Le 5 janvier 2017, Chrystelle Charlier, une blogueuse belge, révèle l’existence d’un groupe d’utilisateurs sur le réseau social Facebook comptabilisant 52 000 individus et se prénommant « Babylone 2.0 ». Le but de ce groupe : publier des photographies à caractère sexuel ou nue de femmes. Ces photographies sont le plus souvent accompagnées de légendes dévalorisant et dégradant l’image des femmes ainsi que des commentaires d’autres membres félicitant la « pêche » d’un de leurs membres. En effet, les membres qualifient leurs conquêtes en tant que « certifiées pêches perso » les comparant clairement à des « trophées ». Ces photographies peuvent avoir été prises par les femmes elles-mêmes (selfies) et envoyées à leurs amants ou bien prises à leur insu.
Pour contextualiser ce groupe, imaginez-vous au centre du stade du Parc des Princes, nu(e) sous les regards voyeurs de plus de 50 000 spectateurs… C’est la perspective qu’il convient d’adopter pour mesurer l’impact d’un cyber-groupe d’une telle ampleur.
I – L’enjeu de la qualification juridique du groupe « Babylone 2.0 » : privé ou public ?
En espèce, dans son article et avec l’appui de capture d’écran, la blogueuse relate le fait suivant : un homme a posté une photographie d’une femme, nue, dos à lui : visiblement la captation photographique a été prise à l’insu de la femme. En légende, l’homme écrit « C’est très loin de l’avion de chasse qu’on traque tous, certes, mais du haut de mes 27 ans, je ne pouvais refuser ce taudis de 44 ans, juste pour rajouter une ligne sur le CV. Vieille peau : check. On ne recule pas devant le défi ». Ce « type » de publication était l’apanage des utilisateurs du groupe.
Tout d’abord, il convient de déterminer si le groupe « Babylone 2.0 » constituait un groupe public ou privé. Cette qualification est essentielle car la loi différencie grandement les sanctions à l’encontre d’une publication selon qu’elle soit publique ou privée. Facebook a mis en place différents degrés de confidentialité s’agissant de la constitution d’un groupe d’individus. Il existe donc dans l’ordre croissant de confidentialité, des groupes publics, privés et secrets. Dans un groupe secret comme « Babylone 2.0 », seuls les membres peuvent ajouter ou inviter d’autres membres à faire parti du groupe. Le groupe secret est visible que par les membres actuels et anciens. Seuls les membres du groupe peuvent afficher et publier, et l’ensemble de ces membres forment un groupe uniquement connu de seuls. Babylone 2.0 avait mis en place une page publique servant à l’admission des membres voulant être ajoutés au groupe secret.
La Cour de cassation en 2013 avait rendu un arrêt concernant la qualification publique ou privée de propos injurieux tenus dans un groupe privé sur Facebook. Les Hauts magistrats avaient retenu que la tenue de propos insultants sur des réseaux sociaux ne constitue pas un acte d’injure publique dès lors qu’ils sont publiés au sein d’une communauté d’intérêt. La communauté d’intérêt est une notion prétorienne issue de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 qui se référait aux « lieux ou réunions publics ». Ici, elle est définie comme un groupe, accessible qu’aux seules personnes agréées par le titulaire des comptes et constituée d’un nombre de membres « très restreint ». La première condition est remplie : seuls les membres du groupe secret peuvent ajouter d’autres membres et voir les publications. Toutefois, bien que les juges ne définissent pas numériquement le « nombre très restreint », comme précédemment souligné, 52 000 individus étaient membres de « Babylone 2.0 ». Ce nombre outrepasse clairement la notion de « très restreint » et fait basculer – heureusement – la tenue de commentaires diffamatoires dans la sphère publique.
« Babylone 2.0 » avait pour but la publication de photographies nues ou sexualisées très souvent accompagnées de commentaires diffamatoires. Pour rappel, la diffamation est une allégation ou une imputation d’un fait non avéré qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. Ce fait non avéré peut être raciste, sexiste, homophobe. La diffamation relève d’une procédure spécifique permettant de protéger la liberté d’expression. La diffamation peut être qualifiée de publique dans cette affaire. Ainsi, selon l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe peut être puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Au-delà de la diffamation, certaines photographies étaient prises à l’insu de la personne. Il y a donc une atteinte à la vie privée et corrélativement, une atteinte au droit à l’image. Selon l’article 9 du code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Notre image est une donnée personnelle. Nous disposons d’un droit quand à son utilisation. Toute atteinte au droit à l’image constitue ainsi une violation de la vie privée. Ainsi, photographier ou filmer, sans son consentement, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ou transmettre son image (même s’il n’y a pas diffusion), est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende selon les articles 226-1 à 226-7 du Code pénal.
Les contributeurs ne devaient pas communiquer les noms de leurs « pêches persos » et flouter leur visage. Toutefois, même si le visage n’apparaît pas sur la photographie, la victime peut se reconnaitre ou être potentiellement reconnue par des membres de sa famille, des amis, mais aussi des collègues, des connaissances. Très souvent, les commentaires ou les éléments de décors laissent deviner l’identité de la victime.
II – La réponse à ce type d’agissement en droit français et droit comparé
Le cyberharcèlement envers les femmes a trouvé une réponse en France mais aussi chez nos voisins belges. En France, ce comportement abject a trouvé une réponse au niveau de la loi pour une République numérique promulguée en octobre 2016 et une avancée significative peut être observée. En effet, le phénomène du « revenge porn » (ou revanche pornographique) a enfin été incriminé pénalement. Il est passible de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 € d’amende. En espèce, bien que la plupart des posts de « Babylone 2.0 » ne concernent sans doute pas des ex-petites amies mais plutôt des amantes, le nouvel article 226-2-1 du Code pénal peut s’appliquer à notre sens. En effet, le but de ce groupe était clairement assumé : publier des photographies de femmes pour afficher leur prétendu curriculum vitae de conquêtes tout en les humiliant. Ici, l’article 226-2-1 du Code pénal introduit une distinction entre le consentement à la captation d’une image et le consentement à sa diffusion. Ainsi, si une personne montre à un tiers ou à un public par le moyen du réseau social Facebook, des images ou vidéos ayant un caractère sexuel explicite, elle pourra être réprimandée. La divulgation peut concernée soit une seule personne ou un groupe, la personne sera réprimandée dans les deux cas.
Le groupe « Babylone 2.0 » ayant été mis à jour par une belge, il est intéressant de voir qu’une législation spécifique a également été mise en place en Belgique afin de lutter contre ce type d’agissement. Ainsi, depuis mars 2016, l’article 371/1 du Code pénal belge condamne les personnes mettant en scène des personnes tierces dont l’image a été utilisée à leur insu de façon explicite et violant le cadre de la vie privée. La loi pénale belge énonce qu’il s’agit de voyeurisme. Des conditions cumulatives ont été énoncées : « quiconque aura observé ou fait observer une personne ou en aura réalisé ou fait réaliser un enregistrement visuel ou audio, directement ou par un moyen technique ou autre, sans l’autorisation de cette personne ou à son insu, alors que celle-ci était dénudée ou se livrait à une activité sexuelle explicite, et alors qu’elle se trouvait dans des circonstances où elle pouvait raisonnablement considérer qu’il ne serait pas porté atteinte à sa vie privée, se rend coupable de voyeurisme ». La peine d’emprisonnement varie de 6 mois à 5 ans. Enfin, la loi pénale belge énonce que le voyeurisme existe dès qu’il y a commencement d’exécution, c’est-à-dire que le législateur assimile donc la tentative à l’acte accompli.
III – La difficulté de mettre en action l’arsenal juridique prévu
Pour contrer la politique de modération de Facebook, les administrateurs du groupe avaient pris la précaution d’avertir leurs membres afin qu’ils ne divulguent pas des images dévoilant des tétons. En effet, Facebook limite l’affichage des scènes de nudité. Par exemple, son règlement énonce que « nous (Facebook) supprimons les photographies présentant des organes génitaux ou des fesses entièrement exposées. Nous limitons également certaines images de poitrines féminines si elles montrent le mamelon ». Ainsi, les membres de Babylone 2.0 en cachant ou en rendant flou, les parties intimes de leurs victimes ont pu passer au travers des détections de Facebook qui n’a apparemment pas les moyens technologiques pour pouvoir détecter un tel groupe.
Grâce à la parution de l’article de Mme Charlier, la presse a relaté l’existence du groupe « Babylone 2.0 » … entraînant sa fermeture par Facebook quelques jours plus tard. Selon le fonctionnement de Facebook, c’est à la communauté d’internautes de procéder aux signalements d’abus. La difficulté étant que les signalements ne peuvent être faits que si on a eu connaissance et accès au contenu de « Babylone 2.0 ». En conséquence, la dénonciation de ce type de groupe ne peut se faire que par un membre ou un ex-membre. En outre, la vérification de tels posts reste très compliquée puisqu’il faut avoir accès au contenu. Une victime potentielle doit pouvoir se reconnaitre sur la photo porter plainte si elle le souhaite. La France, la Belgique, et beaucoup d’autres pays se sont dotés de textes particuliers afin de contrer ce genre d’agissements . Il ne faut pas être naïf, la divulgation de ce type de groupe sur Facebook n’est pas une révélation. Selon certaines sources, « Babylone 2.0 » serait déjà réapparu sous l’appellation « Babylone 3.0 ». L’arsenal juridique est-il déjà en retard sur ces nouvelles formes de cyberharcèlement ?
SOURCES :
ANONYME, « Babylone 2.0 : quand des hommes s’échangent des photos de leurs conquêtes à leur insu », levif.be, mis en ligne le 5 janvier 2017, consulté le 16 janvier 2017, http://www.levif.be/actualite/international/babylone-2-0-quand-des-hommes-s-echangent-des-photos-de-leurs-conquetes-a-leur-insu/article-normal-595257.html
CHARLIER (C.), « Babylone 2.0 : 52 000 CONNARDS », 2girls1mag.com, mis en ligne le 5 janvier 2017, consulté le 10 janvier 2017, http://www.2girls1mag.com/babylone-2-0-52-000-connards/
DIGIACOMI (C.), « Facebook suspend “Babylone 2.0”, un groupe secret où 52.000 membres s’échangeaient des photos volées de femmes nues », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 7 janvier 2017, consulté le 10 janvier 2017, http://www.huffingtonpost.fr/2017/01/07/facebook-suspend-babylone-2-0-un-groupe-secret-echange-photos-volees-femmes-nues/
LE CORRE (B.), « Babylone 2.0 : l’homme des cavernes est devenu un internaute aguerri », rue89.fr, mis en ligne le 10 janvier 2017, consulté le 12 janvier 2017, http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-sur-les-reseaux/20170110.RUE6133/babylone-2-0-l-homme-des-cavernes-est-devenu-un-internaute-aguerri.html
LEPAGE (A.), « Injures – La notion de communauté d’intérêts à l’épreuve des réseaux sociaux », lexis360.fr, mis en ligne en Juillet 2013, consulté le 16 janvier 2017, https://www.lexis360.fr/Document/injures_la_notion_de_communaute_dinterets_a_lepreuve_des_reseaux_sociaux_commentaire_par/K3r_5VhscP162tJ2Iam9OgNs03PvpSIdo2yrl2a1IjQ1?data=c0luZGV4PTEmckNvdW50PTkyJg==&rndNum=698360599&tsid=search2_