Le chanteur Michel Sardou est actuellement revenu sur le devant de la scène médiatique grâce au succès du film « La Famille Bélier » mais pas seulement. Depuis début décembre 2014 en effet, une lettre adressée au Président François Hollande et signée du chanteur circulerait sur le net et notamment par le biais des réseaux sociaux. Celle-ci contient des propos racistes mais également injurieux envers le Président.
Mais malgré son tempérament provocateur, le chanteur poste un message début janvier sur Twitter en déclarant que la « lettre » en question n’est pas écrite de sa main et qu’il est victime d’une usurpation d’identité. Il porte plainte contre X.
« Je vole » l’identité de Michel Sardou
L’usurpation d’identité est un véritable fléau que les juges ont déjà eu à condamner. Elle est pénalement reconnue par l’article 226-4-1 du code pénal qui dénonce le fait de faire usage d’une ou plusieurs données permettant d’identifier une autre personne et ce dans l’intention de lui nuire. Pour ce faire, les éléments d’identité civile sont dérobés par une tierce personne souhaitant les utiliser à des fins malhonnêtes.
Les poursuites pour usurpation d’identité confirment le droit à la vie privée des personnes et peut être opposé à la liberté d’expression. Ce principe est fortement protégé en droit français par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen mais il existe néanmoins des exceptions que sont la diffamation ou l’injure. L’honneur d’une personne doit être constamment protégé, même si celle-ci est une personne publique. D’autant plus que ces personnalités sont constamment surexposées dans les médias et des personnes sont tentées de poster tout et n’importe quoi qui ferait le buzz sur le net, même si les faits sont totalement inventés.
S’ajoute à cela le fait qu’ Internet permet le développement des avatars, pseudonymes et anonymes. Le droit à l’anonymat est par ailleurs un droit reconnu à l’article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique de 2004. Si ce droit peut s’avérer utile pour certains internautes, il est un danger pour autrui puisqu’il peut être détourné afin de se faire passer pour quelqu’un d’autre.
L’anonymat permet alors la multiplication des identités numériques et par ricochet, des dérives comme l’usurpation d’identité qui entraine la violation de la vie privée. Il devient alors très simple de se faire passer pour Autrui via les réseaux sociaux en créant par exemple de faux comptes, ce que le TGI de Paris, dans un arrêt de la 17ème chambre du 24 novembre 2010 avait fermement condamné en déclarant que « l’avatar fictif parasitait la vie privée ». Et rappelle qu’en vertu de l’article 9 du Code Civil, « toute personne a droit, qu’elle que soit sa notoriété (…) au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même les limites de ce qui peut être divulgué à son sujet. »
La cyber délinquance devient omniprésente et ces individus pensent pouvoir librement s’affranchir des obligations juridiques de la vie dite « réelle ».
« La maladie d’amour » entre les individus et le web
Avec le développement dès les années 90’ du web et de l’individualisation des internautes, les comportements sociaux et interpersonnels ont changé. Les gens trouvent du travail par Internet, cherchent l’amour sur les sites de rencontres et donnent des nouvelles à leurs proches dans le monde entier de manière instantanée. Les personnes réagissent également beaucoup plus sur les réseaux sociaux et participent virtuellement au débat lié à l’actualité, et ceci de manière anonyme ou non. Ainsi, des réactions « à chaud » sur des événements d’actualité sont publiées de manière totalement publique sans que la personne concernée n’ait aucune idée des conséquences que ses propos puissent avoir sur sa réputation. L’utilisation abusive de ces réseaux entraine la multiplication des personnalités fictives.
L’histoire d’amour entre Internet et les individus se complique encore plus dans le temps puisque chaque chose écrite un jour au détour d’un blog est conservée pour toujours, même au-delà de notre propre mort. Ces faits relancent donc le débat sur le droit à l’identité numérique récemment controversé par le devenir des données personnelles notamment après la mort d’une personne sur le web. Mais avant ça comment peut-on protéger son identité 2.0 ? Cette gestion de l’identité numérique intéresse toutes les entités, de l’individu aux Etats, en passant par les entreprises.
Lorsqu’une identité est usurpée, l’intention de nuire est facilement déterminable puisque même s’il s’agit d’une blague ou d’un canular, la personne fautive ne peut ignorer l’existence de la victime, et les conséquences s’en trouvent décuplées du fait de l’impact démesuré du web et de son caractère transfrontalier.
Le fait de pouvoir identifier l’usurpateur par le biais de l’adresse IP peut être une solution rassurante mais la procédure est longue pour découvrir le responsable.
Un premier jugement sur l’usurpation numérique a eu lieu en France par un jugement du TGI de Paris le 18 décembre 2014 où le tribunal a condamné l’usurpateur à 3000 euros d’amende et le complice qui n’est autre que l’exploitant du serveur à 500 euros sur le fondement de l’article 226-4-1 du code pénal. Avant cela, la notion d’identité numérique n’avait pas sa place dans le système juridique français.
Cette affaire concernait une autre personnalité française, Rachida Dati pour la publication de faux communiqués de presse concernant ses activités après une ingérence d’utilisateur malveillant sur son site rachida-dati.eu. Cette décision marque un tournant dans la jurisprudence française puisqu’elle offre un nouveau regard sur le droit des données personnelles qui est de plus en plus protégé, et la négligence de la victime ne peut pas exonérer les auteurs de tels faits.
La notion d’identité est malmenée avec les nouvelles technologies et les éléments qui en composaient la définition classique comme le nom, ou le numéro de sécurité sociale, sont fragilisés du fait de la difficulté quant à leur authentification. Ainsi désormais, d’autres éléments déterminants de l’identité peuvent être pris en compte pour identifier une personne. Ses coordonnées certes mais également les commentaires ou les photographies publiées sur les réseaux tels qu’Instagram ou Pinterest constitueront désormais l’identité numérique. Le chanteur a donc raison de réagir vite afin de faire valoir son droit à l’oubli puisque non seulement ces propos sont diffamants pour lui, mais ils pourront en plus rester référencés durant de nombreuses années portant préjudice à sa réputation certes quelque peu provocante mais pas extrémiste.
SOURCES :
JARDONNET (E), SICLIER (S), « Michel Sardou porte plainte pour une lettre “ordurière et xénophobe ” diffusée en son nom », www.lemonde.fr, publié le 6 janvier 2015, consulté le 15 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/musiques/article/2015/01/06/michel-sardou-porte-plainte-pour-une-lettre-orduriere-et-xenophobe-diffusee-en-son-nom_4550329_1654986.html >
MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, ET DE LA RECHERCHE, « Internet responsable », www.eduscol.education.fr, consulté le 15 janvier 2015, <http://eduscol.education.fr/internet-responsable/ressources/legamedia/identites-numeriques-et-usurpation-didentite.html >
REES (M), « Condamnation pour usurpation d’identité et exploitation d’une faille XXS », www.nextinpact.com, publié le 30 décembre 2014, consulté le 18 janvier 2015, <http://www.nextinpact.com/news/91561-condamnation-pour-usurpation-d-identite-et-exploitation-d-une-faille-xss.htm>