expression, il ne saurait y avoir de parasitisme du fait de l’utilisation d’un signe de ralliement de la clientèle dans une œuvre littéraire ou artistique. L’exception de parodie a également pu permettre d’échapper à la contrefaçon.
Les 100 MetaBirkin ayant atteint un prix cumulé de près de 450 000 $ et se référant directement aux produits commercialisés par Hermès sous la marque Birkin, la question peut se poser de savoir s’il ne s’agit pas d’un usage dans la vie des affaires. La situation pourrait ainsi être différente concernant l’œuvre numérique “Baby Birkin” réalisé par le même artiste et les MetaBirkin.
L’œuvre “Baby Birkin” comporte un vrai propos artistique, tandis que les MetaBirkin pourraient être considérées comme des déclinaisons du sac Hermès dans l’univers du web3 dans lequel Hermès sera vraisemblablement tenté d’investir, comme l’a déjà fait un assez grand nombre d’acteurs du secteur de la mode.
Au-delà du risque de confusion qui pourrait résulter pour le public par l’attribution des MetaBirkin à Hermès, l’argument selon lequel la commercialisation de ceux-ci sous forme de NFT consiste à tirer un profit de la notoriété, des efforts de création et d’investissement d’Hermès, pourrait être reçu par les tribunaux français.
La solution serait donc la même que celle du juge américain : aux termes de leur décision du 8 février 2023, les jurés n’ont pas été convaincus que les NFTs de Mason Rothschild étaient de l’art.
Il est crucial pour la maison de luxe de maîtriser l’utilisation qui est faite de ses marques et produits afin d’en assurer la cohérence et d’en préserver la réputation auprès du public.
Une problématique relativement nouvelle : la propriété intellectuelle et le droit des marques dans le Web3.
Cette action en justice a été l’occasion pour les juges américains de se pencher sur la notion de propriété intellectuelle et de droit des marques dans le Web3 : Si le dépôt de la marque protège l’exemplaire physique du produit, cette protection s’étend-elle automatiquement aux exemplaires ou déclinaisons virtuelles de ces mêmes produits ?
On voit mal comment la réponse à cette question pourrait être négative. À défaut, les tribunaux ouvriraient la porte à la légitimation des projets qui tenteraient de profiter de la notoriété de marques renommées.
Dans l’industrie des NFT, cette affaire est toujours au cœur du débat. Il faut savoir que comme les MetaBirkins, d’autres collections ont emprunté des éléments de la propriété intellectuelle à d’autres entités.
Selon une étude commandée par le Comité Colbert, 51 % des acteurs de l’industrie du luxe français projettent de lancer un ou plusieurs projets NFT d’ici 2025.
Si malgré sa victoire, Hermès adopte cette posture, c’est parce que la marque envisage de se lancer elle-même dans les NFT. Ses avocats ont affirmé qu’en laissant la collection MetaBirkin valable sur le marché, cela pourrait engendrer une confusion autour de la marque et de ses produits dans l’hypothèse ou Hermès décide de créer ses propres NFT.
Une décision établissant un précédent important pour les créateurs de NFTs et les titulaires de droits.
La présente affaire offre ainsi l’occasion d’interroger l’effectivité du droit des marques face à ces biens immatériels d’un genre nouveau. Plus encore et même si la décision concerne le droit américain, des passerelles peuvent être construites avec le droit français.
L’issue protectrice de la marque de ce procès pourrait bouleverser le monde des NFT. En effet, toute création dérivée ou similaire aux produits des grandes marques sera certainement impossible sous peine d’être assignée en justice. Cette problématique n’ayant jamais été traitée par la justice, cette décision fera certainement office de jurisprudence quant à l’application du droit de propriété des biens réels à leur représentation numérique.
Sources:
- Le procès d’Hermès contre le créateur des NFTs MetaBirkin
https://nftalk.fr/le-proces-hermes-contre-le-createur-des-nfts-metabirkin - Affaire MetaBirkin NFT : Hermès demande l’arrêt des ventes de la collection
https://www.cointribune.com/hermes-veut-obtenir-une-injonction-du-tribunal-pour-stopper-les-ventes-de-metabirkin-nft/ - Ces NFT ne sont pas de l’art, tranche le jury dans l’affaire opposant Hermès au créateur des MetaBirkin
https://www.usine-digitale.fr/article/ces-nft-ne-sont-pas-de-l-art-tranche-le-jury-dans-l-affaire-opposant-hermes-au-createur-des-metabirkin.N2099716 - Contrefaçon dans le métavers : victoire d’Hermès dans l’affaire des NFT MetaBirkin
https://debaecque-avocats.com/contrefacon-dans-le-metavers-victoire-hermes-nft-metabirkin/ - Hermès Seeks Complete Control of MetaBirkin NFTs and Royalties
https://nftevening.com/hermes-seeks-complete-control-of-metabirkin-nfts-and-royalties/ - NFT Metabirkin condamné : Hermès remporte son procès en contrefaçon
https://www.alain-bensoussan.com/avocats/nft-metabirkin-hermes/2023/02/22/