par Ellie SOKOLO-KACOU, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
La CNIL a initié en novembre 2023 une procédure de contrôle sur l’utilisation d’un logiciel édité par la société BriefCam, utilisé par des services de police. Cette démarche fait suite à une enquête menée par le média Disclose. Ce contrôle s’explique par la nature même du logiciel : BriefCam est un système de vidéosurveillance algorithmique capable, dans certaines versions, de reconnaissance faciale et d’analyse accélérée de formes, d’objets ou encore de couleurs de vêtements au sein de flux vidéo, notamment issus de caméras de surveillance.
Rappelons qu’en droit français, aucune disposition légale n’autorise l’expérimentation de dispositifs de reconnaissance faciale en direct. Hors du cadre d’expérimentation spécifique aux Jeux Olympiques 2024, l’usage en temps réel de ces caméras dites « augmentées » demeure interdit. Cependant, les logiciels d’analyse automatique des images enregistrées peuvent être employés dans le cadre d’enquêtes judiciaires, mais uniquement sous des conditions strictement encadrées : leur utilisation est réservée aux officiers et agents de police judiciaire, et chaque recours doit être autorisé au cas par cas par le magistrat chargé de l’instruction ou saisi de l’enquête.
L’autorité souligne à cet égard que ces logiciels d’analyse vidéo constituent des traitements de données personnelles, relevant de la législation encadrant les logiciels de rapprochement judiciaire (LRJ). Elle précise également que leur usage doit respecter un cadre légal rigoureux, conformément à la loi. En effet, ces nouveaux outils vidéo peuvent conduire à un traitement massif de données personnelles, potentiellement à l’insu des personnes du fait du caractère « invisible » des logiciels d’analyse d’images intégrés aux caméras.
Ce jeudi 5 décembre 2024, la CNIL a publié les résultats de son enquête. À la suite de ses investigations, celle-ci a constaté que la fonctionnalité de reconnaissance faciale intégrée à BriefCam n’était pas utilisée par les services de police « conformément au cadre légal ». Elle a néanmoins relevé un cas ponctuel, rapporté par le ministère de l’Intérieur, d’utilisation de cette fonctionnalité lors d’une enquête judiciaire pendant les émeutes de l’été 2023. En conséquence, la CNIL a adressé un rappel de la loi au ministère de l’Intérieur, accompagné d’une mise en demeure. Cette mise en demeure exige que le ministère :
- Transmette les engagements nécessaires pour garantir la conformité des pratiques, tant pour les faits passés que pour les usages futurs.
- Supprimer une mise à jour du logiciel BriefCam ayant ajouté une fonctionnalité de reconnaissance faciale.
En parallèle, la CNIL a également enquêté sur l’utilisation de BriefCam par huit communes afin de vérifier les conditions dans lesquelles ces logiciels d’analyse automatique des images étaient employés. Si aucun recours à la reconnaissance faciale n’a été observé, six communes ont été mises en demeure. Les infractions relevées incluent :
- L’utilisation illégale de BriefCam pour détecter automatiquement des infractions comme le stationnement interdit, la circulation en sens inverse ou les attroupements. Ces pratiques, en principe interdites en l’état du droit, dépassent le cadre légal actuel.
- L’usage du logiciel à des fins statistiques, théoriquement licite, à condition que les citoyens soient correctement informés, ce qui n’était pas toujours le cas.
Enfin, la CNIL rappelle que les agents de police municipale ne sont pas habilités à mener des enquêtes de police judiciaire ou à effectuer des recherches telles que l’identification de plaques d’immatriculation sans réquisition judiciaire préalable. Elle demande donc aux communes concernées de mettre un terme à ces pratiques.
Les six municipalités mises en demeure, ainsi que le ministère de l’Intérieur, disposent désormais d’un délai de deux mois, à compter de la notification datée du 15 novembre 2024, pour se conformer aux demandes de la CNIL.
Sources :
Les caméras « augmentées » ou algorithmiques dans l’espace public | CNIL
Utilisation de BriefCam et d’autres logiciels d’analyse vidéo par l’État et des communes : la CNIL prononce plusieurs mises en demeure | CNIL