L’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confère au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) la mission de veiller au respect de la dignité de la personne humaine dans les programmes audiovisuels. Clairement, ce respect est régulièrement passé à la trappe dans l’émission « Touche pas à mon poste » ces derniers temps pour une raison évidente : la recherche du buzz entraînant une hausse de parts d’audience.
Le CSA a ainsi mis en garde et en demeure à plusieurs reprises l’émission animée par Cyril Hanouna et diffusée sur C8 « Touche pas à mon poste » (TPMP). Le CSA a été saisi de nombreuses plaintes s’agissant d’une dégradation croissante du programme télévisuel avec la tenue de propos sexistes, homophobes et décrivant une image dégradée de la femme. Si ce programme télévisuel a fondé son crédo sur un humour « potache », les comportements de la part des chroniqueurs ainsi que de son animateur sont de plus en plus contestés et contestables.
Les séquences du programme télévisuel mises en cause
Plusieurs séquences de l’émission TPMP sont dans le collimateur du CSA. Au-delà du style adopté par l’animateur – chacun est libre d’apprécier l’humour employé, primauté de la liberté d’expression oblige – la tenue de propos explicitement humiliants a-t-elle sa place dans une grille audiovisuelle à heure de grande écoute ? L’émission est en effet diffusée entre 19h à 21h tous les jours du lundi au vendredi. Cyril Hanouna s’est ainsi adressé à Matthieu Delormeau, un de ses chroniqueurs : « NRJ 12 ils vous ont mis dehors comme une merde ! Qui est venu en juillet dans mon bureau comme une pleureuse ? (…) Mais ferme ta gueule ! (…). Quel bouffon ». Pour cette séquence, le CSA adresse une mise en garde reprochant le « caractère répété » de ce genre de séquences télévisuelles de l’émission. Pour l’autorité, il s’agit d’une « agression verbale » traduisant « un manque de retenue dans la diffusion de telles images susceptibles d’humilier les personnes » et donc un non-respect de la personne humaine.
La banalisation d’un tel vocabulaire influence nécessairement les mineurs visionnant ce programme. Les mineurs sont des cibles vulnérables, facilement influençables. Le risque d’imitation de cette forme d’humiliation est grand et conduirait au non-respect de la dignité humaine. Lorsqu’on renverse un bol de nouilles brulantes dans le caleçon d’un de ses animateurs, est-ce une « blague potache » ou une humiliation publique ? Le fait qu’un même chroniqueur (Matthieu Delormeau), fasse l’objet de « blagues » récurrentes met en exergue un ton flirtant avec des propos homophobes : « Voici la clef de mon cœur, Matthieu. Tu peux te la mettre dans le cul » (propos de Cyril Hanouna). Les attaques incessantes de la part de Cyril Hanouna et des autres chroniqueurs sur l’orientation sexuelle d’un de leurs collègues fait figure d’harcèlement moral. L’intéressé s’est d’ailleurs refusé à répondre sur cette polémique attisant les spéculations autour de son identité sexuelle.
On est en droit de se poser la question de la manipulation médiatique que génère ces « bad buzzs ». Ces humiliations récurrentes en direct laissent planer un profond malaise quant à la probabilité d’une mise en scène pour obtenir toujours plus de parts d’audience. Cependant, ces séquences télévisées litigieuses ont uniquement fait l’objet d’une mise en garde de la part du CSA.
Ce dernier est intervenu un cran au-dessus en mettant en demeure l’éditeur de la chaîne de télévision s’agissant d’une séquence particulière. Lors de l’émission « Touche pas à mon poste : les 35 heures de Baba », diffusée le 14 octobre 2016, un chroniqueur, vivement encouragé par Cyril Hanouna, a embrassé la poitrine d’une invitée alors que cette dernière a exprimé son refus non pas une fois mais par deux fois. Le CSA a déclaré dans son communiqué du mercredi 23 novembre 2016, que cette séquence « méconnaissait les dispositions de l’article 3-1 de la loi du 30 décembre 1986, notamment en véhiculant des préjugés sexistes et en présentant une image dégradante de la femme ». Le CSA, avec cet article doit assurer le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle. Il doit lutter contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes (…). En outre, à la suite de la diffusion de cette séquence, le CSA a été saisi de très nombreuses fois par des téléspectateurs.
Cette séquence est particulièrement choquante car c’est une agression sexuelle en direct. Pour rappel et pour ceux qui émettraient des doutes, l’article 222-22 du Code pénal énonce que « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Lorsqu’une personne exprime clairement son refus en disant « non » dès la première fois, une contrainte est de fait, exercée au moment même où le chroniqueur outrepasse son consentement. C’est l’application de la définition juridique stricto sensu. Le consentement est au coeur de cette séquence : c’est l’action de donner son accord à une action. L’invitée ayant exprimée son désaccord, unilatéralement, le chroniqueur aurait dû respecter son choix. La ministre des familles, de l’enfance et des droit des femmes, Laurence Rossignol, dénonçait elle aussi une agression sexuelle. Or, de nombreux commentaires sur le web font état d’une « blague » et participent de ce fait, à la propagation d’une image dégradante de la femme. Cette banalisation des comportements insistant lourdement pour un « p’tit bisou » se retrouve dans la « vraie vie » influençant les plus vulnérables dans leurs propres actes. Ce type de comportement semble normal et c’est inacceptable. Il n’y a rien de normal dans cette situation. Ce programme « normalise », à travers ces nombreux dérapages, ce comportement non respectueux de la femme.
C’est une séquence en date du 3 novembre 2016 mettant en scène Matthieu Delormeau qui a déclenché une nouvelle procédure de sanction contre C8 et TPMP pour « atteinte au respect de la personne humaine ». Le chroniqueur est victime d’un canular organisé par Cyril Hanouna. Ce dernier a simulé l’agression d’un homme le laissant étendu, possiblement décédé. Il refuse d’appeler les secours et dit à son chroniqueur de porter le chapeau, car lui ne peut pas être mêlé à un scandale. La « blague » sera révélée à M Delormeau le lendemain. Le sur-lendemain, lors de l’émission quotidienne, le chroniqueur en pleurs explique qu’il s’est vu « complice d’un meurtre ».
Les sanctions du CSA envisageables
Le CSA, dans son rôle de régulateur de l’audiovisuel, est donc intervenu. Le directeur général du CSA, Monsieur Guillaume Blanchot, constate que la chaîne a déjà fait l’objet d’une mise en demeure sur le terrain du respect de la personne humaine. Il a donc transmis ces informations à un rapporteur indépendant en la personne de M Fraisse, conseiller d’État. Cette saisine est permise par la loi du 15 novembre 2013 ayant réformé la procédure et se mettant en conformité aux différentes exigences constitutionnelles et européennes en terme d’impartialité et de garantie des droits. Ainsi, le rapporteur indépendant est compétent s’agissant de la poursuite et de l’instruction. Le CSA, quant à lui, reste compétent quant au prononcé de la sanction.
Selon l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA peut prononcer des sanctions telles que :
- La suspension de l’édition, de la diffusion, de la distribution du ou des services d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires pour un mois ou plus ;
- La réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ;
- Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’édition ou de la distribution du ou des services ou d’une partie du programme ;
- Le retrait de l’autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention.
Le Conseil peut également ordonner l’insertion dans les programmes d’un communiqué, dont il fixe les termes et les conditions de diffusion. Cyril Hanouna pourrait donc être amené à présenter ses excuses publiquement lors d’un communiqué solennel. C’est sur le terrain économique que le CSA pourrait sévir : il peut fixer une amende pouvant s’élever à 3% du chiffre d’affaires publicitaires hors taxe de la chaîne. L’autre solution serait d’apposer le logo « interdit au mois de 12 ans » reléguant l’émission à être diffusée en deuxième partie de soirée.
Ce panel de sanction ne doit pas être pris à la légère mais c’est le fondement même de ces « blagues » qui doit être revu. Couvert de son crédo d’humour « potache », l’émission de divertissement en est-elle vraiment une ? Cyril Hanouna, roi régnant sur ses sujets « ses fidèles chroniqueurs », peut être destitué. Le divertissement peut s’effectuer différemment c’est-à-dire sans banalisation de l’homophobie, du sexisme. Cette émission est un reflet de la banalisation de tels comportements ce qui montre une image dégradée de la femme et contribuant à la banalisation d’humiliation physique, verbale ou psychologique.
SOURCES :
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