Dès le lendemain des attentats du 13 novembre 2015 envers Paris, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) fut assaillit de dépôts, de demandes d’enregistrements de marques telles que « JE SUIS PARIS» et « PRAY FOR PARIS ». Inutile de rappeler que ces demandes sont inspirées des multiples phrases et slogans de soutien sillonnants les réseaux sociaux aussi bien nationaux que mondiaux.
Dans un communiqué de presse en date du 20 novembre 2015, au même titre que les demandes d’enregistrement pour les marques « JE SUIS CHARLIE », l’INPI a annoncé qu’il refusait d’enregistrer les deux marques précitées ou leurs variantes, pour contrariété à l’ordre public.
Moins d’un mois plus tard, le 1er décembre 2015, la marque de Christian LOUBOUTIN fut enfin enregistrée comme marque communautaire suite à la validation, du Tribunal de l’Union Européenne, de la décision de l’Office de l’Harmonisation du Marché intérieur.
Les institutions ont dû toutes deux faire face à des questions de respect des conditions cumulatives sans lesquelles un signe ne peut être considéré comme constitutif d’une marque.
L’ordre public un obstacle légal à la recevabilité d’un dépôt de marque
L’article L711-1 du code de la propriété intellectuelle définit la marque comme étant « la marque de fabrique de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». De surcroit, le signe doit obligatoirement être distinctif, disponible, il faut alors vérifier la possible existence de droits antérieurs, et enfin le signe doit être licite.
Au sein du troisième critère figure l’obligation du respect de l’ordre public et des bonnes moeurs. En effet, le code de la propriété intellectuelle dispose en son article L.711-3 b) que ne peuvent être enregistrés comme marque les signes contraire à l’ordre public, aux bonnes moeurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite. De prime à bord un signe distinctif est considéré contraire à l’ordre public lorsqu’il est susceptible de porter atteinte à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société. Seront alors jugés comme contrevenant à la notion, les signes subversifs, obscènes, à connotations racistes ou incitant à l’usage de stupéfiants. Maître Alain BENSSOUSSAN, dans son analyse relative au refus du 20 novembre de l’INPI, rapporte aussi que les marques sont souvent refusées sur le fondement précité lorsqu’elles font référence à un service officiel, une activité réglementée ou contraire aux prescriptions impératives de la réglementation. Les condamnations sur les autres fondements évoqués restant rares, car bien souvent l’intitulé de la marque, eu égard au principe de signe distinctif, ne décrit pas stricto sensu les produits ou services vendus. L’exemple jurisprudentiel revenant le plus souvent en ce sens est celui du parfum commercialisé sous la marque OPIUM qui avait été admise par la cour d’Appel de Paris en 1979, bien que l’intitulé du signe soit lié à un stupéfiant interdit par la loi.
Les signes « JE SUIS PARIS » et « PRAY FOR PARIS », correspondent à aucun des critères précités, ainsi il pourrait être légitime de s’interroger sur la recevabilité d’un tel argument qui avait été également soulevé pour le signe « JE SUIS CHARLIE» en janvier 2015. Toutefois, la Cour de Cassation dans un arrêt du 29 mars 2011 rappelle que l’incrimination ne doit pas se limiter à ce qui est interdit par la loi et peut donc se rattacher à ce qui est « socialement acceptable en temps donné par un pays donné ». A ce titre faire du commerce sous l’égide d’une marque née d’événements aussi meurtriers et douloureux pour un pays en deuil et apeuré, est-ce vraiment acceptable ? Bien au contraire cela semble totalement immoral ! La réponse de l’Institut National de la propriété industrielle à cette interrogation, est donc légitime et compréhensible. Dans son communiqué de presse du 20 novembre 2015, il spécifie que « ces marques sont composées de termes qui ne sauraient être captés par un acteur économique du fait de leur utilisation et de leur perception par la collectivité au regard des événements survenus le vendredi 13 novembre 2015 ». Ainsi des slogans appropriés par les citoyens français et la population mondiale ne sauraient faire office de dépôt de marques à des fins commerciales. A noter que l’encadrement des noms de domaines et moins sévère, le fait est qu’un certain nombre de noms de domaines portent les termes exactes ou en usent dans l’ensemble du radical.
Pour conclure, la décision de refus de l’Institut national de la propriété industrielle a été saluée par de nombreux professionnels du droit comme Lionel Costes mais également par les médias tel que Télérama qualifiant les déposants de « vautours ». Les juristes et médias ne sont pas les seuls à approuver le refus d’enregistrement des signes «JE SUIS PARIS » et « PRAY FOR PARIS ». Les événements auxquels ils sont rattachés sont bien trop graves et actuels.
A un mois d’intervalle du refus de l’INPI, la marque de luxe française de sacs à mains et de chaussures, « LOUBOUTIN » a été enregistrée en tant que marque communautaire par l’Office de l’Harmonisation du Marché Intérieur. Un enregistrement semé d’embuches, car il fut l’objet de nombreux litiges -exemple de l’affaire l’opposant à ZARA- et d’opposition non pas pour contrariété à l’ordre public mais pour absence de distinctivité. Qu’en est il ?
LOUBOUTIN enfin reconnue marque communautaire
L’enregistrement d’une marque par l’INPI ne suffit pas à assurer une protection à l’étranger, la protection offerte par l’institution est seulement nationale. Le titulaire doit pour ce faire étendre son champ en déposant directement ou par l’intermédiaire de l’INPI, une demande d’enregistrement à l’Office de l’Harmonisation du marché intérieur (OHMI).
Au niveau communautaire, les principes d’enregistrement de marque et d’opposition sont identiques. Toutefois dans la situation factuelle il convient de se pencher sur la reconnaissance tardive de la marque communautaire à l’égard du signe de Christian LOUBOUTIN. En effet, comme rapporté précédemment, le célèbre créateur dut répondre à de nombreux démêlés avec la justice, car attaqué par différentes sociétés, mais également à des oppositions formulées auprès de l’autorité compétente. Il aura fallu un dernier périple de 5 ans pour que l’enregistrement du signe arrive à destination et devienne effectif.
Les conditions cumulatives afin qu’un signe soit enregistré en tant que marque communautaire sont les mêmes que celles requises par l’INPI, la procédure étant d’une certaine façon le prolongement de l’enregistrement national. C’est pourquoi, pour être communautaire, le signe doit toujours être susceptible de représentation graphique, distinctif et non descriptif, disponible et bien évidemment licite, comme vu précédemment avec « JE SUIS PARIS » et « PRAY FOR PARIS ». Toutefois il ne sera pas traité ici, avec l’affaire LOUBOUTIN, de cette condition mais celle de la distinctivité.
Ce 4 décembre 2015 le Tribunal de l’Union Européenne a validé la décision de l’OHMI du 28 mai 2014, prise en sa première chambre de recours. Cette décision visait le rejet du recours formé par la société ROLAND SE titulaire de droits antérieurs avec la marque « MY SHOES », à l’encontre de la décision de la division d’opposition en date du 21 juin 2013. Cette dernière reconnaissant la célèbre marque française de chaussure (et de sac) de luxe LOUBOUTIN comme marque communautaire.
En vertu du règlement du Conseil Européen du 26 février 2009, Christian LOUBOUTIN déposa un demande d’enregistrement de marque communautaire le 29 janvier 2010. Une demande qui fut dans un premier temps rejetée le 20 septembre 2010 et dans un second temps acceptée par l’OHMI en sa deuxième chambre de recours le 16 juin 2011. La demande de marque communautaire est alors publiée au Bulletin des marques communautaires n° 150/2011, du 10 août 2011.
Toutefois, trois mois plus tard le 10 novembre 2011 la société ROLAND SE forma opposition à l’encontre de la marque LOUBOUTIN. En l’espèce, la requérante considère que sa marque internationale figurative, sur laquelle elle possède des droits antérieurs, désigne aussi des chaussures et est composée d’un rectangle bleu et d’un rectangle rouge dans lesquels s’inscrivent les mots “MY SHOES » et que par conséquence il y avait absence de distinctivité. La division d’opposition rejette l’opposition dans son intégralité en 2013, suite à cela ROLAND SE forma un recours devant l’Office de l’Harmonisation dans le Marché intérieur. L’office quant à lui considéra que les deux marques en conflit ne présentaient aucune similitude visuelle pertinente et n’était en rien similaires. L’office rejoignit alors la division d’opposition et rejeta le recours de la société le 28 mai 2014 puis certifia le statut communautaire de la marque. Le rendu de la décision était formulé ainsi, « Dès lors, en l’absence d’une identité ou d’une similitude entre lesdits signes, qui constitue l’une des conditions cumulatives aux fins de la constatation de l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, elle a conclu que ledit risque était exclu en l’espèce ».
Au regard du site officiel de l’OHMI, la marque LOUBOUTIN fut une nouvelle fois déposée le 27 novembre 2014 suite à la décision de l’Office, resta en suspend jusqu’au 16 juillet 2015 date d’entérinement, par le Tribunal de l’Union Européenne, de la décision de l’OHMI. Le signe a alors été enregistré comme marque communautaire, le 1er décembre 2015 malgré la préexistence de « MY SHOES » désignant des chaussures est usant de la couleur rouge dans son logo. Christian LOUBOUTIN peut dorénavant s’opposer à toute marque pour contrefaçon, absence de respect des conditions cumulatives telle que le manque de distinctivité.
SOURCES :
COSTES (L.), « Refus de l’INPI d’enregistrer les marques, « Pray for Paris » ou « Je suis Paris » » <http://actualitesdudroit.lamy.fr/Accueil/Articles/>
SCHMIDT-SZALEWSKI (J.), « Marque de fabrique, de commerce, ou de service », < http://www.dalloz.fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=ENCY/COMR/RUB000129/ >
BECARD (T.), « Avis aux vautours, les marques “Pray for Paris” ou “Je suis Paris” ne seront pas enregistrées », <http://www.telerama.fr/monde/avis-aux-vautours-l-inpi-n-enregistrera-pas-les-marques-pray-for-paris-ou-je-suis-paris,134493.php>
CABINET ELKRIEF AVOCATS, Legalnews, « 04.12.2015 – TUE : ENREGISTREMENT DE LA MARQUE LOUBOUTIN À TITRE DE MARQUE COMMUNAUTAIRE », < http://legalnews.fr/flux/elkrief-avocats/view.php?id=317342>
TMVIEW, Base données de l’Office de l’Harmonisation du Marché Intérieur, < https://www.tmdn.org/tmview/bookmark?q=tm%3Alouboutin&lang=fr# >