Les trolls d’Internet sont des “lâches qui empoisonnent la vie de la Nation” Chris Grayling
Au Royaume-Uni, le ministre de la justice Chris Grayling a annoncé le 19 octobre dernier au Mail on Sunday, un journal britannique, sa volonté de durcir la peine envers ceux qu’on appelle communément les « trolls du net », ces individus qui postent à répétition des messages haineux sur les réseaux sociaux allant fréquemment jusqu’à menacer leurs victimes. La proposition de loi du ministre de la justice britannique fait suite à une série d’évènements particulièrement choquants. L’un des derniers cas en date est l’affaire concernant la jeune Madeleine McCann disparue le 3 mai 2007 dans le sud du Portugal. Les parents de la jeune disparue ont été littéralement harcelés sur les réseaux sociaux et ont fait l’objet de nombreuses menaces très inquiétantes. Ainsi, ces derniers ont été harcelé pendant des mois sur Twitter par une femme de 67 ans dont le pseudonyme était @sweepyface. Quelques jours après un reportage télévisé dans lequel elle revendiquait ouvertement être en droit de s’en prendre aux parents de « Maddie », elle a été retrouvée morte dans un hôtel de Leicester. Egalement, une autre affaire a secoué la toile concernant le top-modèle Chloe Madeley ayant fait l’objet de menaces de viol après qu’elle ait défendu les propos de sa mère concernant le footballeur Ched Evan condamné pour viol et sorti récemment de prison.
Ainsi, face à ces violentes polémiques sur internet, le gouvernement a décidé de réagir et de commencer une « chasse aux trolls ». « Il s’agit d’une loi pour combattre la cruauté et marquer notre détermination à prendre position contre les meutes aboyant sur internet » explique Chris Grayling. Pour cela, le projet de loi prévoit un alourdissement de la peine maximale encourue pour le harcèlement sur internet. Cette peine sera ainsi quadruplée passant de six mois à deux ans d’emprisonnement.
Mais qu’est-ce qu’un troll ?
En argot Internet, un troll désigne un message posté (généralement sur un forum) ayant pour objectif de provoquer des polémiques. Mais au fil de l’évolution de ce terme, on qualifie désormais également de « troll » une personne qui participe à une discussion dans l’unique dessein de susciter ou nourrir (artificiellement) une polémique. L’objectif du troll est de perturber l’équilibre de la communauté concernée. Pour cela, il emploie des termes très forts, particulièrement choquants, afin de provoquer un débat houleux sous couvert d’anonymat.
Afin de mieux appréhender ce phénomène des trolls, une équipe de chercheurs canadiens s’est penchée sur la psychologie des trolls. Dans un article publié par la revue Personality and Individual Differences ils expliquent que, pour eux, le trolling est « le fait de se comporter de manière destructive, disruptive et menteuse dans un contexte social sur Internet sans poursuivre un but apparent. […] Les trolls sont des agents du chaos sur Internet exploitant les sujets chauds pour exploiter l’émotion des autres utilisateurs. »
Les trolls peuvent être de différentes sortes. En l’espèce, ce sont les trolls pratiquant le « cyber-harcèlement » qui sont dans le viseur du gouvernement britannique. Il s’agit des trolls exerçant une pression psychologique sur leur victime. Cette pression se caractérise par la multitude de messages de menaces ou d’insultes envoyés à la même personne dans un laps de temps généralement assez long. Il s’agit des trolls les plus virulents et les plus dangereux puisque la pression qu’ils exercent sur leur victime peut être dévastatrice.
Si on se rend bien compte que la défense des personnes face aux trolls est indispensable, cette défense apparait comme délicate puisqu’elle met en jeu des droits fondamentaux.
Qu’en est-il de la liberté d’expression ?
Les trolls évoluent sur la toile grâce à une liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression. Liberté qualifiée de primordiale, elle est consacrée au niveau international par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ainsi qu’à l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950. Dans une très célèbre décision Handyside c/ Royaume-Uni du 7 décembre 1976, la Cour européenne des droits de l’homme précise que « La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de société démocratique. » C’est donc derrière cette liberté d’une importance primordiale pour toute société démocratique que se cachent les trolls. Néanmoins, comme pour toute liberté, cette dernière ne peut être totale sous peine de voir de nombreux individus en abuser. Tel est bien le cas de nombreux trolls.
Comment combattre les trolls ?
Afin de lutter contre le « trolling », et plus particulièrement contre le « cyber-harcèlement » plusieurs outils ont été mis en place. Cependant, sur internet, la difficulté est que ces messages sont souvent difficiles à enlever. En effet, ils peuvent être partagés à l’infini et donc changer de source. Leur prolifération est difficile à contrôler. De surplus, l’anonymat pose problème puisque dans la plupart des cas les messages litigieux sont postés sous un pseudonyme ne permettant pas d’identifier directement la personne. Néanmoins, si une personne fait l’objet des foudres d’un troll, certains dispositifs sont mis en place afin de contrer ces attaques.
En premier lieu, la victime du troll dispose de la faculté de signaler le contenu répréhensible. C’est le choix fait par les plateformes Vines, Youtube, Facebook et Twitter. Néanmoins, ce système apparaît pour certains critiquable en particulier du fait d’une solution qualifiée de « technique » apportée à un problème social. Le système mis en place est automatisé, dépourvu de toute intervention humaine ce qui pose problème face à un phénomène social et donc humain. De plus, ce système peut être utilisé de manière abusive par certains, souhaitant tout simplement faire taire l’autre lorsque les propos tenus sont contraires à leurs idées. Les chercheurs Kate Crawford et Tarleton Gillespie ont publié récemment une analyse dans laquelle ils préconisent la mise en place d’un processus de modération au public. L’idée serait de prendre pour exemple le jeu League of Legends qui a mis en place ce qu’ils appellent « le Tribunal ». Il s’agit d’un système de modération communautaire dans lequel les joueurs débattent entre eux des délits commis par les autres joueurs. Le système est totalement ouvert à tous et chacun participe ainsi à la régulation.
En second lieu, les sites proposant une interaction entre les membres (type forums) sont, généralement, composés d’une équipe de modérations. Ces modérateurs ont pour mission de veiller au respect des règles et au maintien de la bienséance. Pour cela, ils ont à leur disposition des outils de modérations spécifiques dont ils sont les seuls (avec les administrateurs) à pouvoir en disposer. Un modérateur n’est pas là pour faire de la répression mais de la prévention. Il supprimera ainsi les messages racistes, d’insulte, de diffamation, ou d’incitation à la haine ou à la violence etc. Néanmoins, ces modérateurs font souvent l’objet de critiques. On les accuse de faire de la censure. Or, si la frontière entre modération et censure est mince, la suppression d’un message d’incitation à la haine ou à la violence par exemple, apparaît clairement comme une forme de modération et non comme une censure. Si la liberté d’expression est la clé de voute de toute société démocratique on ne peut l’utiliser sans limites.
Egalement, des associations participent au combat des trolls par le biais de signalements effectués par les internautes. Par exemple, la Ligne internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a reçu, pour l’année 2013, 1377 signalements de contenus haineux sur Internet. Pour l’année 2014, elle en a déjà reçu 1532 de ce type.
Et pendant ce temps en France …
En Angleterre, les sanctions en cas de cyber-harcèlement sont prévues par le Malicious Communications Act de 1988 qui mentionne spécifiquement les communications électroniques. Ce n’est pas le cas en France. En effet, “Il n’existe pas deux types de loi. Sur internet, c’est le régime pénal classique qui s’applique” explique Julien Fournier, avocat au barreau de Paris.
Ainsi, en France, aucune loi spécifique ne vient consacrer la lutte contre le cyber-harcèlement. C’est le régime classique qui viendra s’appliquer à ce type de situation. Ce seront donc les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 tels que l’injure publique (comme la publication d’un statut Facebook ou d’un tweet par exemple) ou privée (par l’envoi d’un courriel) par exemple.
Néanmoins, le gouvernement français a pris acte de ce manque. C’est ainsi que, par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, il a intégré dans le code pénal un nouvel article 222-33-2-2 qui prévoit que les faits de harcèlement commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Egalement, la réponse policière et judiciaire s’est durcie en France. Ainsi, il a été mis en place « Pharros », une cellule spécialisée au sein de la police judiciaire dont la mission est de traquer les trolls d’internet.
Aujourd’hui, il apparaît que la haine sur internet se développe de plus en plus. La problématique soulevée par ce comportement social nouveau est celle de trouver un juste équilibre entre liberté d’expression et canalisation de la violence sur internet. Si les pouvoirs publics, britanniques ou français, ont montré une réelle volonté de durcir la répression contre ce phénomène, la tâche apparaît malaisée du fait d’une liberté d’expression trop importante pour nos sociétés démocratiques. De plus, ce phénomène s’étend aujourd’hui aux mineurs. De nombreux collégiens ou lycéens font l’objet d’une pression sociale via les réseaux sociaux ce qui pose un réel problème. Ces générations ont grandit avec internet et très souvent ne font plus la différence entre le monde réel et le monde virtuel.
On voit donc bien aujourd’hui qu’un équilibre n’a pas encore été trouvé sur internet mais la liberté d’expression, si chère à nos sociétés, commande tout de même que ces abus soient réprimés. Toute la question est de trouver la juste mesure.
SOURCES :
GUILLAUD H., « Contenus répréhensibles : pour des systèmes de modération communautaires et ouverts ! », internetactu.blog.lemonde.fr, mis en ligne le 15 octobre 2014, consulté le 22 octobre 2014, <http://internetactu.blog.lemonde.fr/2014/10/15/contenu-reprehensibles-pour-des-systemes-de-moderation-communautaires-et-ouverts/>
GUILLAUD H., « Faut-il combattre les trolls ? », internetactu.blog.lemonde.fr, mis en ligne le 18 avril 2014, consulté le 10 octobre 2014, <http://internetactu.blog.lemonde.fr/2014/04/18/faut-il-combattre-les-trolls/ >
LORRIAUX A., « Harcèlement sur internet, peut-on lutter ? », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 28 juin 2012, consulté le 10 octobre 2014, <http://www.huffingtonpost.fr/2012/06/27/harcelement-sur-internet-peut-on-lutter_n_1631367.html>
MATALON V., « Internet : quel sort la loi réserve-t-elle aux trolls français ? », francetvinfo.fr, mis en ligne le 21 octobre 2014, consulté le 22 octobre 2014, <http://www.francetvinfo.fr/internet/internet-quel-sort-la-loi-reserve-t-elle-aux-trolls-francais_724103.html>