La loi du 10 août 1981, dite loi Lang, est selon le député UMP Christian Kert « érigée, en quelque sorte, au rang de patrimoine commun par tous les acteurs de la chaîne du livre ». Elle a en effet permis à la France de conserver un réseau très dense de librairies sur l’ensemble du territoire, en les protégeant de trop fortes pressions économiques. C’est dans cette optique qu’a été adoptée, le 3 octobre 2013, à l’unanimité la proposition de loi des députés Christian Jacob, Christian Kert et Hervé Gaymard. Cette proposition consiste en une modernisation de la loi Lang, et permet surtout que le principe primordial de cette loi, à savoir le prix unique du livre, soit désormais appliqué et respecté par tous les acteurs du marché du livre.
Une politique de dumping permise par l’évasion fiscale
A l’origine la loi Lang prévoyait que les éditeurs fixent le prix de vente du livre. Les libraires et autres acteurs avaient par la suite la possibilité d’effectuer un rabais de 5% maximum sur le prix initial. Cependant, afin de contourner cette loi, et pour pouvoir proposer des prix attractifs, les grands groupes de distribution de livre sur internet, tel que Amazon, ont proposé des frais de ports gratuits en plus de la réduction de 5% permise par la loi. Cette pratique est constitutif, pour beaucoup, d’une stratégie de dumping. En effet bien souvent les librairies ne peuvent pas se permettre de diminuer le prix des livres qui sont donc vendus au prix fort. Le consommateur se dirigerait donc plus naturellement vers les sites de vente en ligne pour effectuer ce type d’achat. Les librairies indépendantes représentent tout de même, encore aujourd’hui, une plus grande part des ventes de livres que les sites internet puisqu’elles constituent 23% de part de marché contre seulement 17% pour la vente en ligne. Selon le syndicat de la librairie française ( SLF ) « la politique de dumping d’Amazon est financée par l’évasion fiscale ». En effet en pratiquant la gratuité des frais de livraison, Amazon vend ses livres à perte. On estime que cette gratuité lui coûte 3,7 milliard d’euro par an. Cette somme est cependant infime en comparaison des sommes économisées par Amazon en implantant une filiale au Luxembourg – qui propose une fiscalité réduite pour les entreprises-, et en faisant converger son chiffre d’affaire réalisé en France vers cette filiale. Au cour de la séance parlementaire du jeudi 3 octobre 2013 le député Christian Kert a affirmé que « selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Apple et Facebook dégageraient entre 2 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, mais ne verseraient chacun, en moyenne, que 4 millions d’euros par an au titre de l’impôt sur les sociétés ». En octobre 2012 le fisc français avait d’ailleurs réclamé à Amazon 198 millions d’euros d’arriéré d’impôt, d’intérêts et de pénalités.
Une proposition mettant fin aux pratiques d’Amazon
Afin de mettre fin à ces pratiques, la proposition de loi prévoit donc une interdiction du cumul de la remise de 5%, permise par la loi de 1981, et de la gratuité des frais de port. Le quatrième amendement de la proposition de loi dispose que « Le quatrième alinéa de l’article premier de la loi ( …) du 10 août 1981 (… ) est complété par deux phrases ainsi rédigées :”Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit.” ». Pour la vente en ligne des livres, le prix du livre devra donc être celui fixé initialement par l’éditeur, cependant une réduction de 5% pourra alors être effectuée sur le tarif de livraison.
Cette proposition parait satisfaisante en ce qu’elle permet de faire respecter le principe de prix unique du livre par l’ensemble des détaillants, et ainsi de protéger les librairies indépendantes. Les députés auraient également pu proposer une interdiction totale de la gratuité des frais de livraison, cependant la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mai 2008 avait affirmé la légalité de cette pratique. Dans cette affaire le syndicat de la librairie française a assigné la société France télécom et la société Alapage.com pour concurrence déloyale. Le SLF estimait que le fait de faire bénéficier aux acheteurs d’une gratuité des frais de port était contraire aux dispositions de la loi du 10 août 1981. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 23 mai 2007, considère que le fait d’offrir les frais de port à l’acheteur, puisque cela consiste en une incitation à l’achat, caractérise une prime au sens de l’article 6 de la loi du 10 août 1981 et de l’article L.121-35 du code de la consommation. Elle condamne donc la société France télécom et la société Alapage.com à payer au syndicat de la Librairie française la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi. La Cour de cassation cassera l’arrêt d’appel au motif que « la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l’exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime ». Le contrat de vente est en effet un contrat synallagmatique, le vendeur a pour obligation de délivrer la chose vendue, l’acheteur de payer le prix. La livraison de le chose est donc à la charge du vendeur, qui peut, à bon droit, supporter le coût de la livraison. La Cour de cassation vient donc justifier la légalité de la gratuité des frais de port.
Suite à cette affaire Guillaume Husson, directeur général du SLF, avait affirmé que « si à l’issue des procédures il s’avérait que la loi n’est pas suffisamment claire, il faudra modifier la loi Lang pour clarifier l’interdiction de pratiquer la gratuité des frais de port sur le livre » Cette proposition de loi met donc fin à la bataille judiciaire que se livraient les libraires indépendants et les grands groupes de distribution sur internet.
Sources :
Bekmezian (H.) et Beuve-Méry (A.), « Prix du livre : droite et gauche unies pour défendre les libraires face à Amazon », lemonde.fr, mis en ligne le 3 octobre 2013, consulté le 5 octobre 2013. <http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/10/03/droite-et-gauche-unies-pour-defendre-les-libraires-face-a-amazon_3489379_3234.html>
« Le fisc français réclame 198 millions d’euros à Amazon », lemonde.fr, mis en ligne le 12 novembre 2012, consulté le 5 octobre 2013. <http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/11/12/amazon-admet-que-le-fisc-francais-lui-reclame-252-millions-de-dollars_1789455_651865.html>
Champeau (G.), « La Cour de cassation valide la gratuité des frais de port sur les livres », numerama.com, publié le 7 mai 2008, consulté le 5 octobre 2013. <http://www.numerama.com/magazine/9536-la-cour-de-cassation-valide-la-gratuite-des-frais-de-port-sur-les-livres.html>
Syndicats des libraires de France, Communiqué de presse, publié le 3 octobre 2013, consulté le 5 octobre 2013. <http://www.syndicat-librairie.fr/fr/communiques_de_presse>
Assemblée nationale, Compte rendu de la séance publique du 3 octobre 2013, consulté le 5 octobre 2013, <http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140006.asp>