par Florian MESTRES, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Des revenus en hausse constante pour les créateurs mais l’ombre de l’intelligence artificielle (IA) générative qui rôde. C’est en substance ce que nous apprend la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), principal réseau mondial des sociétés d’artistes, dans son rapport publié le 24 octobre 2024.
Les droits collectés par les artistes ont en effet connu, pour l’année 2023, une augmentation de 7,6 %. Ces revenus cumulés sur le plan mondial atteignent même le record de 13,1 milliards d’euros. Après un net recul en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, les recettes des artistes sont désormais supérieures de 29,9 % en 2023 par rapport à l’année 2019.
Pérennité du support numérique
Cette progression des revenus des créateurs s’explique tout d’abord par la pérennité des droits collectés via le numérique. Ce support représente ainsi 35 % des recettes des artistes dans le monde, contre 30 % pour la télévision et la radio et 25 % pour les évènements publics dits « live ».
Selon l’étude de la Cisac, la hausse des prix des abonnements, notamment des plateformes de vidéos à la demande, ainsi que la popularité du « streaming » (ou vidéo en continu) permettent de comprendre la position de force des recettes générées par le truchement des interfaces numériques.
Si l’élévation du prix des abonnements de plateformes donnant accès à des œuvres artistiques peut être saluée par les créateurs dans la perspective d’une amélioration de leur rémunération, il demeure également utile de souligner l’importance dans l’ordre juridique français de garantir l’accessibilité de la culture au plus grand nombre.
L’article 140 de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 modifiée, relative à la lutte contre les exclusions, dispose à ce titre que : « L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir l’exercice effectif de la citoyenneté. »
L’État, les collectivités territoriales, les associations et les entreprises ont un rôle à jouer, comme le précise le texte susvisé, dans la réalisation de cet objectif. Cette disposition ne remet toutefois pas en cause la possibilité pour les plateformes de fixer librement le prix de leurs abonnements. Plus généralement, la concurrence entre les plateformes joue un rôle dans la limitation des coûts des abonnements pour les utilisateurs.
Autre facteur expliquant la hausse des droits collectés par les artistes dans le monde : le retour à la normale dans le secteur du « live » et des prestations publiques (concerts, expositions, etc…), après trois années marquées par la pandémie de Covid-19.
Si les restrictions sanitaires ont progressivement été levées en 2021 dans la plupart des pays occidentaux, la reprise des évènements culturels publics a parfois été plus tardive dans d’autres régions du monde, comme le note le rapport, à l’instar de l’Amérique latine et de l’Asie-Pacifique.
« Culture du contenu gratuit »
Selon Gadi Oron, directeur général de la Cisac, cette dernière zone géographique se trouve par ailleurs confrontée à un enjeu bien spécifique : « la lutte contre la culture du contenu gratuit ». Le paradoxe restant d’après ce juriste de formation que « dans des pays comme l’Indonésie et le Vietnam, plus de 80 % des revenus collectés par les sociétés proviennent du numérique ».
Le territoire de l’Union européenne (UE) paraît plus à même sur ce sujet d’assurer la défense des revenus des artistes. La volonté depuis plusieurs années déjà de parvenir à une juste rémunération des créateurs utilisant les outils des plateformes pour partager leurs œuvres a juridiquement donné naissance à la directive de l’UE du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.
En particulier, la transposition en droit interne de l’article 17 implique que les plateformes doivent, désormais, soit rémunérer les créateurs pour les œuvres diffusées sur leur espace en ligne, soit ont l’obligation de rendre indisponible les contenus dont diffusion n’a pas été autorisée par les artistes titulaires des droits.
Dans cette même idée, l’article 18 de la directive susvisée retient que « les États membres veillent à ce que, lorsque les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants octroient sous licence ou transfèrent leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés, ils aient le droit de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle. »
Le spectre planant de l’IA générative
Le rapport de la Cisac s’inquiète enfin de l’essor de l’IA générative et de ses conséquences potentielles sur les droits collectés par les auteurs. D’après une étude menée par la Sacem française et la GEMA (société allemande de gestion des droits d’auteur, membre de la Cisac), le manque à gagner découlant de l’impact de l’IA générative serait estimé, pour les artistes du secteur de la musique, à moyen terme, à 27 % du total de leur revenu.
Le règlement de l’UE sur l’intelligence artificielle (IA), adopté le 13 mars 2024, n’apporte pas davantage d’éclairage au sujet de la rémunération des auteurs dont les œuvres ont servi à entraîner des systèmes d’intelligence artificielle afin de générer une production nouvelle.
Pour répondre aux préoccupations des créateurs, le ministère de la Culture a mandaté, en avril 2024, le Conseil supérieur de la propriété littéraire artistique (CSPLA) afin de lui remettre un rapport portant notamment sur l’effectivité des droits des auteurs – et donc de leur rémunération – quant à l’utilisation de leurs œuvres par des fournisseurs d’IA. Les conclusions de cette mission sont attendues pour 2025.
Sources :
–RAPPORT SUR LES COLLECTES MONDIALES 2024 | CISAC
–Directive – 2019/790 – FR – directive droit d’auteur – EUR-Lex
–Règlement – UE – 2024/1689 – FR – EUR-Lex
–Les droits des artistes ont continué d’augmenter dans le monde en 2023
–Intelligence artificielle : Mme Rachida DATI, ministre de la Culture, mandate le CSPLA