par Pierre JACOULET, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Quand les grandes marques du monde du luxe sortent un nouveau produit révolutionnaire, il faut que le monde en parle. La publicité est donc travaillée méthodiquement par le marketing de la marque. L’objectif : faire acheter, peu importe le prix. Cependant, une limite est à ne pas franchir : celle de la publicité trompeuse. Mais Guerlain, avec sa nouvelle crème rajeunissante, semble l’avoir franchie de plain-pied. La société annonce en décembre une nouvelle crème utilisant une technologie quantique permettant d’agir directement sur les cellules de la peau afin de la rajeunir.
Le 2 janvier 2024, le Youtubeur G Milgram sort une vidéo dénonçant la tromperie derrière le terme quantique : d’une part, la technologie utilisée est loin d’être quantique, d’autre part, même si elle l’était, les effets seraient impossibles à obtenir.
Suite à cette vidéo, les membres de la communauté scientifique s’empare de l’affaire et chacun d’entre eux apporte leur pierre à l’édifice. Tous dénoncent la tromperie qui se cache derrière cette technologie.
Le physicien Étienne Klein explique via un tweet : « Finalement, exploiter à des fins purement mercantiles le fait que la culture scientifique ne percole pas bien dans la société relève d’une forme d’art. J’imagine que cet art s’enseigne dans certaines écoles ».
Guerlain tente de se défendre auprès de l’AFP, expliquant que la technologie utilisée est méconnue et que l’entreprise aurait collaboré avec des scientifiques de renom pour élaborer un tel exploit.
Cependant, la société ne semble pas croire elle-même à cet argument : elle rétropédale et retire le mot « quantique » sur la page du site présentant la crème, bien qu’elle le laisse sur la page générale présentant la gamme du produit.
Mais la question se pose : ce type de mention est-il légal ? Ainsi que la publicité que la marque en tire ?
Une crème quantique… pas si quantique ?
Si la crème rajeunissante paraît être une révolution, la communauté scientifique doute sur le processus. Il ne semble pas être clair pour le consommateur, et ne relève pas d’une réalité scientifique généralement admise. Ainsi, on peut se tourner dans cette affaire vers la publicité trompeuse.
L’article L. 121-1 du Code de la consommation pose un principe général d’interdiction des pratiques commerciales déloyales. D’après la DGCCRF : « Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. »
Par ailleurs, la loi distingue deux types de pratique déloyale : celle qui nous intéresse ici est l’action trompeuse. Il s’agit des pratiques commerciales qui contiennent ou véhiculent des faux éléments qui sont susceptibles d’induire en erreur le consommateur moyen, ou bien des vrais éléments, mais présentés de telle façon qu’ils conduisent au même résultat.
La loi vient préciser qu’une action est trompeuse lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant notamment sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service.
Dans le cas de Guerlain, la communauté scientifique l’explique bien : la technologie quantique utilisée n’existe pas, elle est inexacte. Ce n’est qu’une technique de marketing visant à faire acheter la crème.
Ainsi, n’étant pas une allégation de santé autorisée, la mention peut être, si aucune autorisation n’est donnée, considéré comme une action commerciale trompeuse.
La société peut donc s’exposer à une peine d’emprisonnement de deux ans (en cas de responsabilité du dirigeant) et une amende de 300 000 euros. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant le délit.
Qui peut agir ?
N’importe qui peut dénoncer une telle pratique. Une personne physique ou une association de consommateurs par exemple peuvent agir. Il suffit de le signaler à la DGCCRF via ce lien : /contact/contacter-la-dgccrf.
Pour ce qui est de la procédure, lorsque la pratique est signalée, un agent de la DGCCRF va constater l’infraction et pouvoir, par injonction, ordonner la cessation de la pratique trompeuse. L’agent peut aussi être ordonné de le faire par un juge d’instruction ou par le tribunal saisi des poursuites si la pratique est caractérisée via une plainte déposée par une victime ou une association de consommateurs.
Une affaire qui n’est pas finie.
Pour l’instant, aucune plainte ou signalement n’a été déposée auprès de la DGCCRF. Difficile de dire ce qu’il risque d’arriver à l’entreprise si l’action trompeuse est bien qualifiée.
Cependant, Guerlain a tout de même communiqué dans un tweet qu’elle « a pris acte des interrogations ou risques de confusion autour de l’utilisation du terme quantique. Guerlain, attachée à la bonne compréhension de ses messages et de sa recherche, a donc décidé de repréciser sa communication afin de lever toute ambiguïté. Guerlain regrette cette situation et rappelle son attachement à la science la plus exacte. »
Tweet qui ne passe pas auprès de la communauté scientifique puisqu’il est précédé d’une réaffirmation de la technologie utilisée. Guerlain croit en sa stratégie et continue d’affirmer que la technologie repose sur des faits scientifiques. Il faudra donc attendre de voir en cas de vérification par la DGCCRF si ces faits scientifiques sont véridiques ou non.
En parallèle, elle demande le retrait de la vidéo du youtubeur G Milgram, qui avait mis le feu aux poudres dans cette affaire, au motif que sa vidéo serait d’une part justifiée via des documents confidentiels internes, et d’autre part, qu’elle serait fausse. La vidéo n’étant toujours pas retirée, on peut envisager une possible action en diffamation par la société.
Pour rappel, la diffamation est prévue à l’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »
La vidéo pourrait faire l’objet d’un retrait ainsi que de poursuites si le youtubeur n’arrive pas à prouver la vérité diffamatoire, l’exonérant de sa responsabilité. Chose qui semble être simple au vu de l’entièreté des commentaires des scientifiques quant à cette crème. D’autant plus lorsque Guerlain utilise comme argument de défense que l’université partenaire de cette découverte dénonce elle-même la technique. Le doyen Martin Kabala explique que l’université « n’a aucune influence sur le fait que le nom commercial du produit est totalement dénué de sens d’un point de vue scientifique » et qu’elle refuse ce genre de publicité.
Cependant, la société n’a que trois mois à partir de la découverte de la vidéo pour porter plainte.
Si cette affaire n’est pas finie, elle semble quand même rester en stand-by. Effectivement, aucune action ne semble être prise envers Guerlain, alors même que la société semble reconnaitre son erreur, en retirant le mot « quantique » dans la description de son produit.
Par ailleurs, la société reste responsable, puisque la description de technologie quantique reste utilisée dans la description de la gamme de produits.
Finalement, cette affaire a permis de déceler une nouvelle problématique dans le marketing des produits de beauté, notamment dans le domaine du luxe. En effet, la communauté scientifique explique regretter la sur-utilisation de termes comme « quantique » dans la description des produits. Ils expliquent notamment via X que c’est une stratégie de plus en plus utilisée par les sociétés de luxe, sans pour autant que les termes utilisés soient les bons, ou que les techniques soient reconnues scientifiquement. Or, cette pratique a une haute valeur juridique, car comme vu auparavant, elle peut être considérée comme de la publicité trompeuse.
C’est ainsi une affaire à suivre, bien que pour le moment, aucune plainte n’ait été déposée, des deux côtés.