Depuis l’échec de Google Spain, l’équilibre global des droits et libertés sur Internet a été modifié ; transformant le régime de responsabilité des moteurs de recherche. En effet, le 13 mai 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), après avoir considéré le gigantesque américain comme un responsable de traitement de toutes les données à caractère personnel qu’il détient, l’a condamné à exercer le droit à l’oubli des internautes. Le droit à l’information bien que corollaire de la liberté d’expression ne doit pas empiéter sur le respect de la vie privée des individus et sur leur droit à l’oubli numérique. A ce titre, on peut parler d’un réel casse tête pour Google qui, depuis ce jugement, doit mettre en place un système adéquat face à l’attente de milliers d’internautes, soucieux de la protection de leurs données personnelles.
Une première épine dans le pied pour le géant américain : le droit à l’oubli contre le droit à l’information du public
Google, malgré les embûches qu’il rencontre, n’est jamais perdant. On peut prendre l’exemple, de la fermeture de Google News en Espagne, lorsque la presse espagnole lui demanda de payer une taxe sur le fondement des droits d’auteurs. Le moteur de recherche a toujours eu le beau rôle. Celui-ci référence des contenus sans jamais être responsable du fait de faciliter leurs diffusions. Or, dans cette affaire qui touche de près le droit à l’oubli et le droit au déréférencement, la justice a fait plier le géant californien.
En 1998, le journal La Vanguardia fait paraître une annonce concernant une vente aux enchères immobilière destinée à recouvrir les dettes de Monsieur Costeja. Or, ce dernier s’aperçoit, huit ans plus tard, que le quotidien ayant numérisé les archives, son annonce apparaît automatiquement sur Google dès qu’une tierce personne tape le nom de « Mario Costeja » dans la barre de recherche. Au-delà de ça, c’est un réel préjudice pour Monsieur Costeja, qui en tant que consultant pour des entreprises avait tout à craindre de cette e-réputation.
Devant le refus du moteur de recherche de retirer le lien menant à ses données personnelles, il exerce le 5 mars 2010 un recours auprès de l’AEPD (« Agence de Protection des Données Personnelles Espagnoles » qui est un organisme équivalent de la CNIL en France) contre le journal espagnol mais également contre Google Spain et Google Inc. Il souhaitait tout d’abord que La Vanguardia supprime ou modifie les pages le concernant, afin que ses données personnelles soient effacées ; mais également que Google en fasse de même afin qu’il ne figure plus dans les résultats de recherches du géant californien ni dans les liens du journal.
Ainsi Monsieur Mario Costeja souhaitait exercer son droit à l’oubli. Cependant, ce droit n’est pas à l’heure actuelle pleinement consacré à l’échelle européenne. Mais le projet de règlement européen tant attendu devrait en cette année 2015 le prévoir de façon concrète. En attendant, juridiquement il est possible de se baser sur l’article 14 de la directive 95/46/CE. Celui-ci stipule que « Les états membres reconnaissent à la personne concernée le droit de s’opposer à tout moment, pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière à ce que des données la concernant fassent l’objet d’un traitement, sauf en cas de disposition contraire du droit national. En cas d’opposition justifiée, le traitement mis en œuvre par le responsable du traitement ne peut plus porter sur ces données ». Ainsi, l’article 14 de la directive est l’équivalent du droit d’opposition prévue par l’article 38 de la loi Informatique et Liberté applicable en France.
En l’occurrence, ce droit n’était pas opposable au journal La Vanguardia qui ne faisait rien d’autre qu’exercer son droit à l’information du public. Mais la question se posait cependant pour le moteur de recherche qui permettait d’aller vers ce lien. La CJUE a jugé que Google était un responsable de traitement dans cette affaire. En effet, elle considère qu’à partir du moment où le moteur de recherche collecte des données, qu’il « extrait, enregistre et organise dans le cadre de ses programmes d’indexation, conserve sur ses serveurs, et le cas échéant, communique et met à disposition de ses utilisateurs sous forme de liste, des résultats de leurs recherches » ; il devient responsable du traitement de toutes les données qu’il détient. Ainsi, il est contraint à respecter les volontés du requérant et de faire en sorte que ses données personnelles ne soient plus accessibles depuis son service. Cette décision permet une réelle consécration du droit au déréférencement et une avancée vers la reconnaissance du droit à l’oubli.
La consécration du droit du déréférencement et une avancée vers le droit à l’oubli numérique
Suite à cette affaire, Google a mis en place un formulaire permettant aux internautes de demander la désindexation des pages contenant des données personnelles les concernant.
Cette nouvelle procédure est un réel succès. En effet, on compte 70 000 demandes déposées en un mois, parmi lesquelles 14.000 émanent de Français.
Ainsi selon la CJUE, les droits fondamentaux des individus prévalent sur l’intérêt économique du moteur de recherche mais aussi sur l’intérêt du public à accéder à une information simplement à partir du nom d’une personne. La CJUE précise à ce titre, qu’il n’est absolument pas nécessaire d’avoir subi un dommage pour demander à être déréférencer. Cependant, ce principe reste à nuancer. En effet, dans le cas où il s’agirait d’une personne publique et selon l’importance de l’affaire, un déréférencement ne sera pas possible. Tout dépend du rôle de l’individu dans la société.
Cette décision du 13 mai 2014 consacre pleinement le droit au déréférencement. En effet, ce droit permet désormais à tout internaute d’être invisible c’est-à-dire de ne plus apparaître dans le moteur de recherche Google mais l’article ne disparaît pas des archives du journal ni de la mémoire de Google.
Cette décision a fait office de jurisprudence et a été appliqué pour la première fois en France le 19 décembre 2014. En effet, une ordonnance de référé condamne Google sur le fondement du droit à l’oubli numérique. La requérante souhaitait voir disparaître un article du Parisien à son sujet. Google avait rejeté sa demande de déréférencement au prétexte de l’intérêt du public à cette information. Or, le Tribunal de Grande Instance de Paris considère que la requérante « justifie de raisons prépondérantes et légitimes prévalant sur le droit à l’information ».
Cependant, cette évolution juridique ne doit pas aller à l’encontre de la liberté d’expression en provoquant une censure de l’information déjà dénoncée par les journalistes.
Le début d’un réel casse tête pour Google ?
Suite à la décision rendue par la CJUE, le nom « Costeja » est devenu synonyme de cauchemar pour Google.
Craignant de nouvelles représailles par la justice, le moteur de recherche a lancé un comité consultatif, composé d’experts européens en vue de la rédaction d’un rapport fixant des règles afin de faciliter le traitement des demandes de désindexation des internautes.
Le comité consultatif de Google a rendu un rapport le 6 février 2015. Celui-ci propose quatre critères afin de déterminer la légitimité du recours au droit à l’effacement.
A ce titre, il sera tout d’abord opportun, d’examiner le rôle joué par l’individu dans la vie publique (politiciens, présidents de société, célébrité…). Cela renvoie au critère qu’avait évoqué la CJUE lors du rendu de sa décision. Ensuite, la nature de l’information faisant l’objet de la demande de retrait. La source de l’information (journalistique, gouvernementale…) est le troisième critère dégagé par le rapport. Enfin, le facteur temps à savoir l’ancienneté de l’information qui peut être plus ou moins pertinente selon les cas.
Cependant, le rapport ne donne pas toutes les précisions auxquelles on pourrait s’attendre. En effet, il ne prévoit pas le cas où il s’agirait d’un article de presse relatant une condamnation judiciaire ancienne d’un élu, ou des informations personnelles publiée sur le site d’une association. De plus, les pages désindexées resteront accessibles par la version américaine du moteur de recherche ; celles-ci disparaissant uniquement au niveau européen. Or, à ce propos les avis divergent car certains, comme la CNIL, souhaiteraient que le périmètre des demandes de déréférencement soit élargi.
L’élaboration de ces règles reste tout de même complexe. Le comité consultatif considère qu’il serait bon d’informer les administrateurs des sites, du déréférencement de leurs pages. Les critères de choix doivent être rendus publics. Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi numérique, cette procédure de désindexation serait envisagée également pour les mineurs.
Au vu des répercussions importantes causées par l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014, la mise en place d’un droit à l’oubli dans un avenir très proche semble inéluctable. C’est la raison pour laquelle, ce dernier est attendu dans le nouveau projet de règlement européen en cette année 2015.
SOURCES :
NEXEUX (C.), « Costeja Gonzalez, l’homme qui a fait plier Google », Lejdd.fr, mis en ligne le 6 juillet 2014, consulté le 17 février 2015, <http://www.lejdd.fr/Medias/Internet/Mario-Costeja-Gonzalez-l-homme-qui-a-fait-plier-Google-674891>
GAZENGEL (E.), « Mario Costeja, l’Espagnol qui a fait céder Google », Myeurop.info, mis en ligne le 19 avril 2014, consulté le 18 février 2015, <http://fr.myeurop.info/2014/05/19/mario-costeja-l-espagnol-qui-a-fait-c-der-google-13873>
LETTERON (R), « Google et le droit à l’oubli : une jurisprudence en construction », Contrepoints.org, mis en ligne le 21 janvier 2015, consulté le 18 février 2015, <http://www.contrepoints.org/2015/01/21/195209-google-et-le-droit-a-loubli-une-jurisprudence-en-construction>
LELOUP (D.), « ‘Droit à l’oubli’ : le comité consultatif de Google rend son rapport », Lemonde.fr, mis en ligne le 6 février 2015, consulté le 20 février 2015, <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/02/06/droit-a-l-oubli-le-comite-consultatif-de-google-rend-son-rapport_4570444_4408996.html>