Depuis quelques temps maintenant, le streaming dépasse le téléchargement sur internet de manière franche poussant les interrogations sur les comportements des consommateurs d’internet. Ceux-ci sont moins patients et la technique du streaming se présente comme plus rapide, car utilise un débit moindre que le téléchargement et elle n’est pas sanctionnable par l’Hadopi, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet.
Ce résultat s’observe surtout pour les œuvres musicales puisqu’il est possible d’écouter presque tous les morceaux, quelque soit le style musical, à tout moment de la journée, de manière ponctuelle et même par le biais de playlists enregistrées et personnalisées. Selon l’Hadopi, 92% de la musique est consommée de façon légale en streaming grâce à l’utilisation massive des plateformes comme Spotify ou Youtube.
Youtube, deezer ou spotify : compromis de la culture de la gratuité
Le streaming est entré dans les mœurs et est avant tout une affaire de génération puisque malgré le fait que la télévision et la radio restent les médias les plus consommés, le streaming prend de plus en plus d’ampleur en matière de partage de culture. Des applications ont même vu le jour pour regarder des films en streaming sur les smartphones.
Certaines plateformes proposent du contenu en streaming tout en reversant une partie des revenus tirés des espaces publicitaires aux auteurs, c’est l’exemple de Youtube qui est la plateforme légale la plus utilisée par les internautes pour l’écoute d’œuvre musicale et le visionnage d’œuvre cinématographique. Le streaming n’est donc pas une activité illégale quand elle est régie par un contrat de cession légale des droits sur les œuvres entre les auteurs et les producteurs. En cas de non-respect des principes définis notamment dans les articles L.122-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, la justice est déjà intervenue comme dans l’arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris en novembre 2013 où 16 sites de streaming avaient été bloqués.
Les pratiques illicites sont aujourd’hui banalisées pour les internautes qui n’ont aucune difficulté à se procurer un lien hébergeur du contenu qu’ils convoitent. Une espèce de solidarité sur le net se met même en place pour les consommateurs de ces contenus. La Hadopi constate en effet avec inquiétude que les internautes qui consomment illégalement font souvent la démarche de partager des œuvres avec d’autres. D’après la Haute Autorité, 46% d’entre eux ont déjà partagé leurs fichiers, par échange direct entre internautes ou envoi sur un serveur, ce qui correspond à du piratage.
Si certains sites de streaming rémunèrent les contributeurs, la majorité d’entre eux préfèrent ne rien toucher par militantisme pour la gratuité. Cette forme de solidarité s’opère entre les consommateurs de ces contenus mais qu’en est-il des droits des auteurs de ces œuvres ? Le paradoxe est là puisque sans consommateurs, il n’y a pas de culture, mais sans rémunération des artistes, il n’y a plus de culture non plus. C’est pourquoi la Haute Autorité Hadopi a décidé de se pencher sur les phénomènes de streaming afin de prendre des mesures contraignantes. Mais pas seulement, puisque depuis quelques temps, l’Autorité s’intéresse également au ripping.
Le ripping ou comment contourner les risques liés au téléchargement
Dans son rapport annuel, la Hadopi relève qu’elle va se pencher sur le stream ripping. Ce rapport fait suite aux résultats obtenus lors de l’étude de 2013 réalisée par OpinionWay et demandée par Hadopi qui mettait l’accent sur le changement des comportements des consommateurs d’œuvres culturelles sur Internet.
Depuis septembre 2014, la Haute Autorité française met donc les bouchées doubles pour veiller à une meilleure protection des œuvres mises en ligne sur internet en luttant notamment contre les sites de streaming illégaux. Mais la Hadopi vise encore plus loin, puisqu’elle souhaite s’intéresser au ripping, technique bien connue des internautes, de captation numérique d’un fichier audio ou vidéo afin d’obtenir une copie pérenne d’un contenu diffusé en streaming. Cela se présente comme une extraction des données qui sont converties dans un format numérique, et cette pratique peut s’appliquer à un contenu originaire du streaming, d’où la notion de stream ripping.
La Hadopi se voit obliger de réagir contre ces nouvelles pratiques, suite aux constatations accablantes de Jean-Marc Bordes, ancien directeur de l’INA qui avait été missionné par l’ex-ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti pour se pencher sur « l’exposition de la musique dans les médias ». La justice confirme cette optique par des sanctions certes rares mais lourdes comme l’exemple l’an passé de l’étudiant créateur d’un logiciel de ripping sur Deezer (Tribunal correctionnel de Nîmes 28 juin 2013 ) qui avait été condamné à 15 000euros d’amende avec sursis et à 15 000 euros de dédommagement auprès de la SACEM, la SDRM et la SCPP. Sans compter les dédommagements des éditeurs de Deezer, mais l’étudiant a fait appel.
Quant au fait de prélever par « rip » un contenu disponible en streaming, la doctrine s’est demandée si cette copie ne pouvait pas se trouver dans l’exception de copie privée, d’autant plus que cette pratique est constamment en expansion.
Le ripping : une technique de captation pour un usage individuel ressemblant à la copie privée
Exception au droit patrimonial de la reproduction en matière de propriété intellectuelle, la copie privée fut durant longtemps la justification apportée par de nombreux contrefacteurs adeptes du peer to peer pour expliquer le téléchargement d’œuvres audiovisuelles. L’exception pour copie privée a été instaurée par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 et codifiée à l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle pour le droit d’auteur. Elle est uniquement admissible si la source de la copie est évidemment licite et ce depuis la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011 sur la rémunération de la copie privée qui modifie l’article L.311-1 du code de propriété intellectuelle. Cependant, cette licéité se vérifie-t-elle toujours ?
La rémunération s’opère en principe par un prélèvement variable selon les types de supports, et est utilisée pour 25% au soutien à des manifestations artistiques et est pour 75% attribuée aux auteurs, éditeurs, artistes et producteurs. Elle se fait sur la vente des dvd vierges ou sur les disques durs, c’est-à-dire les appareils et supports servant à la reproduction des oeuvres. Mais pourquoi celle-ci ne s’effectue pas sur les box et sur les téléphones ou tablettes qui sont les vecteurs des plateformes de streaming, origine des activités de ripping ?
D’autant plus que les producteurs et artistes ne touchent presque rien sur les sommes perçues par les plateformes de streaming alors que les évolutions liées aux usages numériques et aux possibilités de partages sont à l’origine, de véritables opportunités de diffusion de leur art. Les réflexions sur une rémunération proportionnelle que l’Hadopi entreprend depuis 2013 pourraient être une solution pour palier à ces disfonctionnements.
La perte de crédibilité de la riposte graduée et par extension de la Haute Autorité
En effet, l’Hadopi est quotidiennement attaquée sur son efficacité puisque trop peu de personnes sont condamnées par rapport au nombre d’actes d’atteinte au droit d’auteur constatés. La riposte graduée coute chère à mettre en œuvre et les résultats sont trop peu probants donc le budget qui était alloué à la Haute Autorité a été progressivement diminué. Il est aujourd’hui même divisé par deux par rapport au budget initial qui était de 12 millions d’euros, preuve que la confiance dans cette Autorité est plus que fragilisée.
Par ce nouveau combat que souhaite mener l’Hadopi, l’objectif parait peut-être trop ambitieux par rapport au nombre colossal de contenus « rippés » sur le web et l’éducation des internautes parait de plus en plus obligatoire pour que la culture audiovisuelle existe dans le futur et que son accès reste gratuit. La contribution à moindre mesure de tous les consommateurs serait donc une solution utopique certes, mais essentielle.
SOURCES :
REES (M.), « Copie privée ou non ? La Hadopi se penche sur le stream ripping », www.nextinpact.com, publié le 28 octobre 2014, consulté le 30 octobre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/90632-copie-privee-ou-non-la-hadopi-se-penche-sur-stream-ripping.htm?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter&utm_campaign=pcinpact >
SAMAMA (P.), « L’Hadopi scrute de près la littératie des pirates de contenus dématérialisés », www.01net.com, publié le 2 décembre 2013, consulté le 30 octobre 2014, <http://www.01net.com/editorial/609426/l-hadopi-scrute-de-pres-la-litteratie-des-pirates-de-contenus-dematerialises/ >
ANONYME, « Le piratage de 2013 : streaming sur smartphone, ripping et VPN », www.leparisien.fr, publié le 1er décembre 2013, consulté le 30 octobre 2014, <http://www.leparisien.fr/high-tech/le-piratage-de-2013-streaming-sur-smarthone-ripping-et-vpn-01-12-2013-3366547.php >
CHAMPEAU (G.), « Hadopi : le budget 2015 reste à 6 millions d’euros », www.numerama.com, publié le 29 octobre 2014, consulté le 30 octobre 2014, <http://www.numerama.com/magazine/31117-hadopi-le-budget-2015-reste-a-6-millions-d-euros.html >