Cela fait près d’un an que la chaîne Arte propose, en complément du français et de l’allemand, un certain nombre de programmes accessibles en anglais et espagnol. Mais souhaitant aller encore plus loin dans sa conquête de l’Europe, la chaîne a récemment annoncé sa volonté de tester un projet expérimental portant sur le sous-titrage collaboratif.
Développé en partenariat avec la Commission européenne, le projet Arte Europe offre alors la possibilité aux internautes de traduire un nombre restreint de programmes, dans la langue de leur choix (hormis les langues déjà disponibles). L’objectif est de rendre ces programmes accessibles à un plus grand nombre d’européens, sachant que les programmes actuels disponibles en quatre langues sont en fait compréhensibles par seulement 55 % des Européens selon la chaîne franco-allemande. Ce projet, écrit Arte dans son communiqué, « a pour but de mettre en valeur la diversité linguistique européenne et d’élargir la circulation des programmes audiovisuels en Europe ».
Cependant, cette initiative d’Arte soulève de nombreuses questions et fait déjà l’objet de polémiques, notamment en raison des problèmes juridiques qui pourraient en découler.
Le « fansub » : une pratique de sous-titrage collaboratif illégale
Le projet s’inspire, en effet, (et la chaîne ne s’en cache pas) de la pratique du « fansub ». Contraction des termes anglophones « fan » et « subtitle », le « fansub » désigne un travail de sous-titrage de films, de séries télévisée, ou de tout autre oeuvre audiovisuelle, effectué par un particulier ou par une équipe (« team »), afin de les rendre disponible au plus grand nombre.
Souvent associée au piratage de films et de séries TV, cette pratique, est généralement considérée comme illégale car portant sur des oeuvres protégées par le droit d’auteur.
Le Code de la propriété intellectuelle interdit expressément les traductions faites sans le consentement de l’auteur au même titre que les adaptations, transformations, arrangements ou reproductions.
Le droit français assimile donc le « fansub » à de la contrefaçon, et ce peu importe la qualité des sous-titres et en dépit du succès de la série auquel il pourrait contribuer.
De plus, l’auteur d’une oeuvre dispose de plusieurs prérogatives lui permettant de faire valoir ses droits sur celle-ci. Il jouit dans un premier temps de prérogatives morales et notamment d’un droit au respect de son oeuvre. Ce dernier peut alors s’opposer à toute modification, suppression ou ajout susceptible de modifier son oeuvre initiale, tant dans la forme que dans l’esprit.
À titre illustratif, la jurisprudence Hudson avait déjà condamné en 1991 la colorisation non autorisée d’une oeuvre cinématographique en noir et blanc.
Par ailleurs, l’auteur bénéficie d’un droit de paternité lui garantissant le droit d’être reconnu comme l’auteur de l’oeuvre et d’y apposer son nom.
Ainsi, l’insertion de sous-titres dans l’oeuvre et son association à une « team » auteur de la traduction contrefaisante, constituent autant d’atteintes au droit moral de l’auteur.
Dans un deuxième temps, l’auteur bénéficie de droits patrimoniaux qui lui confèrent un droit d’autoriser ou d’interdire toute reproduction matérielle de son œuvre, quel que soit le support employé ou le procédé utilisé. À ce titre, la diffusion d’une oeuvre, incrustée de sous-titre, constitue, une reproduction non autorisée de l’oeuvre et porte donc atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur.
Dans le cadre du « fansub », l’exception de copie privée ne peut être invoquée car la reproduction est ici destinée à l’utilisation collective des fans et non pas à l’usage exclusif du copiste.
Par ailleurs, le fait qu’une série étrangère n’ait pas encore fait l’objet d’une exploitation en France n’est pas une cause permettant d’échapper au cadre légal. En effet, la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques offre aux oeuvres étrangères une protection indépendamment des frontières. Ainsi une œuvre étrangère pourra bénéficier en France de la protection du droit d’auteur français.
Le Code de la propriété intellectuelle aboutit au même raisonnement : une œuvre étrangère diffusée pour la première fois dans autre État sera protégée en France en vertu de la législation française (sous réserve de la réciprocité des protections entre les États).
Par conséquent, même si certaines séries n’ont pas fait l’objet d’une exploitation en France, leur mise à disposition sous-titrée via le Net à destination d’un public français constituera inéluctablement une contrefaçon.
Le nombre de « teams » augmente considérablement de jours en jours, ainsi que le nombre de personnes qui téléchargent ces vidéos sous-titrées. Toutefois, ce n’est pas parce que l’auteur de la série n’intente aucune action qu’il faut en déduire que l’on échappe totalement au droit français. L’action en contrefaçon est imprescriptible ; l’auteur est libre de la déclencher à tout moment.
Un arsenal juridique habilement contourné par Arte
Dans le cadre de son expérimentation, Arte affirme cependant avoir « fait en sorte qu’elle intervienne dans un cadre légal ». En principe, aucune fiction ne devrait être concernée par ce projet de sous-titrage collaboratif. Seuls sont mis à la disposition des « fansubbers » les émissions, documentaires ou reportages produits par la chaîne.
Une fois les traductions réalisées, celles-ci seront ensuite envoyées sur la plateforme collaborative de traduction et de sous-titrage de vidéos : Amara.
L’internaute qui souhaite participer au projet doit cependant au préalable accepter un contrat qui prévoit la cession de ses droits d’auteur. Il est notamment stipulé que « Les sous-titres du Fansubber sont destinés à être utilisés par Arte. Dans cette perspective, le Fansubber accepte par la présente de transférer le droit d’auteur de ses sous-titres à Arte ».
De plus l’internaute décharge la chaîne de toute responsabilité « contre toute procédure judiciaire, réclamations ou actions qui pourraient être portées contre lui sur n’importe quelle base, après l’utilisation par Arte des sous-titres, par toute personne qui a participé à la production des sous-titres et par tout tiers qui réclame des droits sur les sous-titres ». Disposition qui pour le moment n’est pas indispensable dans la mesure où les programmes dont il est question sont produits par la chaîne elle-même. Cependant elle devrait trouver tout son sens dans l’hypothèse où la chaîne commence à exploiter des extraits audiovisuels sur lesquels elle n’a pas les droits. C’est en effet l’internaute qui endossera les risques.
Se pose tout de même la question de la validité d’un tel contrat qui ne laisse alors aucune place à la discussion et s’apparente ainsi à un contrat d’adhésion. Même si l’internaute reste libre de s’engager ou non, le contrat semble créer un certain déséquilibre entre les parties.
En effet, le contrat permet à la chaîne de s’arroger un droit de modification. Or les traductions bénéficient du même régime légal que l’ensemble des oeuvres littéraires. Le traducteur d’oeuvres de l’esprit est donc un auteur qui, au sens du droit français, bénéficie d’un droit au respect de son oeuvre, entendu comme étant perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Aussi, les clauses de transfert ou de cession du droit moral sont nulles. Le cessionnaire des droits d’auteur, en l’occurrence Arte, ne peut donc être titulaire du droit moral sur les traductions effectuées par les internautes.
La politique de l’Europe devient alors difficilement compréhensible lorsqu’est mis en oeuvre un système de sous-titrage collaboratif susceptible de porter atteinte aux droits des traducteurs. On pourrait alors voir dans cette démarche une volonté de contourner le droit d’auteur, considéré alors comme un frein à la circulation des oeuvres.
CHAMPEAU (G.), « Arte invite les internautes à risquer de l’aider à sous-titrer ses émissions », publié le 03/10/2016, consulté le 20/10/2016
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