Depuis 2008, Youtube et TF1 se livrent à un combat judiciaire sans précédent. Le groupe audiovisuel accusait la plateforme de contrefaçon, de concurrence déloyale mais également de parasitisme. Or, Youtube en tant que simple hébergeur n’a pas été reconnu coupable par la justice. En effet, la plateforme n’a pas dépassé les limites de ses prérogatives; sa vocation consistant de permettre aux internautes de poster tout type de vidéos du moment que celles-ci restent d’une durée limitée. C’est seulement en ce mois de novembre 2014, que cette guerre a pris fin par le biais d’un accord amiable donnant naissance à un partenariat entre les deux parties.
Une bataille judiciaire acharnée de six longues années
Dès mars 2008, la chaîne française assigne la société Youtube devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des droits d’auteurs et droits voisins. Cependant, le 13 mai 2009, la juridiction se déclare incompétente pour juger un tel litige au profit du tribunal de grande instance de Paris.
C’est seulement le 6 mai 2010 que le groupe audiovisuel se constitue devant la juridiction invoquant la diffusion sans son autorisation d’extraits de ses programmes. En effet, la plateforme met en ligne la série « Heroes », diffusée sur la chaîne ainsi qu’une interview de Mylène Farmer au journal télévisé. Mais également un commentaire du journaliste Christophe Barbier sur la chaîne d’information continu LCI, des extraits de la série « Grey’s anatomy », ainsi qu’un spectacle de Gad Elmaleh.
Ces contenus avaient été mis en ligne avant même toute diffusion ou exploitation commerciale en France. Ainsi, TF1 estimant avoir des droits sur chacun de ces éléments a porté plainte pour contrefaçon et concurrence déloyale demandant environ 150 millions d’euros de dommages et intérêts. De plus, le groupe souhaite le retrait de toutes ces vidéos ainsi que la mise en place d’un système de filtrage efficace et immédiat des contenus. Par ailleurs, la chaîne accusait le site de parasitisme, considérant qu’il profitait des recettes budgétaires dont elle même se dit privée par la mise en ligne de ses contenus sur la plateforme.
Or, Youtube appartenant au groupe Google depuis 2006 est reconnu comme simple hébergeur. Ce statut lui offre un régime protecteur garanti par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). A ce titre, le tribunal a retenu que le fait que Youtube acquiert automatiquement les droits des contenus publiés n’était pas incompatible avec son statut juridique, qui suppose ne pas avoir de contrôle a priori sur les contenus mis en ligne. De plus, il considère qu’aucune perte de ventes de vidéos n’est démontrée notamment pour la reprise des journaux télévisés ou des émissions de télé-réalité qui ne sont pas vendues en DVD. En outre, le visionnage de vidéos accessibles sur le site de la société Youtube ne dure que quelques minutes ; il ne permet pas de voir un épisode de séries ou d’émissions périodiques en une seule fois comme le propose la VOD ou le DVD. Effectivement, le caractère très éphémère et ponctuel des vidéos sur Youtube n’interfère en rien avec le visionnage d’un vrai programme sur un vrai téléviseur.
Ainsi, la demande de TF1 a été rejetée par le tribunal, le juge refuse aussi d’imposer un filtrage à Youtube. De plus, il contraint la chaîne à verser 80 000 euros de frais de justice à Youtube pour toute cette tempête judiciaire. TF1 en désaccord avec ce jugement, souhaitait faire appel de cette décision, mais un terrain d’entente semble avoir été trouvé entre les deux parties permettant d’envisager une fin du contentieux.
Un accord à l’amiable et un partenariat inéluctables face au succès de Youtube
La hache de guerre a été enterrée par un accord à l’amiable entre les deux parties. TF1 qui souhaitait faire appel de la décision de la juridiction, s’est ravisé par la suite, abandonnant ce combat judiciaire afin de collaborer avec la plateforme. En effet, le groupe audiovisuel a compris que Youtube est devenu, aujourd’hui, un partenaire incontournable tant pour l’audience qu’il rapporte que pour les nouveaux modèles qu’il permet d’inventer. La plateforme a annoncé dans un communiqué « un partenariat relatif à la création par TF1 de chaînes et contenus originaux sur la plateforme » et a réaffirmé sa volonté d’accompagner l’utilisation par les ayants droit de son système de protection des contenus et plus généralement d’œuvrer pour garantir aux titulaires de droit, le contrôle de leur contenu sur le web.Les deux sociétés semblent avoir fait la paix.
Cette affaire illustre les difficultés relationnelles entre les chaînes de télévision et Youtube. Effectivement, ces dernières étaient à l’origine plus que tendues. L’objectif de la télévision était uniquement d’éviter de fournir à la plateforme, des contenus vidéo premium qui auraient facilité son développement et qui aurait dans le même temps dégradé la valeur publicitaire des chaînes. Cependant, la progression de l’audience vidéo sur Youtube depuis deux ans est d’une telle ampleur à coté de celle des chaînes de télévision que celles-ci ont envisagé ce parrainage.
Youtube est aujourd’hui le nouveau terrain de jeu des chaînes de télévision françaises.
A ce titre on peut noter l’exemple de M6, qui a fait le choix de lancer un partenariat entre sa plateforme de vidéos en ligne humoristiques Golden Moustache et le géant américain. Un partenariat couronné de succès, illustrant une nouvelle approche des chaînes traditionnelles qui semblent avoir pris conscience des spécificités de la plateforme en y proposant désormais des contenus sur-mesure. Par ailleurs, en annonçant un an auparavant le lancement de 20 chaînes sur Youtube, Canal Plus a fait une entrée remarquée sur la plateforme qui concentre les trois quarts des vidéonautes mensuels français. France Télévision suit également ce mouvement avec plus d’une vingtaine de chaînes.
Les formats 52 ou 90 minutes ne sont plus d’actualité, il s’agit de produire des formats courts à destination d’une cible plus jeune qui consomme souvent la vidéo sur son terminal mobile. En effet, 81% des 15-24 ans regardent la télévision et consultent des vidéos sur Internet via tablette, smartphone.
L’accord transactionnel entre les deux parties devrait être examine ce 19 novembre 2014 et devrait confirmer cette fin de bataille.
Sources :
HENNI (J.), « Piratage : TF1 et Youtube font la paix », bfmbusiness.bfmtv.com, mis en ligne le 14 novembre 2014, consulté le 20 novembre 2014, http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/piratage-tf1-et-youtube-font-la-paix-846561.html
CHAMPEAU (G.), « TF1 contre Youtube : notre analyse d’un jugement coup de poing », numérama.com, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 20 novembre 2014, < http://www.numerama.com/magazine/22741-tf1-contre-youtube-notre-analyse-d-un-jugement-coup-de-poing.html>
ANONYME, « Youtube gagne son procès contre TF1, en étant déclaré hébergeur », zdnet.fr, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 20 novembre 2014, < http://www.zdnet.fr/actualites/youtube-gagne-son-proces-contre-tf1-en-etant-declare-hebergeur-39772204.htm>
HAUSHALTER (L.), « Pourquoi la télé va sur Youtube ? », mis en ligne le 3 décembre 2013, consulté le 20 novembre 2014, europe1.fr, < http://www.europe1.fr/medias-tele/pourquoi-la-tele-va-sur-youtube-1729577>
DIEBOLD (J-B.), « Canal + se lance dans la télévision 100% web », challenges.fr, mis en ligne le 18 novembre 2014, consulté le, 21 novembre 2014, < http://www.challenges.fr/media/20141117.CHA0329/canal-se-lance-dans-la-television-100-web.html>