L’ agitation qui règne aujourd’hui dans le monde de l’audiovisuel ne semble pas épargner le secteur de la publicité. Au début du moins d’octobre, la SMEREP (société mutualiste des étudiants de la région parisienne) a exprimé son intention d’attaquer l’ autorité de régulation professionnelle de la publicité (A.R.P.P), devant le Tribunal de grande instance de Paris. Et pour cause, celle-ci aurait exigé le retrait de certains de ses spots publicitaires.
Décision de l’Autorité de Régulation
L’autorité de régulation, à la suite de plusieurs plaintes, émanant de particuliers, de représentants d’associations féministes, et enfin du bureau de la Ministre du droit des femmes, aurait ordonné le retrait d’une partie des spots publicitaires de la campagne de la mutuelle étudiante, intitulée « Vos bonnes raisons ». Celle-ci avait été diffusée dans les salles de cinéma en juillet dernier, et l’est toujours actuellement sur internet.
Les plaintes ont incriminé les caractères sexiste et « contraire au principe de respect de la dignité de la personne humaine » (qui sont par ailleurs tout à fait discutables), des séquences publicitaires.
La SMEREP, malgré la décision de l’autorité, a non seulement décidé de maintenir la diffusion de la totalité de la campagne, mais en appelle à la justice pour contester l’autorité de l’A.R.P.P à son encontre. Elle demande au juge de « confirmer que la décision de l’ A.R.P.P ne lui est pas opposable »1. Il semblerait que cette réclamation ne soit pas dénuée de pertinence, et pousse à se pencher sur cette instance, à réanalyser ses compétences, et à interroger son avenir.
L’A.R.P.P : une autorité au statut associatif
Si l’A.R.P.P fait figure d’autorité, elle ne dépend cependant pas des pouvoirs publics. C’est une instance d’autorégulation, qui réunit les professionnels du secteur de la publicité.
Cet ancien « Bureau de Vérification de la Publicité », a vu le jour sous une forme initiale associative, en 1935. Il est né de la volonté des professionnels d’élaborer eux-mêmes leurs propres règles de déontologie. Leurs objectifs étaient d’éviter les écueils judiciaires et l’ « inflation législative » du secteur. C’est ainsi que naissait l’autorégulation de la publicité en France.
Au fil du temps, l’instance gagne en reconnaissance. Elle hérite en 1992 du contrôle à priori des publicités télévisées, qui incombait jusque-là à la Commission de visionnage. Elle sera chargée de veiller au respect des dispositions du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux concernant le régime applicable à la publicité et au parrainage.
Forte de sa notoriété, elle s’est autoproclamée « Autorité », en se renommant Autorité de régulation professionnelle de la publicité, en 2008. Elle se dote alors d’un organe de sanction, le JDP (Jury de déontologie publicitaire).
Mais son statut reste inchangé. L’ARPP est toujours une association. N’ayant reçu en tant que telle aucun agrément de l’Etat, ni habilitation, elle n’a aucune prérogative de puissance publique. Ce qui amène nécessairement des limites à sa capacité de sanctionner.
Limites de son pouvoir de sanction.
Une association de type loi de 1901 peut sanctionner ses membres, pour non respect du règlement intérieur, par un blâme voire une exclusion. Elle ne peut, en revanche, à défaut d’avoir été agréée ou habilitée par l’Etat, aucunement sanctionner de tiers.
Hors l’adhésion à l’A.R.P.P n’est pas obligatoire. Il convient donc de prendre en compte, dans l’analyse de ses compétences, si elle s’adresse à ses membres ou à des tiers. La Smerep n’est pas membre de l’A.R.P.P. Sa révolte est donc légitime, en tout état de cause, elle n’a pas à subir ses sanctions. La seule autorité pouvant sanctionner à posteriori un annonceur non-membre de l’A.R.P.P serait le C.S.A.
Mais on peut se demander, à juste titre, si l’A.R.P.P, forte de quatre-vingts années d’expérience, peut se méprendre à ce point sur ses prérogatives. As-t-elle réellement envoyé une demande de retrait à la Smerep ? Ne devrait-on pas analyser plus avant la nature de cette lettre ? En effet, si la lettre se borne simplement à rappeler les dispositions du code déontologique de l’A.R.P.P, la requête de la Smerep ne sera sans doute pas recevable.
Mais pourquoi cette situation de méprise, relativement unique, se produit-elle aujourd’hui ? Il se trouve que les conditions de divulgation de la campagne « Vos bonnes raisons » confrontent les parties prenantes à une situation nouvelle, et pour cause, la publicité a été publiée sur internet, et pas à la télévision.
Nécessité d’une redéfinition des compétences sur internet.
Si l’ autorité de l’A.R.P.P s’est en grande partie assise sur un contrôle à priori, celui s’effectue sur les publicités amenées à être diffusées à la télévision, uniquement.
Dans la situation présente, les films publicitaires ont été conçus pour la diffusion dans les salles de cinéma et sur internet. L’association, bien qu’équipée dans son règlement d’une recommandation pour internet*, n’effectue donc pas de contrôle à priori sur ces séquences.
La situation est donc exceptionnelle : elle se retrouve à traiter une plainte, la mettant en situation d’exercer un contrôle à posteriori, sur un acteur qui n’est pas membre de l’A.R.P.P. Hors ce rôle n’est pas, et ne peut être le sien. Les contrôles à posteriori, s’ils impliquent une sanction (autre que celle pouvant être prise dans le cadre de l’association envers ses membres), ne peuvent être effectués que par le C.S.A. Et en l’absence de définition des compétences du C.S.A sur internet, la difficulté est de définir qui est compétent pour examiner ces plaintes.
En définitive, cette situation questionne de manière indirecte le rôle que devra prendre l’ A.R.P.P sur internet. L’autorité devra-t-elle mettre en place un contrôle à priori pour les films publicitaires diffusés sur internet ? Cela est-il réellement envisageable ? Ainsi, pourra-t-elle conserver un ascendant sur ses membres et sur l’ensemble du secteur publicitaire ? Ou sera-t-elle complètement phagocytée par l’attribution des compétences du C.S.A ? A l’heure où on interroge la mise en place d’une co-régulation sur internet, on peut se demander quel rôle l’ “autorité” sera amenée à jouer.
1. selon les propos d’Annie Coutarel, Directrice générale de la Smerep, recueillis par l’A.F.P.
Sources:
DELCAMBRE (A), “La Smerep doit renoncer à sa pub jugée sexiste”, www.lemonde.fr, mis en ligne le 23 septembre 2013, consulté le 4 octobre 2013, disponible sur <http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/09/23/la-smerep-doit-renoncer-a-sa-pub-jugee-sexiste_3482729_3234.html>
PIQUARD (A), “Pub interdite : La Smerep veut contre-attaquer en justice”, www.lemonde.fr, mis el ligne le 4 octobre 2013, consulté le 4 octobre 2013, disponible sur <http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/10/04/pub-interdite-la-smerep-veut-contre-attaquer-en-justice_3490228_3236.html>
LEMOIGNE (A), “La Smerep s’apprête à assigner l’ARPP en justice”, www.stratégies.fr, mis en ligne le 4 octobre 2013, consulté le 4 octobre 2013, disponible sur <http://www.strategies.fr/actualites/marques/220981W/la-smerep-s-apprete-a-assigner-l-arpp-en-justice.html>
QUILLET (L), “Smerep: “L’Autorité de Régulation n’a aucune légitimité pour nous censurer””, www.lefigaro.fr, rédigé le 4 octobre 2013, consulté le 4 octobre 2013, disponible sur <http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/smerep-l-autorite-de-regulation-n-a-aucune-legitimite-pour-nous-censurer-3012/>
Site officiel de l’A.R.P.P: http://www.arpp-pub.org/