par Inès ZARROUK, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Dans un monde en perpétuelle évolution, bouleversé par les changement numériques, sociaux et économiques, la question de la protection par le droit d’auteur est devenue complexe. Les décisions portant sur l’intelligence artificielle se multiplient outre-atlantique, elles posent plusieurs questions, portant notamment sur la reconnaissance un droit d’auteur aux créations intellectuelles. De nos jours, les artistes créent de nouvelles œuvres artistiques et visuelles à partir de nouvelles technologies, dont certaines sont dotées d’une intelligence artificielle. De fait, la créativité humaine s’en voit diminuée, notamment lorsqu’il s’agit d’œuvres générées artificiellement. Est-il possible de reconnaitre en tant qu’auteur d’une œuvre le logiciel ayant créé une image générée artificiellement ? C’est par la négative que le tribunal fédéral du district de Columbia a répondu dans sa décision du 18 août 2023, No. 22-1564 (BAH) rendu le 23 août dernier.
Le Copyright Act : la garantie d’une protection pour les créations intellectuelles « humaines »
Le système américain est un système de « common law » ; de fait, la jurisprudence est la principale source du droit et la règle du précédent oblige les juges à suivre les décisions prises antérieurement par les tribunaux. Le Copyright Act de 1976 exige que pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, il faut que ce dernier ait une capacité de travail intellectuel, créatif ou artistique. La protection par le droit d’auteur s’applique « immédiatement » à la création d’« œuvres originales dont la paternité est fixée dans tout support d’expression tangible », dans le respect de certaines exigences. En effet, l’enregistrement d’une œuvre n’est pas une obligation ; de fait, les droits de l’œuvre sont directement rattachés à celle-ci. Il devient obligatoire seulement pour agir en justice dans le cadre d’une action en contrefaçon. Enfin, le Copyright Act garantit la protection de toute création intellectuelle humaine (« of human beings »).
Il est intéressant de faire un parallèle avec le droit français, pour lequel le principe de la protection du droit d’auteur suppose aussi un auteur humain. L’article L. 111-1 du code de propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Cette condition humaine est confirmée à l’article L121-1 CPI, lequel illustre le droit à la paternité de l’œuvre, « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Ainsi, que ce soit en droit d’auteur français ou en copyright américain, des concepts similaires se rejoignent, notamment la « condition » d’humanité, qui est indispensable pour que l’auteur d’une œuvre puisse bénéficier d’une protection sur celle-ci.
Dans la décision d’espèce, Le demandeur Stephen Thaler a créé un système informatique la « Creativity Machine », laquelle aurait généré une œuvre d’art visuelle (une image générée artificiellement) de son plein gré. Selon lui, le travail aurait été « créé de façon autonome par un algorithme informatique fonctionnant sur une machine ». Ce dernier a souhaité enregistrer l’œuvre générée par la machine auprès du Copyright Office afin qu’elle soit protégée si elle venait à être contrefaite, en demandant à ce que seule la machine soit qualifiée d’auteur de l’œuvre. Le Copyright Office a refusé cette demande au motif que l’œuvre ne bénéficiait pas d’une « paternité humaine », une condition indispensable à la délivrance d’un droit d’auteur valide, selon le Copyright Act.
Une étude sérieuse de la jurisprudence antérieure : le reflet de la personnalité de l’auteur, une condition nécessaire pour acquérir une protection de l’œuvre par le Copyright Office
Si la protection par le droit d’auteur vise à encourager la création et la diffusion d’œuvres dans l’intérêt public plutôt que dans l’intérêt des auteurs, le critère d’un auteur humain est primordial. La paternité doit être humaine. La loi américaine dispose également que la protection du droit d’auteur sera accordée aux « œuvres originales d’auteur fixées sur tout support tangible », lorsqu’une œuvre est « fixée » « par l’auteur ou sous son autorité ». De fait, le tribunal du district de D.C. a estimé au regard de la jurisprudence antérieure (en remontant plusieurs siècles en arrière) que l’auteur de l’œuvre doit être présumé humain. Il s’est appuyé sur de nombreux cas, comme par exemple l’affaire Naruto (Naruto v. Slater) dans laquelle la qualité d’auteur d’une photo a été refusée à un singe. Il en est de même en droit de l’Union européenne, avec l’affaire Painer. Dans cette affaire, la Cour de justice de l’Union européenne avaient estimé que seul “les choix libres et créatifs” opérés apportaient une “touche personnelle” (CJUE., 1er décembre 2011, C-145/10, Painer), synonyme d’originalité qui rendait l’image digne d’être protégée en tant que création intellectuelle reflétant la personnalité de l’auteur et sa démarche intérieure.
Si l’arrêt Paradis (Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-19.021 P) rendu par une juridiction française avait dissocié l’originalité de l’œuvre de la personnalité de l’auteur, la justice américaine exclue cette possibilité. Elle considère qu’en l’espèce, the « Creative machine » n’a pas généré l’image litigieuse par des choix libres et créatifs, puisqu’elle a été créée et programmée par un logiciel lui aussi créé par Thaler. Le droit d’auteur a pour mission de protéger les œuvres dont l’originalité ou l’empreinte personnelle de l’auteur personne humaine sont perceptibles. De fait, bien que la machine soient une création dotée d’une intelligence artificielle, cette dernière ne dispose pas d’une personnalité tel qu’il est disposé dans le Copyright Act.
La multiplication de ce genre de conflit a conduit en France à une nouvelle proposition de loi laquelle vise à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur. Elle a été déposée le 12 septembre 2023 en France. Cette dernière propose de compléter le code de la propriété intellectuelle pour permettre aux artistes une meilleure prise en compte de leurs droits face au développement des IA génératives.
Sources :
- Légifrance : Articles L111-1 et L121-1 CPI
- Patentlyo.com : US District court of Columbia 18 août 2023, No. 22-1564 (BAH)
- TheVerge.com : AI-generated art cannot be copyrighted, rules a US federal judge
- Akingump.com : Generative AI Cannot Meet Authorship Requirement for Copyright Protection, District Court Rules.
- Dalloz : fiche d’orientation, droit d’auteur
- Dalloz Actualité : AI générative : le début des difficultés, ou quand l’IA et l’humain concourent à la création
- LexisNexis : Copyright et intelligence artificielle – Lignes directrices de l’US Copyright Office en matière d’examen et d’enregistrement des œuvres contenant du matériel généré par l’utilisation de la technologie de l’intelligence artificielle, Commentaire par Pascal Kamina
- wipo.int : L’affaire du selfie réalisé par un singe peut-elle être source d’enseignements sur le droit d’auteur?