par Philippe MOURON, Professeur de droit privé – Directeur du Master 2 Droit des communications électroniques – Directeur adjoint du LID2MS
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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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Pascal Praud n’est pas pénalement responsable des propos tenus sur son plateau, mais bien l’auteur de ceux-ci. Il a tout de même une obligation de modération des paroles tenues pendant l’émission. C’est l’Arcom qui contrôle cette modération.
“On choisit une inconnue, c’est presque une construction. Une femme, de 40 ans, elle n’est pas mal, elle est sexuellement bien orientée selon les nouvelles normes du nouveau monde.” C’est en ces termes que l’écrivain Richard Millet s’est exprimé à l’égard de Lucie Castets dans l’émission “L’Heure des pros” diffusée sur CNews ce vendredi 30 août. Ces propos faisaient suite à l’interpellation de Pascal Praud qui lui demandait de préciser ses propos, alors que l’écrivain semblait initialement avoir évoqué une orientation “sexuellement incorrecte”, ce dont il s’est depuis défendu.
La séquence a engendré une vague d’indignation, plusieurs élus ayant annoncé avoir saisi l’ARCOM. Parmi les critiques, figure un tweet de Sandrine Rousseau évoquant la responsabilité pénale de Pascal Praud vis-à-vis des délits commis sur le plateau de son émission.
Le présentateur peut-il être poursuivi au pénal pour les propos homophobes tenus par l’un de ses invités ? La réponse est négative dès lors qu’ils ont été prononcés en direct, ce qui ne le décharge pas de toute obligation de modération.
L’auteur de propos homophobes en est responsable pénalement lorsqu’ils sont prononcés dans une émission en direct
Si Sandrine Rousseau a raison de rappeler que l’homophobie est un délit et non une opinion, les modalités de poursuites et de condamnation de l’auteur d’une telle infraction obéissent à des règles spécifiques lorsqu’elle est commise à l’occasion d’une émission de télévision ou de radio. Deux situations doivent être considérées, selon l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Lorsque l’émission a fait l’objet “d’une fixation préalable à sa communication au public”, c’est un régime de responsabilité en cascade similaire à celui de la presse écrite qui s’applique. Le directeur ou le codirecteur de la publication est prioritairement poursuivi comme auteur principal de l’infraction, et ce n’est qu’à défaut que l’auteur des propos peut être lui-même poursuivi en cette qualité. Mais ce dernier peut aussi être poursuivi comme complice de l’infraction aux côtés du directeur ou codirecteur de publication.
Cette règle s’explique par le fait que, lors du montage, il est possible de supprimer des passages au cours desquels des abus de la liberté d’expression auraient pu être commis. En revanche, lorsque l’émission n’a pas fait l’objet d’une “fixation préalable”, autrement dit lorsqu’elle est diffusée en direct, c’est l’auteur des propos litigieux, seul, qui est poursuivi. C’est pour ces raisons qu’Éric Zemmour a pu être condamné aussi bien comme auteur principal de l’infraction que comme complice pour des propos qu’il a tenus dans des émissions de télévision.
Les présentateurs et autres journalistes présents sur le plateau ne peuvent donc être mis en cause, dans un cas comme dans l’autre. Toutefois, cela ne les dédouane pas de toute obligation de modération lorsque l’émission est diffusée en direct.
Le présentateur reste toutefois tenu à une obligation de maîtrise de l’antenne
Indépendamment des infractions commises sur le plateau d’une émission en direct, les responsables de celle-ci doivent malgré tout conserver la “maîtrise de l’antenne”. Cette obligation découle de la loi du 30 septembre 1986 et des obligations déontologiques qui en découlent, leur respect étant placé sous le contrôle de l’ARCOM. S’agissant de CNews, l’obligation figure à l’article 2-2-1 de la convention qui la lie à l’autorité.
Sur cette base, il est attendu d’un présentateur qu’il prenne des mesures de modération appropriées en fonction de la gravité des propos tenus par ses invités. Le non-respect de cette obligation peut être sanctionné par l’autorité afin de rappeler à l’ordre l’éditeur de la chaîne, et non l’auteur de l’infraction ou le journaliste “défaillant”. C’est ainsi, par exemple, que les propos tenus en direct par Jean-Paul Guerlain lors d’un journal télévisé de France 2 ont valu à ce dernier une condamnation pour injure raciale, la chaîne ayant pour sa part écopé d’une mise en demeure du CSA, car la journaliste, Élise Lucet, n’était nullement intervenue pour les contester.
La portée de cette obligation est variable en fonction du contexte, du type d’émission mais aussi de la nature des propos tenus. Si l’on peut attendre a minima du présentateur qu’il demande des précisions à son invité lorsque les termes employés sont douteux, il peut aussi être amené à les démentir lorsqu’ils sont manifestement faux ou mettre un terme à un débat envenimé. Dans les situations les plus graves, la suspension d’une interview peut être ordonnée, comme cela a pu être le cas dans l’émission “Morandini Live” suite aux insinuations antisémites d’un intervenant.
Pour revenir aux propos tenus vendredi dernier dans “L’Heure des pros”, Pascal Praud a invoqué son rôle de “modérateur” pour interrompre Richard Millet et lui demander en quoi consiste une “orientation sexuelle correcte”, ajoutant que ce n’était pas là le sujet de sa question. D’aucuns ont pu condamner sa réaction, jugée “molle”, mais il appartiendra à l’ARCOM de l’examiner en tenant compte de la latitude qui est laissée aux journalistes dans ce genre de situations.
Si Pascal Praud est très souvent critiqué pour son style et sa ligne éditoriale, l’autorité a refusé à plusieurs reprises de sanctionner CNews, estimant qu’il avait su conserver la maîtrise de l’antenne, y compris à l’occasion de débats particulièrement vifs. Tel a été le cas dernièrement s’agissant d’une émission dans laquelle l’évocation du conflit israélo-palestinien a donné lieu à des propos islamophobes, ceux-ci ayant “fait l’objet d’une contradiction appuyée, émanant aussi bien du présentateur de l’émission que du reste des invités, qui ont notamment incité leur auteur à les tempérer“. Et l’ARCOM d’ajouter que sa décision était “sans préjudice de l’éventuelle qualification pénale des propos tenus par l’invité et des suites judiciaires susceptibles d’être engagées”.
Pascal Praud ne peut donc pas être pénalement responsable des propos tenus par Richard Millet.