Lorsque les médias enregistrent une marque, il faudra qu’ils en fassent un exercice effectif sur les 5 ans pour ne pas perdre leurs droits. C’est ainsi que le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI), dans un jugement en date du 18 décembre 2014, avait prononcé la déchéance de la marque « Jours de France » pour un magazine du Figaro à partir du 7 décembre 2013. Cependant, dans un arrêt du 20 novembre 2015, ce dernier vient d’être infirmé par la Cour d’appel (CA) de Paris. Ici, c’est la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) quant à l’établissement d’une exploitation commerciale qui a été prise en compte par la CA de Paris.
Un bref récapitulatif des faits est néanmoins nécessaire pour comprendre le conflit opposant le magazine « Jours de France » à son proche cousin « Jour de France ».
« Jours de France », a été créé en 1954 par Marcel Dassault et racheté par la société Le Figaro en 1988. Cependant, cette marque nouvellement acquise va alors être mise en sommeil et cesser de paraître à partir de 1989. En 2011, son exploitation va être relancée via un site internet du Figaro avant de finalement reconnaitre une distribution papier à partir d’août 2013.
A la suite de cette parution, en septembre 2013, le Figaro est mis en demeure de cesser cette parution par la Société Entreprendre qui a déposé la marque « Jour de France” en 2003. C’est le début d’un conflit judiciaire entre les deux sociétés.
La Société Entreprendre souhaite la déchéance de la marque « Jours de France », ce qu’elle obtiendra par jugement du TGI. Jugement qui sera cependant infirmé par la CA de Paris.
CONCERNANT LA DÉCHÉANCE DES DROITS DE LA SOCIÉTÉ FIGARO SUR LA MARQUE « JOURS DE FRANCE »
L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
Cependant, le même article poursuit que « L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande ».
A la lumière de ce texte, la question qui se pose ici est donc de connaitre si la Société Figaro a repris un usage sérieux de la marque durant les 3 mois ayant précédés la demande en déchéance de la marque « Jours de France » par la société Entreprendre.
Bien qu’ayant interrompu l’usage de sa marque, le Figaro a recommencé à l’exploiter au format numérique en 2011 (usages attestés par huissier), puis à nouveau au format papier en 2013.
La demande en déchéance ayant été formulée en Mars 2014, l’usage de la marque durant la période de trois mois fait donc obstacle à cette demande en déchéance.
SUR LA QUESTION DU CARACTÈRE « SÉRIEUX » DE L’USAGE
La Société Entreprendre remet en cause également le caractère sérieux de l’usage qui aurait était fait par la Société Figaro de sa marque « Jours de France » et ce du fait du rayonnement « minimal » résultant de son usage sur internet et de la faiblesse du nombre de tirages concernant le format papier.
Selon la jurisprudence de la CJCE, notamment dans un arrêt Ansul du 11 mars 2003 et un arrêt La Mer Technology en date du 27 janvier 2004, « Il convient de prendre en considération (…) l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de son exploitation commerciale, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque ».
Tout d’abord, la nature de la diffusion de « Jours de France » sur internet n’est pas un obstacle à son sérieux, participant même au rayonnement, la visibilité de cette marque pour le public. De plus, au vu de la jurisprudence communautaire, la faiblesse quantitative des visites ou des actes d’exploitation n’excluent nullement le caractère sérieux de l’usage de la marque. Egalement, son exploitation sur internet en amont de son exploitation papier, est un indice venant renforcer, à nouveau, le sérieux de l’usage de la marque.
La CA de Paris a ainsi condamné la Société Entreprendre, qui avait pensé pouvoir diffuser un magazine intitulé « Jour de France », pour contrefaçon de marque, concurrence déloyale et parasitisme.
On peut cependant trouver discutable la situation in fine, dans laquelle se trouve la société Entreprendre. En effet, la marque « Jours de France » n’a pas été exploitée pendant une longue période. La Société Entreprendre a ainsi cru à bon droit pouvoir investir dans un nouveau magazine, bénéficiant pour partie de « l’aura » de son prédécesseur, dont elle pensait la marque tombée dans le domaine public. La seule chose faisant obstacle à la volonté de « Jour de France » est finalement cette demande en déchéance trop tardive. Celle-ci, si elle avait été réalisée directement au dépôt de la marque « Jour de France » en 2003, aurait peut-être éviter à la Société Entreprendre des investissements en vain, en imaginant que la Société Figaro n’ait alors pas prévu déjà à l’époque la reprise de l’exploitation de sa marque.
SOURCES :
BOURRENT M., Bataille en kiosque, “Guerre des Jour(s) de France : “On ne va pas se laisser faire par Le Figaro””, atlantico.fr, mis en ligne le 28 juillet 2013, consulté le 29 novembre 2015, <http://www.atlantico.fr/decryptage/guerre-jours-france-on-ne-va-pas-se-laisser-faire-figaro-robert-lafont-799351.html>
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, arrêt du 20 novembre 2015, Société du Figaro / Entreprendre, legalis.net, mis en ligne le 20 novembre 2015, consulté le 29 novembre 2015, <http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4807>
Ordonnance de la Cour (troisième chambre) du 27 janvier 2004. – La Mer Technology Inc. contre Laboratoires Goemar SA. – Demande de décision préjudicielle, <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62004CJ0416>
WOJCIAK T., “Jours de France : le groupe Figaro obtient gain de cause contre Lafont Presse”, cbnews.fr, mis en ligne le 22 novembre 2015, consulté le 29 novembre 2015, <http://www.cbnews.fr/medias/jours-de-france-le-groupe-figaro-obtient-gain-de-cause-contre-lafont-presse-a1023993>