« Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France ». Lors du scrutin organisé le 20 et le 27 novembre, l’adhésion à ce principe a donné la possibilité aux citoyens Français de participer à la primaire ouverte de la droite et du centre. Les électeurs ont ainsi pu désigner le représentant de la droite et du centre à la prochaine élection présidentielle de 2017, soit au moyen de bulletins papiers, soit par voie électronique. S’il ne s’agit pas d’élire directement un représentant de la Nation, la possibilité de voter par voie électronique peut laisser perplexe.
La prérogative du vote par internet : une possibilité dans le cadre de la primaire
En 2011, le Parti socialiste avait rencontré un fort succès pour la première primaire organisée en France. En vue des élections présidentielles de 2017, les partis Europe Écologie – les Verts et Les Républicains ont déjà désigné leur candidat respectif via ce dispositif. Face à cette nouvelle habitude et aux succès qu’elles apportent, le recours à la primaire ouverte risque de s’institutionnaliser en France. Pour autant, le déroulement de cette pratique, inspirée du modèle américain, est relativement libre en vertu du premier alinéa de l’article 4 de la Constitution de la cinquième République. Ainsi, le 21 juillet 2016, la Haute autorité de la Primaire de la droite et du centre a retenu le choix du vote par internet pour les Français établis hors de France.
Le vote électronique en France : l’absence de nouveauté dans nos élections politiques
Si voter par internet constitue un vote électronique, un vote électronique ne constitue pas forcément un vote par internet. Il se trouve que ces deux notions ont déjà été appliquées en France.
D’une part, concernant le vote électronique, le code électoral, avec l’article L. 57-1, y fait référence en admettant l’utilisation de machines à voter pour certaines communes. D’autre part, l’article L. 330-13 de ce même code a permis la mise en place du vote électronique à distance pour les citoyens qui résident à l’étranger. Les Français établis hors de France peuvent en effet voter par internet pour l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger. Ce type de vote a déjà été mis en œuvre pour les élections législatives de 2012 et les élections consulaires de 2014.
Non seulement, il est question d’étendre ce processus pour les Français de l’étranger aux élections présidentielles et du Parlement européen, mais il est également question de pouvoir étendre cette possibilité à tous les citoyens Français. En novembre 2015, l’actuelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation, Axelle Lemaire, s’y était déclarée favorable. Se pose naturellement la question de savoir s’il s’agirait d’une avancée ou d’une défaillance pour notre démocratie.
L’avantage indéniable du vote par internet : le rapprochement des citoyens aux pratiques démocratiques
Il est nécessaire de rappeler que dans le cadre de cette primaire de novembre, l’objectif affiché est de permettre aux Français résidant à l’étranger de voter librement, en facilitant l’organisation de cette élection « privée ». A cette occasion, la présidente de la Haute autorité, Anne Levade, avait justifié cette position en déclarant « Les conditions n’étaient pas remplies au regard de la charte de la primaire, notamment quant aux garanties de sécurité ».
De plus, cela aurait pour mérite de lutter contre l’un des principaux fléaux pour la légitimité de notre démocratie, l’abstentionnisme. En effet, selon un sondage réalisé fin octobre 2015 par Harris Interactive pour le quotidien Le Parisien, 58 % des abstentionnistes des précédents scrutins déclaraient que, s’ils avaient pu voter par internet, ils l’auraient fait.
Cette généralisation aurait aussi pour mérite d’impliquer davantage le citoyen dans la vie démocratique, comme nous le montre le cas de la Suisse, un pays considéré comme référent en matière de démocratie directe. En effet, depuis 2003, dans les cantons de Genève, Neuchâtel et Zurich, le vote par internet est testé. Les expériences s’étant bien déroulées, le vote électronique à distance sera introduit par étape au niveau fédéral, pour les élections et les référendums. Toutefois, derrière ce côté rêveur d’une meilleure participation des citoyens aux différentes élections, l’aspect d’une généralisation du vote électronique peut laisser entrevoir d’éventuelles conséquences néfastes.
L’intrusion des technologies à distance dans le processus électif : une perspective risquée
Alors que certaines pratiques n’auraient pas été possibles lors d’un vote sous la forme d’un format papier, plusieurs menaces planent au-dessus de ce nouveau système.
D’une part, il y a des enjeux relevant du droit des personnes. En effet, à moins d’introduire une caméra dans les bureaux de vote ou d’analyser les empruntes digitales sur les bulletins papiers, il ne semble pas possible de connaître notre vote à notre insu. Or, il est possible que cela soit le cas avec le système du vote électronique. Il pourrait alors y avoir une atteinte au principe de la confidentialité du vote, énoncé à l’article 3 de la Constitution de 1958. Par ailleurs, lors des élections législatives de 2012, le Parti Pirate avait déjà évoqué qu’un journal sécurisé ait conservé la trace et la chronologie des votes. Le principe d’interdiction de collecte ou de traitement de données à caractère personnel, énoncé à l’article 8 de la loi relative à l’informatique et aux libertés de 1978, pourrait ainsi être mis à mal.
D’autre part, le procédé du vote électronique à distance comporte des problématiques d’ordre technique. La question d’un virus ou d’un simple bug modifiant les votes des électeurs peut être évoquée. D’ailleurs, aux Pays-Bas, le vote par internet a été arrêté en 2008 pour motif de rupture de la confiance dans la fiabilité des résultats. A ce titre, il est aussi nécessaire de se demander si le vote a bien été enregistré. Ainsi, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré les machines électroniques contraires à la loi, du fait que leur exactitude n’était pas vérifiable par le citoyen.
Finalement, un parallèle pourrait être fait, concernant le décret publié le 28 octobre dernier relatif à l’instauration du fichier TES (Titres Électroniques Sécurisés). A cet égard, le Conseil national du numérique et la CNIL rappellent, qu’aucun système n’est imprenable en matière de sécurité informatique.
La généralisation du vote par internet : une perspective certaine mais lointaine
Malgré plusieurs éléments encourageants en faveur du vote électronique, les risques liés à l’informatique sur la légitimité de nos représentants, ralentissent le législateur à autoriser ce type de pratique. Ceci n’est pas forcément une mauvaise chose.
En effet, la vraie réponse à l’abstention pourrait être la mise en place d’une meilleure transparence politique pour redonner confiance au citoyen ou encore la prise en compte du vote blanc. De plus, l’absence de la nécessité de se déplacer aurait en partie pour effet de banaliser ce droit de vote, si important pour notre démocratie.
Alors, à l’heure de la numérisation de notre République, restons authentiques, au moins pour nos élections politiques.
Sources :
ANONYME, « Le vote électronique », étude de législation comparée n°176, 2007, consulté le 12 novembre 2016, <https://www.senat.fr/lc/lc176/lc176_mono.html>
MARIANI (T.), « Proposition de loi organique visant à instaurer le vote par voie électronique des Français de l’étranger à l’élection présidentielle et à l’élection des représentants au Parlement européen », enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2013, consulté le 14 novembre 2016, <http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1291.asp>
NESSMANN (P.), « Le vote électronique, pour quelles élections ? », CNRS Le journal, publié le 4 décembre 2015, consulté le 12 novembre 2016, <https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-vote-electronique-pour-quelles-elections>
ANONYME, « Législatives : Vote par Internet des Français établis Hors de France », Dossier de presse du Parti Pirate, 1er juin 2012, Paris, consulté le 14 novembre 2016, <http://politiquedunetz.sploing.be/wp-content/uploads/2012/06/20120601-Dossier-de-Presse-Vote-Internet-corr-xav.pdf>
CHAMPEAU (G.), « Axelle Lemaire favorable au vote par internet : pourquoi c’est une erreur », Numerama, 6 novembre 2015, consulté le 13 novembre 2016, <http://www.numerama.com/politique/129821-axelle-lemaire-favorable-au-vote-par-internet-pourquoi-cest-une-erreur.html>