Durant trois jours, la France a été sous tension face à la série d’attentats « hors normes », selon le procureur de la République, François Molins. Retour sur ces évènements qui marqueront la France à jamais.
Mercredi 7 janvier 2015 : attentat terroriste à l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.
Le 7 janvier devait avoir lieu la conférence de rentrée de la rédaction de Charlie Hebdo. La réunion n’est jamais arrivée à son terme. Vers 11h30 deux hommes cagoulés, vêtus de gilets pare-balles et armés de kalachnikov s’introduisent dans le bâtiment situé au 10 rue Nicolas-Appert. Ils demandent à deux hommes de maintenance se trouvant à l’accueil où se situent précisément les locaux de Charlie Hebdo puis ouvrent immédiatement le feu tuant sur le coup l’un d’eux, Frédéric Boisseau. Par la suite, ils partent à la recherche de la rédaction, située au deuxième étage. Ils font alors irruption dans la salle où se trouve l’ensemble de l’équipe du journal et font feu en rafale sur les journalistes. Selon un témoin, les tireurs criaient «Allahou akbar» et affirmaient vouloir venger le Prophète. L’attaque coûtera la vie à sept rédacteurs et dessinateurs : Charb, Cabu, Tignous, Wolinski, Bernard Maris, Honoré et Elsa Cayat. Perdront également la vie dans cette tuerie Mustapha Ourras, un correcteur ainsi que Franck Brinsolaro, un des deux policiers qui assurait la sécurité de Charb depuis novembre 2011. Michel Renaud, invité par la rédaction ce jour noir, perdra également la vie dans cette fusillade. Les tireurs quittent immédiatement après les locaux. Un peu plus tard, un deuxième policier, Ahmed Merabet, sera achevé d’une balle dans la tête en tentant d’arrêter la fuite des tueurs. Le bilan est lourd : douze morts, onze blessés dont quatre dans un état grave. Plus tard, les assassins seront identifiés. Il s’agit de Saïd Kouachi et Chérif Kouachi connus désormais sous l’appellation « des frères Kouachi ».
Quand le terrorisme s’attaque à la liberté d’expression
Cette attaque n’est pas anodine. En effet, depuis plusieurs années déjà, la menace était présente au sein du journal. Mais l’équipe de têtes brûlées l’avait implicitement accepté. Charlie Hebdo se présente comme un journal satirique, caractérisé par ses nombreuses caricatures qui ne laissent personne indifférent. Charlie Hebdo, c’est celui qui « tape » sur tout le monde, que ce soit les musulmans, les juifs et même les catholiques. Et ne parlons pas des hommes politiques, sujets préférés et réguliers des crayons aiguisés des dessinateurs de l’hebdomadaire.
Mais Charlie Hebdo c’est aussi la représentation, dans toute sa splendeur, de la liberté d’expression. Liberté qualifiée de fondamentale, elle est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ainsi que par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950. La liberté d’expression est « un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En France, c’est la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui consacre ce droit et fixe comme limites la calomnie, la diffamation, l’injure, la provocation à la haine ou à la violence, ou encore l’apologie du terrorisme. Mais hors ces cas, peut-on tout dire au nom de la liberté d’expression ?
Sous couvert de ce droit de s’exprimer librement et de la création artistique, la loi autorise, entre autres, la caricature à condition de respecter les lois du genre. Selon le Larousse, la caricature est une «représentation grotesque, en dessin, […] obtenue par l’exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique.» La jurisprudence en la matière permet de conforter l’humour comme un droit subjectif et donc opposable devant les tribunaux. En 1992, le tribunal de grande instance de Paris consacre même un « droit à l’irrespect et à l’insolence ». Cette décision va dans la lignée du célèbre arrêt Handyside de la Cour européenne des droits de l’homme de 1976. Cette jurisprudence instaure le principe selon lequel « la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation ». Ainsi, la caricature, même provocante, est bien autorisée par la jurisprudence.
Autorisée, oui, mais pas sans limites. Il revient donc au juge judiciaire de contrôler le respect des lois du genre, limites au droit de caricature. C’est sur cette base que Charlie Hebdo publie ses dessins satiriques chaque semaine. Mais c’est également pour cette raison que le journal est un habitué des tribunaux. En effet, entre 1992 et 2014, il a connu environ cinquante procès suite à des plaintes quant à ses « unes » ou ses dessins. Mais les caricatures du journal ayant suscité les plus vives polémiques, et dont on suppose qu’elles sont à l’origine de l’attentat du 7 janvier dernier, sont celles du prophète Mahomet.
En 2007, le journal publie deux caricatures de Mahomet ainsi que la « une » (dessinée par Cabu) représentant « Mahomet débordé par les intégristes » et déclarant que « c’est dur d’être aimé par des cons ». La Grande mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) portent plainte. Le 22 mars 2007, le TGI de Paris relaxe le journal au motif que « le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions (…) ; ainsi, en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal “Charlie Hebdo”, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans. » Les juges en concluent que les lois du genre de la caricature ont été respectées.
En 2012, la polémique revient lorsque le journal récidive et publie de nouveau des caricatures de Mahomet. L’association syrienne pour la liberté dépose alors une plainte pour « provocation à la haine ». L’Association des musulmans de Meaux et de sa région dépose une autre plainte pour « diffamation » et « injure publique ». Mais la caricature est un droit consacré de manière claire par la jurisprudence. Si le droit de se moquer n’existait pas alors il n’y aurait plus de liberté d’expression. De plus, le journal ne se focalise pas sur un groupe. Il caricature tout le monde quelle que soit la religion ou l’appartenance politique. Les plumes des caricaturistes de Charlie ont comme seul leitmotiv le rire. Elles se moquent de tous et ne font pas de distinction entre les religions. Catholiques, juifs, musulmans sont tous logés à la même enseigne, et l’hebdomadaire n’est tendre avec aucun d’entre eux.
Quand la liberté d’expression s’attaque à l’apologie du terrorisme
Depuis ces évènements, les réseaux sociaux voient surgir de toutes parts des pages de soutien à Charlie Hebdo. Le soutien le plus célèbre d’entre eux : le hashtag « je suis charlie ». Néanmoins, certains ne sont pas Charlie et le revendiquent. C’est ainsi qu’on voit apparaître des propos qui peuvent être particulièrement choquants. Comme nous l’avons vu précédemment, si la liberté d’expression est reine, elle connait en revanche des limites et l’apologie du terrorisme en constitue bien une. Selon un décompte du ministère de la Justice, 54 procédures ont été ouvertes pour ce chef d’accusation depuis l’attentat contre l’hebdomadaire satirique. Le délit d’apologie du terrorisme peut être puni d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. La peine est aggravée si les faits sont commis en utilisant un service de communication au public en ligne. L’emprisonnement passe alors à sept ans et l’amende est majorée à 100 000 euros.
La première condamnation a eu lieu une semaine après l’attentat. Un homme de 28 ans écope de six mois de prison fermes devant le tribunal correctionnel de l’Isère. Les propos litigieux sont les suivants : « Ils ont tué Charlie, moi j’ai bien rigolé. Par le passé ils ont déjà tué Ben Laden, Saddam Hussein, Mohamed Merah et de nombreux frères… Si je n’avais pas de père ni de mère, j’irai m’entraîner en Syrie ».
Dans le même ordre d’idée, le même jour, l’humoriste Dieudonné a été placé en garde à vue. Il a publié sur sa page Facebook qu’il se sentait « Charlie Coulibaly ». Par ce statut, il associe le slogan de soutien au journal satirique, à savoir “Je suis Charlie”, au nom du preneur d’otages (Amedy Coulibaly) qui a tué quatre hommes juifs dans un supermarché cacher à Paris. Cette attaque a été perpétrée deux jours après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Le terroriste a clairement affirmé avoir agit de concert avec les frères Kouachi.
L’humoriste est un habitué des provocations. Dans cette affaire, Dieudonné se retranche, une fois de plus, derrière l’argument de la liberté d’expression. Son audience se tiendra le 4 février prochain. Mais les adeptes de l’artiste se questionnent : pourquoi la liberté d’expression protège-t-elle Charlie Hebdo et pas Dieudonné ? Quelle est la différence entre de tels propos et les caricatures de Charlie Hebdo ? La réponse doit être claire : si on a le droit de se moquer, on n’a pas le droit de promouvoir la haine, le racisme ou le terrorisme. De plus, Charlie Hebdo caricature tout le monde sans aucune différence. Dieudonné a contrario cible de manière récurrente une communauté religieuse en particulier. Que ce soit au travers de ses spectacles ou au travers de sa dernière intervention en ligne, il s’attaque sans détours aux juifs. Les propos de Dieudonné sont, de surcroît, apparus malvenus à l’heure où une prise d’otage crispait l’ensemble du pays. En matière d’humour, tout est affaire de contexte.
Aujourd’hui, la France a réalisé l’importance primordiale de la liberté d’expression. Comme l’avait judicieusement rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, il s’agit d’un « droit nécessaire à toute société démocratique ». Avant les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo, la liberté d’expression faisait partie de ces libertés « dormantes », considérées comme acquises et intouchables. Ancrée profondément dans nos mœurs et notre inconscient juridique, il apparaissait inconcevable de la voir remise en cause. La réaction massive de tous, que ce soit via les réseaux sociaux ou via les manifestations, montre à quel point lorsque cette liberté est attaquée tout le monde est prêt à se dresser pour sa défense.
Néanmoins, l’humour peut ne pas faire rire tout le monde. L’humour peut être critiquable lorsqu’il s’attaque aux croyances religieuses, autre liberté fondamentale de notre société. Mais la fonction du rire est bien celle de dénoncer les travers du monde qui nous entourent, le racisme et les préjugés. Si on nous supprime le rire alors que nous reste-t-il ? Une société opprimée par la peur d’une attaque, une société dont la liberté d’expression est amoindrie ? Nous avons le droit de rire et c’est un droit que nous devons continuer à défendre au nom de la liberté.
Je souhaite adresser le mot de la fin de cet article aux familles des victimes de ces trois jours sombres, tous solidaires … #jesuischarlie
SOURCES :
– SEELOW (S.), « Attentat à “Charlie Hebdo” : “Vous allez payer car vous avez insulté le Prophète” », lemonde.fr, publié le 8 janvier 2015, consulté le 9 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/08/vous-allez-payer-car-vous-avez-insulte-le-prophete_4551820_3224.html>
– ROBERT-DIARD (P.), « L’audience historique du procès des caricatures de Mahomet », lemonde.fr, publié le 7 janvier 2015, consulté le 15 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/attaque-contre-charlie-hebdo/article/2015/01/07/l-audience-historique-du-proces-des-caricatures-de-mahomet_4551139_4550668.html>
– LELOUP (D.) et LAURENT (S.), « “Charlie”, Dieudonné… : quelles limites à la liberté d’expression ? », lemonde.fr, publié le 14 janvier 2015, consulté le 15 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/14/de-charlie-a-dieudonne-jusqu-ou-va-la-liberte-d-expression_4555180_4355770.html>
– ANONYME, « 6mois ferme pour un homme qui avait “rigolé” de l’attentat contre Charlie Hebdo », ladepeche.fr, publié le 14 janvier, consulté le 15 janvier, <http://www.ladepeche.fr/article/2015/01/14/2028765-6-mois-ferme-homme-avait-rigole-attentat-contre-charlie-hebdo.html>