par Philippe MOURON, Maître de conférences HDR en droit privé – Directeur du Master 2 Droit des médias électroniques – Directeur adjoint du LID2MS
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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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Affirmer que la répression des propos non publics incitant à la haine permettra de sanctionner celui qui s’exprime dans son salon en famille est faux. La loi vise seulement à réprimer les propos non publics tenus par exemple dans le cadre professionnel, ou d’un club de sport.
C’est ainsi qu’a pu être présentée la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 mars dernier. La seule lecture du titre de cette proposition dément déjà l’affirmation, puisqu’elle ne vise qu’à renforcer la répression de certaines infractions particulièrement graves, qui portent sur la diffusion de contenus haineux. On est donc loin d’un texte issu du monde décrit par George Orwell dans 1984, qui viserait à réprimer tout propos critique ou contestataire sous prétexte de lutte contre les discriminations.
Mais surtout, la répression de tels abus de la liberté d’expression n’a rien de nouveau et doit se concilier avec d’autres impératifs que sont le respect de la vie privée et de la confidentialité des échanges entre les personnes (notamment les membres d’une même famille), et l’exercice de la liberté de critique.
Que dit vraiment la proposition de loi ?
La proposition entend réprimer plus sévèrement les infractions portant sur la diffusion de discours haineux, en transformant en délits certaines de ces infractions qui ne sont actuellement passibles que d’une contravention lorsqu’elles sont commises dans un cadre non public. C’est sur ce point que se sont concentrées toutes les craintes d’atteinte aux libertés jusque dans nos salons.
Ainsi, la diffamation et l’injure non publiques à caractère raciste ou discriminatoire, des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les personnes ou groupes de personnes en fonction de leur appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race, une religion, ou en fonction de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, vraie ou supposée, ou de leur handicap, sont déjà punies de 1 500 euros d’amende. Cette peine passerait donc, avec la proposition de loi, à 3750 €. De plus, si cette infraction est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique (par exemple un agent de police ou un maire), on passerait à un an de prison et 15 000 € d’amende.
De plus, deux nouveaux délits seraient créés, réprimant l’apologie non publique de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ainsi que d’autres crimes (par exemple la réduction en esclavage) et la contestation non publique de crimes contre l’humanité. Si l’amende prévue dans ce second cas reste de 3750 €, elle est de 45 000 € dans le premier, assortie d’un an de prison. Les mêmes circonstances aggravantes sont également prévues.
L’injure “non publique” n’est pas l’injure proférée dans son salon
La notion de diffusion “publique” suppose que l’injure soit proférée devant un nombre de personnes indéterminé ou déterminé mais non liées par une communauté d’intérêts. Peu importe le moyen de diffusion (écrits, affiches, discours, etc.).
Pour autant, la diffusion “non publique” ne doit pas être comprise comme celle qui a lieu au sein du foyer, laquelle relève de la vie privée et du secret des correspondances. Une diffusion non publique s’entend seulement de celle qui vise un cercle de personnes restreint qui sont liées entre elles par une communauté d’intérêts, qui peut par exemple être de nature professionnelle. Tel peut être le cas des propos échangés entre les salariés d’une même entreprise, oralement ou par écrit, ou proférés au sein d’un établissement scolaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé le 10 avril 2013 que certains propos, si offensants ou outranciers qu’ils soient, qui sont publiés au sein d’un groupe Facebook fermé et accessible à un très petit nombre de personnes, ne constituent pas des injures publiques.
De plus, encore faut-il que les propos litigieux n’aient pas été échangés à titre confidentiel, c’est-à-dire en tête à tête s’ils sont verbaux (Cour de cassation, 14 avril 2014), ou par le biais d’une correspondance s’ils sont écrits (Cour de cassation, 7 février 2006). Un espace de totale liberté est donc laissé aux interlocuteurs, la répression des abus de la liberté d’expression ne pouvant s’immiscer jusque dans les relations interpersonnelles. Il en va de même au sein de la cellule familiale, frappée du sceau du droit au respect de la vie privée, et qui est traditionnellement considérée comme un espace ”en dehors du droit”, où toutes les passions peuvent s’exprimer dans certaines limites. En d’autres termes, un père de famille peut enseigner le racisme ou l’homophobie à ses enfants en toute liberté… ou traiter un footballeur noir de singe devant sa télévision en avalant sa pizza.
Il n’en irait autrement que si les propos discriminatoires en question étaient formulés hors de la sphère intime, par exemple lors d’une réunion avec des amis, ce qui exclurait la confidentialité. Il n’est donc pas exclu que le délit d’injure non publique s’étende aux salons, mais sous certaines conditions.