par Julien CHASSIBOUT, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Le 19 novembre 2024, le député de la France insoumise (LFI) Ugo Bernalicis a déposé à l’Assemblée nationale la proposition de loi n°577, qui en son article 1er vise à abroger le délit d’apologie du terrorisme prévu à l’article 421-2-5 du code pénal. Une telle proposition alors que la France s’apprête à commémorer les dix ans des attentats de janvier 2015 mérite d’être éclaircie sur quelques points.
Un zoom sur la proposition de loi
Le député Ugo Bernalicis souhaite à travers la proposition de loi n°577, abroger le délit de provocation et d’apologie du terrorisme du code pénal « dans une volonté de préserver la liberté d’expression », propos repris et soutenus par la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, dans une interview le 24 novembre 2024 sur BFMTV.
Le dépositaire avance qu’en « expurgeant du droit pénal le recours à la notion d’apologie du terrorisme, et en renvoyant cette notion au droit précédent relevant de la loi du 29 juillet 1881 », les moyens de lutte antiterroriste prévus en France ne pourront plus être détournés de leur objet pour réprimer la liberté d’expression dans le débat politique.
Ainsi, cette proposition de loi permettrait de mettre fin à la « recrudescence de personnes mises en cause par la justice pour des faits d’apologie du terrorisme », comme c’est le cas pour la candidate LFI aux élections européennes Mme Rima Hassan, M. Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’union départementale de la CGT du Nord, ou bien encore Mme Mathilde Panot, présidente du groupe LFI-Nupes à l’Assemblée générale.
Il est vrai que de telles infractions sont interprétées en fonction des directives du ministre de l’Intérieur, en l’occurrence la circulaire relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël du 7 octobre 2023. Dès lors, une telle interprétation permet un blocage des contenus ou une condamnation facile pour ce qui est jugé comme terrorisme aujourd’hui. Mais le gouvernement ne considérait-il pas comme terrorisme les mouvements de Résistance il y a 80 ans ?
Une clarification du délit de provocation et d’apologie du terrorisme
L’article 5 de la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » a transféré les dispositions relatives à la provocation et l’apologie du terrorisme, initialement prévues par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 « sur la liberté de la presse », à l’article 421-2-5 du Code pénal. Ces dispositions ont été reconnues conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel en mai 2018.
Un tel changement n’est pas anodin. Cette loi du 13 novembre 2014 ne crée pas une nouvelle infraction, car l’apologie du terrorisme était déjà punie pénalement par la loi de 1881. Toutefois, ce transfert permet de sortir cette infraction du régime protecteur prévu pour sauvegarder la liberté d’expression. La définition du délit est restée la même, à savoir « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes », mais son régime a changé notamment par son délai de prescription plus long, l’alourdissement de la peine d’amende à 75.000 euros, la possibilité de mettre en œuvre de nouvelles techniques lors des enquêtes ou bien encore la possibilité d’une exclusion immédiate. Il y a également une prise en compte du contexte de diffusion lorsque de tels propos sont tenus sur Internet, afin de limiter leurs proliférations via les services de communication au public en ligne avec un alourdissement significatif de la peine d’emprisonnement et d’amende.
Récemment de nouvelles mesures, élargissant le champ d’application de l’article 421-2-5 du Code pénal, ont fait leur apparition à la charge de tous les éditeurs d’un service de communication au public en ligne ou aux fournisseurs de services d’hébergement. En effet, l’article 6-1 de la loi de juin 2004 « pour la confiance dans l’économie numérique » prévoit désormais qu’une autorité administrative (l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) peut ordonner le blocage des contenus qui font l’apologie du terrorisme.
Les enjeux qui se dessinent autour de cette proposition
Si l’exposé des motifs de cette proposition de loi n°577 et la déclaration de Mme Mathilde Panot sur BFMTV évoquent le renvoi du délit d’apologie du terrorisme dans le droit de la presse, l’article 1 de ladite proposition dispose que « l’article 421-2-5 du code pénal est abrogé », mais aucune disposition ne prévoit la réintégration de ce délit dans la loi de 1881.
Un autre enjeu crucial est la censure du délit d’apologie du terrorisme au nom de la liberté d’expression. Mais la liberté d’expression doit-elle être absolue ? Les textes qui consacrent et protègent la liberté d’expression comme la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en son article 11, dressent pourtant des limites prévues par la loi afin que son exercice soit concilié avec l’intérêt général, l’ordre public ou la protection du droit d’autrui. Or, l’infraction de provocation et d’apologie du terrorisme semble bien par sa gravité être l’exemple même d’une limite nécessaire à la liberté d’expression.
En conclusion, il parait difficile de concevoir une abrogation du délit de provocation et d’apologie du terrorisme du Code pénal. C’est ce que surligne le professeur E. Derieux dans un article sur le site de l’Actu-juridique de Lextenso, et ce que pourraient confirmer les enseignements de l’analyse de l’usage de l’article 421-2-5 du code pénal par les institutions judiciaires depuis son inscription dans le code pénal et depuis la circulaire du 7 octobre 2023 prévue par les articles 2 et 3 de la proposition de loi.