LA FETE DU TOUT-CINEMA

LA FETE DU TOUT-CINEMA

Les deux préoccupations essentielles (économique avec le tourisme et politique avec le prestige national) ont présidé aux origines du Festival de Cannes vont imprimer leur marque et en faire une grande fête internationale, ponctuée de feux d’artifices, de consécration aux étoiles, de croisière de luxe pour VIP et beautiful people. Pour beaucoup de célébrités et autres stars, les films ne sont que l’alibi de ces rencontres mondaines. L’évolution du Festival pourrait être racontée comme une grande fête touristique qui se défend d’une excuse cinématographique mais qui est aussi devenu la grand-messe du cinéma mondial…

DES MONDANITES DE LUXE ET DE DENTELLE

Aux premières années, le Festival a des airs de défilé de chars mais en dentelle, on s’y bat, mais ce sont des batailles de fleurs, les vedettes sont défilées sur des chars décorés de fleurs. On y livre aussi des batailles de luxe, de festivités, de banquets, de bals et de réception en tous genres. Le monde cinématographique italien (cinéastes, stars) ont toujours attiré l’attention populaire du public et des jurys successifs, et ce depuis le premier Festival qui eut lieu en 1946. L’hôtel Martinez fait figure dès lors de quartier général (aujourd’hui fief de Canal+) et les fêtes qu’il a abritées ont systématiquement fait la couverture des magazines à scandales. Celle qui remporte la palme (d’or évidemment !) c’est naturellement la « Nuit romaine » avec sa fontaine de Chianti et ses avalanches de spaghetti.

Mondanités de luxe, avec l’évènement en 1949 des 350 bouteilles de champagne de la réception italienne, en 1952, l’arrivée tardive à la réception italienne d’une paëlla cuisinée à Madrid dont l’avion chargé du transport a été détourné par une tempête et, en 1959, les 50 000 verres cassés à la réception du film Jamais le dimanche

De dentelles toujours, lorsque le journaliste de Match, Pierre Galante, avant d’épouser Olivia de Havilland, emmène Grâce Kelly à Monte-Carlo, où elle épousera, douze mois plus tard (1956), le prince Rainier. Ou lorsque la starlette Simone Silva fait scandale avec Robert Mitchum et provoque aux Etats-Unis une croisade visant à interdire Mitchum à Hollywood et le cinéma américain à Cannes.

Mais pendant la fête, le cinéma continue. Les critiques et les journalistes, qui formaient aux origines du Festival, une cohorte marginale dont on se souciait peu, prend de plus en plus d’importance et découvrent maintenant aux premières loges le nouveau visage du cinéma mondial : Orson Welles qui n’est encore qu’acteur dans Le Troisième Homme qui est sa première apparition à Cannes mais qui remportera sa Palme d’or avec le premier film qu’il présente, Othello, en 1952. Parmi les cinéastes américains découverts ou redécouverts, on retrouve, Kazan (Viva Zapata !, A l’est d’Eden), Zinnemann (Acte de violence, Tant qu’il y aura des hommes), Wyler (Detective Story, La Loi du seigneur), Minnelli, Wise, Mankiewicz, Hitchcock, Preston Sturges deviennent les plus populaires.

Les sélections françaises font apparaître les films de René Clément, de Jacques Becker (Antoine et Antoinette, primé mais Rendez-vous de juillet passe inaperçu) et d’André Cayatte (récompensé pour Nous sommes tous des assassins et Avant le déluge).

Des noms s’inscrivent dans les mémoires universelles : Fellini (Les Nuits de Cabiria), Bergman (Sourires d’une nuit d’été, Au seuil de la vie, Le Septième Sceau), Wajda (Kanal), Satyajit Ray (Pather Panchali, La Pierre philisophale), Antonioni (Mensonges amoureux), Malle (Le Monde du silence), Kurosawa (Si les oiseaux savaient).

La controverse de 1957 sur la définition du « film de Festival » est accompagnée du tumulte et la passion déclenchée par L’Avventura, en 1960, film de Michelangelo Antonioni. La projection du matin divise les journalistes et critiques entre partisans fanatiques et détracteurs sceptiques. La soirée officielle organisée en l’honneur du film est sifflée, puis un public déconcerté par des innovations techniques qui annoncent le cinéma moderne.

PIERRE VIOT, GILLES JACOB, FRANCOIS ERLENBACH : UNE NOUVELLE EQUIPE POUR UN NOUVEAU FESTIVAL

De 1972 à 1978, Robert Favre Le Bret, devenu président travaille en collaboration avec un délégué général Maurice Bessy, grande figure du journalisme cinématographique depuis les années trente. Il va être le fondateur des sections spécialisées hors compétition officielle (Les Yeux fertiles, Passé composé, L’Air du temps) qui viennent diversifier la programmation de Cannes et répondent à l’éclatement de la production. Maurice Bessy s’adjoint un jeune critique familier des courants modernes, Gilles Jacob, qui le remplacera en 1978. En 1980, Michel Bonnet est nommé secrétaire général, mais malade, il mourra peu de temps après, et sera remplacé par François Erlenbach. En 1984, après trente ans de présidence la cède à Pierre Viot, magistrat à la Cour des Comptes, grand commis de l’Etat qui a eu, entre autres charges, celle du directeur du Centre national du Cinéma, dont il connaît tous les mécanismes.
Entre temps, le Palais de la Croisette est devenu trop petit, et, en 1983, le Festival se voit offrir le Palais des Congrès. Le bon vieux palais est abandonné, chargé de glorieux souvenirs pour rejoindre l’énorme maison de béton, dont le système de circulation à l’intérieur est compliqué et des balcons tout en hauteur vertigineuse, bref peu adapté au cinéma. André Antoine, lui-même, qui organise toutes les projections cannoises depuis trente-sept ans part en claquant la porte. Il reviendra et tout le petit monde cinématographique devra se faire à cet édifice dépourvu de séduction mais qui va s’adapter, néanmoins, aux nouvelles activités du Festival qui se sont multipliées (la section Un certain regard est une sorte de seconde entrée avec un tapis bleu) c’est le passage de l’artisanat au professionnalisme.

Le Festival de Cannes a aujourd’hui un nouveau visage, le monde du cinéma s’interroge inlassablement sur le fait de savoir si le Festival a perdu son âme, évoquant avec craintes et nostalgies, le bon temps d’un Festival champagne avec ses grands films classiques et ses batailles de fleurs. Aujourd’hui, la foule se presse avec ses cartes magnétiques et ses accréditations infalsifiables, vers ces projection multipliées à l’infini tôt le matin ou tard le soir, symbole d’un cinéma éclaté qui fait ressortir sans cesse de nouveaux noms ou de nouveaux genres. Ce monde de bruit et de fureur transmute la perception de la sensibilité humaine comme en témoigne La Leçon de piano, Adieu ma concubine, Pulp Fiction, Underground, Secrets et mensonges, précieux films témoins. Au fait, n’appelle-t-on pas cela une manifestation marquée par la modernité ?

Un domaine comme le cinéma n’a que du vent à vendre (images, mythes, histoires…) est bien plus dépendant de la communication qu’un autre secteur, tout comme le Festival de Cannes. La télévision a envahi le tout-Cannes : les halls des hôtels, les restaurants, les plages privées des restaurants de plages et les ponts des bateaux alignés dans le port. Un grand nombre d’heures de programmes sont diffusées à partir de Cannes, Patrick Poivre d’Arvor y installe son 20H, le Grand Journal de Michel Denisot est diffusé en direct de la plage du Martinez.

Ce besoin de promotion télévisuelle du Festival pose un sérieux problème d’interpénétration du cinéma et de la télévision : il était logique que la télévision s’intéresse au Festival étant donné qu’il est un show continuel et permanent de célébrités aux terrasses des grands hôtels ou dans la rue. La télévision est tellement présente que les caméras filment toutes les entrées et va et viens des personnes célèbres, Cannes fait figure d’énorme studio de télévision à échelle réelle. La montée des marches, la cérémonie d’ouverture ou la proclamation du palmarès introduit les hommes, les procédés et le style de la télévision qui font du Festival une émission de variétés. D’ailleurs en 1987, le 40ième anniversaire du Festival est plus fêté que les films sélectionnés. De même, le délire médiatique provoqué par la venue de Madonna pour la présentation du film In Bed with Madonna. Des mesures sont prises, un nouveau partenaire est choisi (Canal Plus) est choisi pour les retransmissions d’évènements dont le Festival garde le contrôle. La devise étant que le Festival n’est rien d’autre que la célébration du cinéma, dont le cinéma est la seule vedette.

SMOKING OR NOT SMOKING ?

« Smoking-No Smoking » c’est par ce jeu de mot dans le titre du film d’Alain Resnais qui résume en un titre le débat qui anime le Festival cannois depuis près de cinquante ans. Au commencement était le smoking. La tradition des Casinos de Cannes exigeait une tenue de soirée, cette tradition s’est exportée jusqu’au Palais de la Croisette, ambiance glamour et élégante des mondanités qui y règne. La tradition est contestée par les célébrités et les snobs d’abords, rebelles par nature à toute règle. Pablo Picasso en sera le représentant. Lorsque Pablo Picasso annonce en 1953 qu’il viendra à Cannes pour la projection du Salaire de la peur, mais qu’il n’entend pas porter l’uniforme de rigueur, Robert Favre Le Bret et Jean Cocteau, président du jury, lui envoient deux journalistes en ambassade. Il est convenu qu’il sera le bienvenu en « tenue d’artiste », c’est sa célébrité qui lui sert de nœud papillon. En mai 1981, la montée des marches du palais des festivals de Jack Lang en cravate et chemise rose fait figure de manifeste politique. Une seconde catégorie de réticent se révèle beaucoup plus teigneuse, c’est celle pour laquelle Cannes est synonyme de plage, de soleil, de vacances. En 1949, le nouveau maire M. Antoni, prend la tête de ce combat stylistique souhaitant que ses touristes « soient à l’aise dans la ville la plus déshabillée du monde ». La révolte se prolonge renforcée par une longue guerre des cravates et nœuds papillon.

Aujourd’hui tout le monde accepte le respect de la tradition (avec plus ou moins de mal n’est pas B… ?) mais n’est plus remise en question. Il existe deux types de fêtes à Cannes : les fêtes fixes et les fêtes mobiles. Les premières ce sont les cérémonies où, le premier jour, le président du jury déclare ouvert, puis le dernier jour, déclare clos, le Festival, après avoir proclamés le palmarès. Les secondes ne peuvent être répertoriées car elles naissent chaque année à l’occasion d’évènements d’actualité : hommage à une personnalité, fête du souvenir, réceptions d’anniversaire, cette année l’évènement médiatique était la sortie en salle du film- évènement Da Vinci Code en présence d’un certain nombre de stars internationales qui a bénéficié d’un accueil mitigé voire très critiqué mais principalement en raison de la vexation des journalistes qui n’ont vu qu’une version de 38 minutes d’un film qui dure près de trois heures, malgré la somptueuse fête prévue le soir même de l’ouverture du Festival.

Sources :
Pierre Billard, Le Festival de Cannes, Gallimard, 1997
Myriam BENZAHRA