Par Kenza DORGHAM, étudiante en Master 2 Droit des Médias Électroniques
Le 14 novembre dernier, le média Disclose s’est procuré des documents auprès du ministère de l’Intérieur révélant que, depuis 2015, la police nationale utilise un logiciel d’analyse d’images de vidéosurveillance permettant l’emploi de la reconnaissance faciale.
Le lendemain, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) s’est saisie de cette affaire et a annoncé qu’elle lançait une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur.
Qu’est-ce que ce logiciel ?
Cet outil permet la reconnaissance faciale des individus, et est utilisé par la police nationale, déployé sur le terrain français. Cependant, le ministère est, normalement, tenu de déclarer ce genre d’utilisation de dispositifs à la CNIL, ce qui n’a pas été réalisé.
Néanmoins, le 19 mai 2023, une loi a été adoptée au Parlement quant aux Jeux olympiques, autorisant la police nationale à utiliser ce logiciel dans de plus larges cas, et ce, jusqu’au 31 mai 2025. Malgré tout, le logiciel est utilisé depuis 8 ans, sans aucun respect de cadre légal.
La reconnaissance faciale et son encadrement
D’après la CNIL, la reconnaissance faciale est « une technique qui permet à partir des traits de visage : D’authentifier une personne : c’est-à-dire, vérifier qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être ou d’identifier une personne : c’est-à-dire, de retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, une image ou une base de données. ».
Elle permet finalement d’analyser les individus filmés ou photographiés, tout en les comparant à des images stockées dans une base de données.
Il est important de préciser que la CNIL est chargée d’encadrer les pratiques liées à la biométrie faciale, une déclaration préalable est alors obligatoire.
Toutefois, il n’existe pas de réel cadre juridique. La reconnaissance faciale n’est pas régulée elle-même en tant que dispositif, elle l’est uniquement dans le cadre de sécurité nationale.
Elle reste cependant limitée en France et ne peut être utilisée que dans le cadre de contrôles automatisés aux frontières et dans certaines enquêtes judiciaires. L’intelligence artificielle (IA) y joue un rôle prépondérant, car elle est capable de déceler si des situations seraient jugées anormales.
Plusieurs problématiques posées par ce dispositif : quid de la vie privée, des données personnelles ?
Dans un premier temps, il est nécessaire qu’elle respecte le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). En principe, il serait nécessaire de recueillir le consentement libre de la personne afin de collecter les données via ce dispositif. Elle ne peut, donc, être imposée, sauf motif impérieux.
Depuis 2016, la directive 2016/680 « Police-Justice » « autorise le traitement des données biométriques pour identifier une personne seulement en cas de nécessité absolue ».
Normalement, le principe de transparence doit être appliqué, ce qui permet aux personnes concernées de connaître la raison de la collecte des données, comprendre la finalité et surtout assurer la maîtrise des données.
Or, ici, chaque individu étant sur le territoire français peut être enregistré à son insu. Dans ce cas-là, il s’agit de filmer tout le monde, à n’importe quel moment de la journée, sans but précis. La société explique qu’elle « génère une valeur exponentielle à partir des investissements dans les systèmes de surveillance en rendant la vidéo consultable, exploitable et quantifiable ».
Elle ne précise pas, pendant combien de temps les vidéos sont consultables, pendant combien de temps elles sont exploitables. En bref, cela constitue nettement une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée.
Il est nécessaire de rappeler que l’atteinte à la vie privée doit être légitime, nécessaire et proportionnée. De plus, d’après le droit international, la surveillance doit normalement être ciblée et basée sur des soupçons raisonnables et nécessaires.
Pour illustrer les actes réalisés par le logiciel, l’heure du passage des individus apparaît sur chaque personne, grâce à l’IA, ce qui facilite forcément, au vu de la rapidité, le travail des enquêteurs. Donc, dans ce cas-ci, il s’opère seulement une surveillance des individus sans but réellement précis. Alors il y a atteinte à la vie privée, surtout qu’aucun ne sait qu’il est filmé à son insu. De plus, en 2022, un membre de la police déclarait que certaines données pouvaient être distinguées comme le genre, l’âge, si c’est un enfant, un adulte ou encore la taille.
Ces images sont, ensuite, comparées avec une banque de données, on assiste à un stockage et une collecte de masse de données sensibles.
Le RGPD interdit l’utilisation ou le recueil de ces dernières sauf « si la personne a donné son consentement exprès, si les informations sont manifestement rendues publiques par la personne concernée, si les informations sont nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine et enfin si leur utilisation est justifiée par l’intérêt public et autorisé par la CNIL, si elles concernent les membres ou adhérents d’une association ou d’une organisation politique, religieuse, philosophique, politique ou syndicale. »
Mais le ministère ne remplit aucune de ces exceptions et n’a jamais formulé de demande d’autorisation auprès de la CNIL pour l’utilisation de ce logiciel.
Évidemment, plusieurs autres problématiques peuvent être relevées comme le droit à la liberté d’expression (lors de manifestations par exemple), ou encore le droit à la non-discrimination qui peuvent ne pas être respectés, car un certain groupe ethnique ou religieux peut aussi être suivi.
Certaines associations ont formé une demande devant le tribunal administratif de Nice, demande qui a été rejetée aux motifs qu’« il n’est pas établi que de tels logiciels seraient effectivement utilisés. » Depuis, le parti politique La France Insoumise a saisi la justice et réclame une commission d’enquête parlementaire à propos de l’utilisation de ce logiciel.
Affaire à suivre…