Autrice : Coralie Riba, Master 2 Droit des communications électroniques
Relecteurs : Etienne Merle, journaliste
Philippe Mouron, professeur de droit privé, directeur du Master Droit des communications électroniques, Aix-Marseille université
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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Elon Musk a joué un rôle central dans la campagne présidentielle américaine en soutenant Donald Trump via son réseau social X. Cette implication soulève de nouvelles questions sur les responsabilités des plateformes numériques en période électorale. Les actions du milliardaire pourraient-elles entrer en conflit avec les régulations américaines, en matière de financement électoral et de manipulation de l’information ?
La lune de miel aura rythmé la campagne présidentielle américaine. Le milliardaire Elon Musk, PDG de Tesla et SpaceX et propriétaire du réseau social X, a donné de sa personne pour aider Donald Trump dans son retour triomphal à la Maison-Blanche.
En plus d’un soutien financier et médiatique, le milliardaire a lancé une loterie offrant un million de dollars parmi les signataires d’une pétition pro-Trump. Le patron de X a également utilisé son réseau social comme un outil de propagande au service du candidat républicain.
Comme l’ont révélé nos confrères du journal Le Monde, Elon Musk a publié 101 messages par jour en moyenne à ses 203,4 millions d’abonnés entre le 5 octobre et le 5 novembre, en diffusant, parfois, de fausses informations.
Les agissements d’Elon Musk dans le cadre de la campagne électorale ont de quoi interroger. Le milliardaire avait-il le droit d’utiliser la plateforme X pour influer sur la campagne électorale ?
UN DROIT CONSTITUTIONNEL… MÊME SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
X est un réseau mettant en avant la liberté d’expression, concept essentiel pour les citoyens américains protégé par la Constitution des États-Unis de 1787. Le premier amendement interdit au Congrès d’adopter des lois restreignant “la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement”. Cette disposition protège donc la liberté de partager ses idées, y compris politiques.
Par une décision historique du 19 juin 2017, la Cour Suprême des États-Unis a considéré à l’unanimité que les réseaux sociaux bénéficiaient de la protection du premier amendement, affirmant que les plateformes, X inclus, représentent des espaces essentiels à l’exercice de la liberté d’expression.
Si la Constitution limite la liberté d’expression dans le cadre des discours incitant à la violence imminente, l’obscénité, ou encore la désinformation, la conception libertarienne du premier amendement par les Américains semble prédominer. Selon la professeure émérite et américaniste, Anne Deysine, “l’interprétation absolutiste” de la liberté d’expression en minore ces limites.
Ainsi, l’attitude du PDG de X est a priori “conforme” à la Constitution, bien que ses actions, à la frontière entre liberté d’expression et manipulation de l’information, suscitent des préoccupations morales.
L’IRRESPONSABILITÉ DES PLATEFORMES VIA UN BOUCLIER LÉGAL
Si l’utilisateur, Elon Musk, est libre d’exprimer ses opinions politiques sur X, le milliardaire, patron du réseau social X, Elon Musk l’est-il tout autant en période d’enjeu électoral majeur ?
La section 230 du Communications Decency Act de 1996 pose un principe d’irresponsabilité des plateformes pour les contenus publiés par les usagers, citant qu’ “aucun fournisseur d’accès ne sera traité comme un éditeur”. X bénéficie donc d’une protection substantielle, libre de diffuser et de modérer les contenus à sa guise.
Plusieurs interprétations faites par les juridictions fédérales laissent penser que la section 230 leur confère une immunité totale, sous couvert de bonne foi. Les conséquences sont évidentes : à terme, la liberté de modération par les plateformes, telles que X, pourrait entraîner la prolifération de discours de haine et de désinformation.
Théoriquement, cette liberté n’est pas absolue. La section 230 du Communications Decency Act doit respecter les autres lois fédérales.
Ainsi, Elon Musk pourrait se confronter à d’autres lois fédérales. Si ses actions sur X venaient à être considérées comme des contributions en nature, le milliardaire pourrait être soumis au Federal Election Campaign Act qui encadre le financement des campagnes électorales.
De la même manière, il pourrait être inquiété par les lois “antitrust”, s’il est constaté un abus de position dominante. Enfin, s’il venait à être démontré qu’Elon Musk a utilisé son réseau social dans le but de tromper les électeurs ou d’interférer sur le processus électoral, il pourrait alors se confronter à la loi sur la fraude électorale.
Ironiquement, Donald Trump avait tenté, en vain, de réformer la section 230 via la signature d’un décret du 28 mai 2020 afin de limiter la liberté de modération de Twitter. Et ce, suite à l’ajout de liens sur certains de ses posts, avertissant de contenus trompeurs.
Même si Elon Musk est libre de modérer comme il l’entend les contenus sur X, il pourrait être sur le fond restreint par des lois fédérales contraignantes, bien qu’elles soient rarement mises en œuvre du fait de l’interprétation “absolutiste” du premier amendement.
X, ENTITÉ PRIVÉE AUX PLEINS POUVOIRS ?
En revanche, une autre décision de justice pourrait renforcer le droit d’Elon Musk d’utiliser son réseau social pour faire la campagne du candidat de son choix. Dans une décision, Prager University v. Google LLC, la Cour d’appel du 9e Circuit a affirmé que YouTube est une entité privée et n’est donc pas soumis aux restrictions du premier amendement.
Ainsi, contrairement à un forum public, la plateforme vidéo peut modérer comme elle l’entend les contenus, y compris politiques. Partant de ce précédent, il en serait de même concernant X, et Elon Musk serait alors libre de promouvoir des contenus soutenant le Parti républicain.
Mais le débat est loin d’être terminé. Récemment, la Cour suprême s’est divisée dans une décision concernant deux lois votées au Texas et en Floride. Ces dernières visaient à contraindre les réseaux sociaux à diffuser sans discrimination tous les messages politiques postés par leurs utilisateurs.
L’affaire, renvoyée aux juridictions inférieures, n’a pas encore été tranchée sur le fond. Cependant, les opinions des juges de la Cour suprême étaient divergentes. Bien qu’une majorité de juges ait estimé que “le gouvernement ne peut s’immiscer dans les choix de modération des plateformes”, une minorité dissidente soutient l’inverse, comme l’explique, dans un article, le maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Sébastien Broca.
Il est certain que cette attitude pose une question nouvelle quant à la portée de la liberté d’expression au sein des plateformes et réseaux sociaux, ceux-ci étant classiquement exemptés, y compris dans le droit de l’Union européenne, de respecter des impératifs de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information.