par Claire BEZARD, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Plusieurs personnalités publiques, institutions et médias ont récemment décidé de quitter la plateforme X (anciennement Twitter), invoquant principalement la prolifération de la désinformation et la diffusion de discours extrémistes. Parmi eux, Médiapart, la ville de Paris, Greenpeace France ou encore Grégory Doucet, maire de Lyon, ont annoncé pour la plupart partir du réseau social X le 20 janvier, jour de l’investiture du président américain Donald Trump.
Le journal d’information numérique Mediapart a annoncé son départ le 17 décembre 2024 en qualifiant X d’« arme de désinformation massive » et soulignant son engagement à « rechercher la vérité des faits », tandis que la mairie de Paris dénonce de son côté des soupçons « d’ingérence dans la vie démocratique de certains États ». Son premier adjoint, Patrick Bloche, déclare que « Par le biais de ses algorithmes, la toxicité croissante de X empêche tout débat public équilibré et serein ». L’élu souhaite que d’autres membres de l’exécutif municipal le suivent, notamment « dans le cadre de la démarche citoyenne portée par #HelloQuitteX ».
Rester ou quitter X ?
Peu de temps avant l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche, les annonces autour du réseau social X s’étaient multipliées, que ce soit pour y rester ou pour en partir.
Créée par un collectif français et pilotée par une équipe de développeurs coordonnée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) situé à Paris, l’opération “Hello quitte X” vise à aider les utilisateurs souhaitant transférer leurs abonnés et abonnements de X vers d’autres plateformes comme Bluesky ou Mastodon, jugées « plus compatibles avec la vie privée et la liberté d’expression ».
L’idée est donc de proposer des réseaux indépendants communiquant entre eux et dont les utilisateurs en auraient la propriété.
Une lutte contre la désinformation et les discours haineux à l’ère du numérique
Depuis son rachat en 2022 par Elon Musk, X a été largement critiqué par de nombreux médias et utilisateurs de propager de fausses informations et de ne pas accorder suffisamment de moyens pour modérer les échanges sur le réseau social. Le multimilliardaire défend une vision radicale de la liberté d’expression, rejetant ainsi toute forme de censure. Ce dernier s’est d’ailleurs vu confier le poste de conseiller spécial chargé de « l’efficacité gouvernementale » par Donald Trump.
Le départ de personnalités publiques ou d’institutions de la plateforme X soulève un véritable problème de fond lié à la multiplication des discours haineux, un sujet pourtant bien encadré par la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi consacre en France la liberté d’expression pour la presse écrite, audiovisuelle et, par extension, les publications en ligne. Toutefois, l’exercice de cette liberté n’est pas absolue, car elle peut être soumise à certaines formalités, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique. A titre d’illustration, les articles 24 et 33 de la loi répriment les appels à la haine ou les injures publiques basées sur l’origine, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap.
A l’échelle de l’Union européenne, le Digital Services Act (DSA) de 2022 impose également aux grandes plateformes des obligations strictes en matière de modération des contenus. L’essor de réglementations européennes telles que le DSA vise à obliger les espaces en ligne, comme X, à se conformer à des normes de transparence et à intensifier leurs efforts contre la haine et la désinformation.
Le rachat de Twitter a ainsi entraîné une réduction de la régulation sur la plateforme et notamment par le biais de licenciements dans les équipes chargées de combattre les fausses informations et les propos haineux. La modération sur X se serait donc largement recentrée sur les signalements des utilisateurs, mais sans intervention proactive des équipes, ce qui va à l’encontre des exigences légales du DSA, de la Loi sur la liberté de la presse ainsi que de la Loi contre la manipulation de l’information de 2018 s’appliquant en périodes électorales. De plus, un retour de certains comptes controversés a également eu un impact sur la plateforme d’après David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, « Il a rétabli beaucoup de comptes qui faisaient appel à la haine et qui étaient néonazis, il les a restaurés. Par ailleurs, lui, il s’est autorisé à suspendre des comptes qui lui déplaisaient par exemple des comptes de journalistes qui l’ont critiqué ».
Bien que La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) a déjà tenté d’interpeller X pour attirer son attention sur le manque de modération sur des propos racistes diffusés sur la plateforme et l’inciter à en prendre conscience, le réseau social semble perdurer dans ces dérives.
De ce fait, les départs de ces nombreuses institutions, médias et personnes s’inscrivent dans un débat sur le rôle des plateformes, qui se positionnent parfois comme des espaces de libre expression au détriment du respect de la vie démocratique. L’équilibre entre liberté d’expression et régulation devient un enjeu de plus en plus délicat. L’émergence d’un climat politique et sociétal marqué par la désinformation et la montée des discours extrémistes se manifeste de plus en plus à travers les réseaux sociaux. Dans un tel contexte, une question se pose : comment va évoluer le réseau social X ces prochaines années face à la propagation croissante de la désinformation ?