par Florian MESTRES, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Une élection présidentielle annulée en raison d’une campagne massive d’influence sur le réseau social TikTok. C’est l’évènement politique majeur qu’a connu la Roumanie après l’annonce, le 6 décembre 2024, par la Cour constitutionnelle roumaine de l’annulation de l’ensemble du processus électoral visant à élire un président.
Fondée sur l’article 146 de la Constitution roumaine, cette décision a été prise à la suite de la déclassification d’une enquête des services de renseignement roumains relatant une opération d’envergure coordonnée sur TikTok destinée à promouvoir le candidat d’extrême droite prorusse Calin Georgescu.
Peu connu du grand public, cet ancien haut fonctionnaire, crédité au maximum de 2 % des intentions de votes pendant la campagne, est arrivé en tête de l’élection présidentielle roumaine, avec 22,94 % des suffrages, le 24 novembre dernier.
Influenceurs rémunérés pour favoriser les contenus pro-Georgescu
Il ressort des enquêtes de médias et des services de renseignement roumains que des influenceurs auraient appelé leur audience à se rendre aux urnes, tout en incitant, de façon implicite, à voter pour un candidat dont la description correspondait au profil de Calin Georgescu.
Sous ces vidéos figuraient une quantité colossale de commentaires, issus d’environ 25 000 comptes auparavant peu actifs, en soutien au candidat prorusse. Ces messages apparaissaient également de façon significative sous les publications des autres candidats à l’élection présidentielle.
Toujours selon les services roumains de renseignement, plus d’une centaine d’influenceurs ont été rémunérés en contrepartie de la publication sur TikTok de contenus pro-Georgescu. Ceci, alors même que le candidat d’extrême droite affirmait que sa campagne avait coûté « zéro euro ». Le travail d’enquête a également mis en lumière plusieurs techniques mises à profit de façon coordonnée pour réaliser l’opération d’influence.
Contenus faussement originaux et usages massifs de mots clefs
L’une des méthodes consistait ainsi à modifier les vidéos en se servant des outils du réseau social afin de les faire passer pour des contenus originaux, de façon à ce que ceux-ci n’apparaissent pas comme des publications indésirables, dites « spam », et ne soient bloqués.
Tout un travail d’influence via l’utilisation systématique de mots clefs aurait également été mené. Les analyses des renseignements roumains soulignent à ce titre le bond quantitatif de publications mentionnant le nom « Georgescu » durant les deux semaines qui ont précédé le scrutin, le plaçant à la neuvième place mondiale des tendances sur TikTok. Ce niveau d’engouement, à l’échelle planétaire, pour un pays qui compte 19 millions d’habitants (dont 9 millions sont utilisateurs de la plateforme chinoise), surprend à tout le moins.
Du côté des responsables de ces manipulations à grande échelle, c’est en direction de la Russie que pointe le doigt du gouvernement roumain. Dans un communiqué du 5 décembre dernier, le ministère des affaires étrangères de Roumanie indique en effet que des méthodes d’actions similaires avaient été utilisées en Ukraine durant la « période précédant le début de l’agression par la Fédération de Russie ». Cette dernière, par le biais de la porte-parole de son ministère des affaires étrangères, Maria Zakharova, a démenti toute ingérence, dénonçant des « accusations de plus en plus absurdes ».
Une enquête ouverte par la Commission européenne
De son côté, TikTok réfute le constat d’une opération massive visant à favoriser Calin Georgescu. Le réseau social chinois concède certes avoir observé des tentatives d’influence du scrutin. Néanmoins, il les estime de faible ampleur et précise y avoir mis un terme aussitôt. À noter que la firme asiatique interdit en principe, sur ses espaces en ligne, les publicités politiques, y compris lorsqu’elles émanent d’influenceurs rémunérés pour promouvoir un parti ou un candidat.
Les explications de TikTok ont cependant peu convaincu la Commission européenne. Dans un communiqué de presse du 5 décembre 2024, la Commission a adressé au réseau social, en se fondant sur le règlement sur les services numériques (RSN), une injonction de conservation des données « concernant une éventuelle violation systématique des conditions d’utilisation […] interdisant le recours à des fonctions de monétisation pour la promotion de contenus politiques sur la plateforme ».
Le 17 décembre 2024, la Commission européenne a franchi un nouveau pas en annonçant l’ouverture d’une enquête contre TikTok pour non-respect du RSN. En cause : un potentiel manque de réaction face à la vague de contenus visant à influer sur le résultat de l’élection présidentielle roumaine. En cas de manquement avéré à ses obligations, le géant chinois pourrait se voir infliger, comme le prévoit l’article 74 du RSN, une amende pouvant atteindre jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial annuel.
Sources :
–COMUNICAT DE PRESĂ, 6 decembrie 2024 – Curtea Constituțională a României
–La Commission a renforcé son contrôle à l’égard de TikTok
–Percée de l’extrême droite pro-russe, élections annulées… La Roumanie en pleine ébullition
–Élection présidentielle en Roumanie : l’Union européenne ouvre une enquête visant TikTok