Avec le développement des technologies digitales, si les enfants sont trop devant leur télévision ou leur console de jeux, ils ne sont pas les seuls. Leurs parents aussi passent trop de temps sur leurs appareils numériques, mais pour des raisons différentes. Il n’est pas rare aujourd’hui, de constater que les salariés répondent à leurs messages professionnels à toute heure du jour ou de la nuit, y compris durant leurs jours de repos. Selon une étude réalisée par le cabinet Eléas en septembre 2016, 37% des actifs utilisent leurs outils numériques professionnels en dehors de leur temps de travail. Cette hyperconnexion aboutie à un épuisement professionnel, ou Burn-out. En France, plus de 12% de la population active est touchée par ce syndrome.
C’est dans cet environnement propice à la “fusion” de la vie professionnelle et de la vie privée, que le droit à la déconnexion est désormais reconnu par la loi. Par droit à la déconnexion, il faut comprendre par exemple, le droit pour un salarié de ne pas répondre à un mail en plein milieu de la nuit ou encore, de ne pas répondre à un appel téléphonique durant ses vacances. Le 1er janvier 2017, les employeurs ont donc dû prendre une bonne résolution. En vertu de l’article 55 de la Loi Travail adoptée en juillet dernier, les entreprises doivent désormais négocier avec les syndicats “la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques”. L’objectif principal de cette disposition est d’assurer le respect des temps de repos, mais aussi de maintenir un réel espace entre la vie personnelle et privée des employés.
L’étroite frontière entre la vie professionnelle et personnelle des salariés comme principale justification à l’adoption du texte
L’utilisation des technologies est désormais incontournable dans le monde professionnel. On pourrait presque parler d’une dépendance, impliquant indirectement une évolution des modes de travail. Les outils numériques ont effectivement réduit l’espace entre le travail et la vie privée, ce qui entraîne souvent, la continuité du travail à la maison et peut impliquer une difficulté pour définir réellement les heures travaillées.
Selon M. Patrick Thiébart, avocat au barreau de Paris, “L’usage incontrôlé des outils du numérique entraîne une certaine culture de l’urgence et de l’immédiateté”. La Loi Travail est donc intervenue pour éviter qu’aucun salarié ne se trouve obligé de répondre sans cesse à des sollicitations par n’importe quel canal de communication que ce soit. Pourtant, l’intrusion de l’employeur dans la sphère privée du salarié a déjà été sanctionnée par la jurisprudence, comme par exemple dans un arrêt de la Cour de Cassation rendu le 17 février 2004, dans lequel les juges ont précisé que “le fait de n’avoir pu être joint en dehors de ses horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif […] ».
Il faut noter que bien avant l’adoption de cette disposition par la Loi Travail, des entreprises s’étaient d’ores et déjà dotées de mesures similaires. En 2015 par exemple, la Poste avait conclu un accord prévoyant un “droit à la déconnexion en dehors du temps de travail”. Ou encore fin 2016, le groupe Michelin avait également prévu un accord mettant en place un système d’alerte lorsqu’un salarié se connectait plus de cinq fois à distance, sur leur messagerie électronique professionnelle.
D’autre part, dans le monde, ce droit a suscité l’intérêt de la presse. Si certains pays s’en sont moqués et l’ont qualifié comme une nouvelle preuve de la fameuse fainéantise à la française, d’autres au contraire, le considère comme un exemple à suivre. En Australie par exemple, dans le magazine The New Daily, des experts voient cette disposition comme un nouveau Droit de l’Homme. Au Mexique, des mesures similaires existaient déjà : les travailleurs peuvent demander d’être payés pour tout travail réalisé en dehors de leurs heures de travail. Aux Etats-Unis en revanche, ce droit suscite l’ironie. En effet, selon Matt Lauer, journaliste et animateur, il serait difficilement envisageable que l’envoi de message à caractère professionnel en dehors du temps de travail puisse être dénoncé par une loi fédérale. Pour la France, la majorité des avis se rejoignent sur un point : ce droit reste bien trop flou en pratique.
Le droit à la déconnexion : un droit plutôt imprécis en pratique
Depuis le 1er janvier 2017, les entreprises doivent mettre en place des “instruments de régulation de l’outil numérique”. Ce droit à la deconnexion impose donc principalement aux entreprises de réfléchir à leur relation avec le numérique, mais ce dernier reste tout de même, plus ou moins flou. En effet, cette nouvelle disposition implique de nouvelles règles pour les employeurs, qui restent dans la pratique, très souples. Le cadre législatif ne prévoit pas de quelle manière exactement, doit être mis en place ce droit. La priorité ici, c’est la négociation avec des partenaires sociaux. Le texte de loi oblige seulement aux entreprises de plus de 50 salariés, d’entamer des négociations annuelles avec les représentants des salariés concernant la qualité de vie au travail. Mais, si aucun accord n’est trouvé, l’employeur pourra tout à fait passer outre et écrire sa propre charte, qui doit détailler les modalités pratiques de ce droit. Celle-ci sera ensuite soumise pour avis au comité d’entreprise ou à défaut, aux délégués du personnel. Il faut également noter que cet article 55 ne s’applique qu’au personnel d’encadrement, ce qui réduit considérablement son champ d’application.
De plus, la formulation du texte reste assez floue et entraîne de fait, des critiques de la part des spécialistes qui auraient souhaité une rédaction moins abstraite. En effet, cette nouvelle disposition ne contient aucune contrainte. Aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect par l’employeur de ce droit à la déconnexion : il n’est prévu aucune obligation de résultat. Cette absence de pénalités pourrait dissuader certains employeurs malhonnêtes de respecter les règles. Mais, il reste que si un salarié intente une action contre l’entreprise pour surmenage et que cette dernière n’a établi aucune politique en la matière, elle ne pourra pas échapper à sa responsabilité. Cette nouvelle disposition doit donc davantage être appréciée comme un nouvel argument sur lequel s’appuyer en cas de litige, plutôt qu’en tant que réel nouveau droit. Il était en effet, déjà possible de saisir le Tribunal des Prud’hommes lorsqu’un employeur s’immisçait trop dans la vie personnelle de l’employé au titre de harcèlement moral.
Mais, n’aurait-il donc pas été préférable de saisir l’opportunité lors de l’élaboration de la loi, pour définir directement la période durant laquelle, toute communication professionnelle serait proscrite ?
SOURCES
(X.) RIDEL, “Le monde entier envie à la France son droit à la déconnexion”, Slate.fr, publié le 01.01.2017, consulté le 08.01.2017, http://www.slate.fr/story/133226/droit-deconnexion-presse-etrangere
(H.), GULLY, “Le droit à la déconnexion en trois questions”, lesechos.fr, publié le 07.01.2017, consulté le 09.01.2017, http://www.lesechos.fr/economie-france/social/0211636160403-le-droit-a-la-deconnexion-en-trois-questions-2055251.php
(C.) MATHIEU & (M-M.) PERETIE & (A.) PICAULT, “Le droit à la déconnexion : une chimère ?”, Revue droit du travail Dalloz, N°10, pp. 592-598, publié le 01.10.2016, consulté le 09.01.2017
(N.) BESSON, “Droit à la déconnexion : garde-fou de la vie privée des salariés ?”, juritravail.com, publié le 27.12.2016, consulté le 09.01.2017, http://www.juritravail.com/Actualite/teletravail/Id/253634