par Jehane HANNOUF, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Des mesures historiques envisagées pour réajuster la concurrence
Le 20 novembre, Bloomberg a dévoilé que le département de la justice américaine (DoJ), a déposé un document de 23 pages au tribunal du district de Washington D.C., demandant officiellement d’imposer au géant de la tech des « mesures coercitives » afin de mettre fin à ses pratiques monopolistiques.
Le moteur de recherche représentait, en septembre, 90% du marché mondial de la recherche en ligne et jusqu’à 94% sur les smartphones.
Cette demande fait suite à la décision en août dernier, du juge fédéral Amit Mehta, qui avait statué que Google avait violé la section 2 du Sherman Act et avait bien instauré des pratiques anticoncurrentielles visant à établir et maintenir son monopole dans le domaine de la recherche en ligne.
Ainsi le DoJ fournit des précisions quant aux sanctions proposées et demande notamment de mettre fin aux accords d’exclusivité en vertu desquels Google verse chaque année plusieurs milliards de dollars à Apple, Samsung et à d’autres fabricants de produits électroniques pour s’assurer de l’installation par défaut de son moteur de recherche sur leurs tablettes, ordinateurs et smartphones.
La mesure la plus ambitieuse est d’obliger le groupe de Mountain View à se séparer de son outil Chrome, le navigateur de Google. Le fait de posséder le navigateur web le plus populaire au monde est essentiel pour l’activité publicitaire. L’entreprise peut ainsi observer le comportement des utilisateurs connectés et utiliser ces données pour un ciblage plus efficace des publicités, qui génèrent la majeure partie de ses revenus.
Par ailleurs, l’autorité veut aussi empêcher Google de tirer profit de son système d’exploitation pour mobiles Android pour promouvoir ses autres produits. Elle évoque même une potentielle cession si le géant technologique ne respecte pas l’obligation de cesser d’y promouvoir ses propres services.
Chrome comme Android constituent des points d’accès majeurs au moteur de recherche, réduisant ainsi les chances des concurrents potentiels.
Le département de la justice cible les modèles d’IA
Le rôle de Google sur le nouveau marché de l’intelligence artificielle générative est également pris en considération. Google a récemment intégré la fonctionnalité « AI Overviews » au sein de son moteur de recherche dans une centaine de pays, permettant de générer des résumés de requêtes, sans avoir à cliquer sur des liens. Bing, de Microsoft, a développé un modèle similaire : l’OpenAI.
Pour le département américain de la justice, « la capacité de Google à tirer parti de son monopole pour alimenter des fonctionnalités d’intelligence artificielle constitue un nouvel obstacle à la concurrence, et risque d’appuyer davantage sa position dominante. »
De nombreux sites internet se plaignent d’une baisse de trafic et les rivaux de Google dans la recherche en ligne estiment que ce nouveau format ne leur laisse aucune chance d’émerger.
Ainsi, pour prévenir des abus de position dominante dans l’intelligence artificielle, le DoJ a demandé au tribunal de permettre aux éditeurs de sites web de refuser que leurs données soient utilisées pour l’entraînement des modèles d’IA de Google, à moins que ce dernier ne paie pour.
Quel impact pour la filiale du groupe Alphabet ?
Lancé en 2008, Google Chrome détient 67 % des parts de marché des navigateurs, surpassant désormais largement des concurrents comme Microsoft Edge ou Mozilla Firefox. La part d’Explorer et Edge notamment, les deux produits de Microsoft, est passée de plus de 60% à moins de 5%.
Si la demande de cession aboutissait, une telle vente, évaluée à 20 milliards de dollars, représenterait un démantèlement historique, marquant un tournant pour le Web.
Perdre Chrome signifierait pour Google abandonner une source importante de données qui alimentent ses algorithmes et renforcent sa position dominante dans la recherche en ligne. Cela métamorphoserait son modèle économique. Malgré tout, les observateurs ne voient pas dans cette éventuelle cession la menace d’une crise existentielle pour Google. Selon Beth Egan, professeur à l’université de Syracuse, une telle perte serait significative mais non insurmontable, à l’instar des ajustements face aux restrictions imposées par Apple sur les cookies.
Malgré l’ampleur de cette potentielle cession, la valorisation de Chrome laisse entendre que Google pourrait compenser cette perte par d’autres activités. La possibilité d’exiger une telle sanction marque un changement profond de la part des autorités américaines de la concurrence dont la politique anti trust était jugé trop permissive à l’égard des géants technologiques, depuis la tentative infructueuse de morceler Microsoft il y a vingt ans.
Quelle sera la position du gouvernement du président réélu ?
On peut déjà s’attendre à ce que le juge Amit Mehta ne suive pas les recommandations du gouvernement américain concernant Chrome.
Mais l’incertitude réside dans l’orientation que donnera le 45e président des USA, qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2025, à son département de la Justice concernant les géants de la Tech. Il ne faut pas oublier que c’est la première administration Trump qui avait ouvert la procédure contre Google en 2020.
Cependant, durant la fin de sa campagne électorale, Donald Trump déclarait dans une interview à Bloomberg qu’il n’était pas favorable à un démantèlement de Google, il estimait qu’une scission serait trop draconienne et pénalisante pour les États-Unis sur le plan international. Tout en se montrant très partagé sur le groupe californien, il avait déclaré «La Chine a peur de Google» ; « Ce que l’on peut faire sans démanteler l’entreprise, c’est s’assurer qu’elle est plus juste ».
Le juge fédéral pourrait se prononcer sur les sanctions en août 2025, après avoir reçu la requête officielle des autorités en novembre et entendu les deux parties lors d’une audition spéciale en avril. Mais plutôt que d’attendre une décision judiciaire, il est possible de penser qu’un arrangement pourrait plus probablement être trouvé entre l’administration Trump et Google.
Sources :
Le DoJ exige que Google cède Chrome pour briser son monopole sur la recherche Web
U.S. Proposes Breakup of Google to Fix Search Monopoly
Pourquoi Google est menacé de devoir se séparer de son navigateur Chrome
Google’s Chrome worth up to $20 billion If judge orders sale
US Justice Department seeks Google chrome sale to curb monopoly