“90% de ceux qui basculent dans le terrorisme, basculent par internet”. Cette affirmation de Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur à l’époque, témoigne l’importance de l’internet dans la stratégie des terroristes.
7 janvier 2015, 13 novembre 2015, 11 mai 2016, 12 juin 2016 ou encore 14 juillet 2016 etc., tout autant de dates ayant marqué les esprits dans le monde entier et dont l’organisation macabre s’est principalement déroulée via internet. Pourtant, il serait illusoire de croire que ces événements dramatiques auraient pu être évités seulement par un contrôle plus effectif des acteurs de l’internet, comme il serait illusoire de croire qu’il est possible d’éradiquer totalement les pratiques de “propagande 2.0 ». L’internet est la “sève”* de ces organisations et Olivier Toscer, auteur du documentaire “Djihad 2.0 », a déjà pu le confirmer : “Les Djihadistes ont choisi les réseaux sociaux pour toucher le plus de monde et parce qu’ils sont modernes. Ce sont des vecteurs d’informations beaucoup plus larges et beaucoup plus rapides que les sites internet classiques. Leur viralité les rend extrêmement efficaces”.
Ainsi, il était donc urgent d’agir vite, comme a pu le confirmer une des entreprises participantes à un projet d’alliance des géants du web, en soulignant qu’il s’agit d’un “problème pressant qui nécessite une attention particulière des entreprises technologiques”. Afin de lutter contre la propagande terroriste sur les réseaux sociaux, Facebook, Microsoft, Twitter et d’autres, ont effectivement annoncé la mise en place d’un partenariat mondial, visant à identifier plus efficacement les contenus terroristes publiés sur internet. Ils se sont alliés contre cette diffusion massive en créant une base de données commune, rassemblant les “empreintes digitales” de photos ou vidéos faisant l’apologie du terrorisme.
Cette initiative a été grandement accueillie par les gouvernements de nombreux pays. Ces entreprises ont en effet, été plusieurs fois rappelées à l’ordre. Accusées d’être passives face à cette “propagande numérique”, ces dernières ont enfin décidé d’intensifier leur lutte et de modérer les contenus présents sur leurs sites.
L’objectif de modération : entre pression des gouvernements et impératifs juridiques
Attendue depuis longtemps, cette initiative a réjoui les gouvernements de plusieurs pays. En effet, bien que ces géants du web tentent, avec plus ou moins de succès, de lutter contre la diffusion de contenus et contre l’utilisation de leurs services par les terroristes, les réseaux sociaux restent les premiers critiqués après un attentat. Selon les gouvernements et les citoyens, leurs démarches restent insuffisantes et selon un rapport du Parlement britannique, publié le 25 août 2016, les efforts des réseaux sociaux pour suspendre les contenus représenteraient “une goutte dans l’océan”. Pourtant depuis 2015, Twitter a suspendu 360 000 comptes liés à “l’extrémisme violent”.
Malgré les quelques outils mis en place, le problème subsiste : Comment contrôler la masse de contenus qui transite chaque jour sur leurs sites ? En France, les réseaux sociaux sont juridiquement considérés comme des hébergeurs de contenus. Ils ont donc pour obligation de réagir si un contenu manifestement illicite leur est signalé et donc de modérer les contenus présents sur leurs sites respectifs. Mais, ces derniers ont tendance à sous-traiter cette mission. D’autre part, ces hébergeurs se retrouvent tiraillés avec d’un côté, la protection de la vie privée des internautes, qui se trouve de plus en plus renforcée et de l’autre côté, l’obligation de transmission des données, sur requête des services de renseignements. Ce qui ne facilite pas leur mission de modération.
Une base de données et un travail indépendant : la clé de ce partenariat mondial
Afin de lutter efficacement contre ce fléau, une action individuelle ne suffit plus : l’union fait la force. Il suffit en effet, d’effacer un contenu sur un site pour le voir réapparaître peu de temps après sur un site différent. “En partageant ces informations les uns avec les autres, nous pouvons utiliser ces empreintes numériques pour aider à identifier des contenus potentiellement terroristes sur nos plateformes grand public respectives”, ont expliqué les partenaires mondiaux.
La base de cette alliance repose sur une méthode développée par L’internet Watch Foundation britannique, pour repérer la pornographie infantile sur internet. Après signalement des internautes, dès qu’un tel contenu est supprimé d’une plateforme, son empreinte numérique est envoyée dans la base de données commune. Ce qui permettra par la suite, une identification plus rapide par les autres partenaires. Cette base de données sera opérationnelle début 2017 et le partenariat pourra être élargi à de nouveaux acteurs. Toutefois, dans ce système, aucun automatisme n’a été mis en place : un contenu ne pourra être bloqué ou retiré sans analyse préalable. Chaque entreprise dispose d’un pouvoir de décision indépendant et devra évaluer si les contenus mis en cause enfreignent leurs propres règles. Reste à voir si ces réseaux sociaux seront assez réactifs et disposeront de suffisamment de ressources techniques et humaines pour faire face à la multitude de vidéos ou de photos publiés chaque jour.
Une alliance louable et pourtant critiquable en pratique
On peut, d’ores et déjà admettre que cette initiative intervient très, voir même trop, tardivement. En effet, au vu du nombre d’années qui se sont écoulées depuis que les gouvernements réclament à ces entreprises de faire bouger les choses et l’importance qu’ont ces plateformes dans la propagation de contenus terroristes, on peut s’étonner qu’elles n’aient pas mis en place plus rapidement une telle mesure. Surtout que “Depuis quelques temps, la propagande terroriste au travers des réseaux sociaux est en nette diminution. Cette propagande, les conversations entre les personnages actifs dans le terrorisme se sont tournées vers des messageries cryptées, chiffrées, vers le Darknet”, a souligné Thomas Renard, expert en terrorisme. Cette initiative est donc louable, mais sans doute bien trop tardive. En effet, au moment où ces acteurs se sont enfin décidés à réellement part à la lutte, le réseau terroriste a migré vers d’autres systèmes, bien plus avantageux pour eux. N’auraient- t’ils donc pas dû prendre cette initiative il y a déjà bien longtemps ? Cela aurait sans doute permis d’éviter la radicalisation de certaines personnes.
D’autre part, cette action reste délicate, car comme pour une grande majorité d’actions aboutissant à la suppression d’un contenu, cela peut rentrer potentiellement en conflit avec la liberté d’expression. Les réseaux sociaux cherchent à concilier cette liberté des utilisateurs et la lutte contre les contenus violents. Mais, par le passé, ces plateformes ont fermé régulièrement par erreur, des comptes d’informations ou de parodie. Il existe donc des réticences de la part des internautes dans la suppression de contenus au nom de leur liberté d’expression. Mais cette suppression reste toutefois utile et nécessaire dans certains cas.
Au final, étant sans réelles limites et sans frontières, l’internet rend encore plus difficile l’encadrement de ces organisations. Même si les gouvernements et les réseaux sociaux sont aujourd’hui “unis” pour tenter de réguler les contenus diffusés, toutes les entreprises du web n’adoptent pas la même attitude face à cet enjeu mondial. Par exemple, Apple fait face au FBI, là où Google se montre plus conciliant. Toute cette régulation repose sur des enjeux et des conflits d’intérêts laissant la régulation de ce phénomène, encore très délicate.
SOURCES :
ANONYME, “Facebook, Microsoft, Twitter et Youtube unis contre les ”contenus terroristes””, i14news.tv, publié le 06/12/2016, consulté le 10/12/2016, http://www.i24news.tv/fr/actu/technologie/131883-161206-facebook-microsoft-twitter-et-youtube-unis-contre-les-contenus-terroristes
(L.) RONFAUT, “Les géants du web créent une base de données mondiale contre la propagande djihadistes”, legifaro.fr, publié le 06/12/2016, consulté le 18/12/2016, http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/12/06/32001-20161206ARTFIG00001-les-geants-du-web-creent-une-base-de-donnees-mondiale-contre-la-propagande-djihadiste.php
ANONYME, “Alliance de Facebook, Microsoft Youtube et Twitter contre les ”contenus terroristes””, Lemonde.fr, publié le 06/12/2016, consulté le 18/12/2016, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/12/06/alliance-de-facebook-microsoft-youtube-et-twitter-contre-les-contenus-terroristes_5043890_4408996.html
(P.) FONTAINE, “Facebook, Microsoft, Twitter et Youtube s’unissent pour lutter contre le terrorisme”, hightech.bfmtv.com, publié le 06/12/2016, consulté le 18/12/2016, http://hightech.bfmtv.com/epoque/facebook-microsoft-twitter-et-youtube-s-unissent-pour-lutter-contre-le-terrorisme-1067361.html
*Keith Vaz, Président de la Commission des Affaires intérieures