Dans sa décision du 18 septembre 1986, après avoir estimé que « le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie », le Conseil constitutionnel a estimé qu’il s’agissait d’une notion constituant « le fondement de la démocratie » dans sa décision du 17 janvier 1989. Ainsi, à l’approche des élections présidentielles de 2017, les règles de pluralisme dans les médias sont accentuées. Pourtant, comment se fait-il qu’en période de campagne pour ces élections, un film puisse être diffusé en dénigrant un parti politique ?
En effet, le film, réalisé par Lucas Belvaux, « Chez nous » est sorti sur les écrans français le 22 février dernier. Ce film raconte l’histoire d’une jeune femme appréciée dans sa ville et qui se voit proposer d’être candidate pour un parti extrémiste aux élections municipales. Si le réalisateur se passe de citer le nom d’un parti politique français bien réel, ou de citer le nom de ses cadres, plusieurs détails amènent le spectateur à faire le lien avec l’actualité. Le film parle notamment d’une femme blonde, Agnès, qui est leader depuis plusieurs années d’un parti politique, et qui n’a jamais été au pouvoir malgré son influence croissante depuis plus de quarante ans dans la vie politique française. Ce même parti a changé le nom de « Bloc patriotique » par « Rassemblement national populaire » pour faire oublier l’image raciste de l’ancien leader et père d’Agnès. L’image de Jean Jaurès est alors utilisée pour porter le discours anti-immigration et anti-Bruxelles. L’ensemble de ces détails font naturellement penser au parti du Front National, dans l’esprit du spectateur. Le fait est qu’à la fin du film, une leçon moraliste est exposée lorsque l’héroïne refuse de se porter candidate. Par la violence et le racisme des militants de ce parti, par la musique angoissante qui y est associée, par la soif de pouvoir et le côté manipulateur des cadres du parti, ce groupe politique semble diabolisé.
La sortie de ce film a alors engendré essentiellement deux types de réaction. D’une part, il y a ceux qui estiment que cette diffusion est une atteinte au principe du pluralisme. C’est ce qu’affirme le vice-président du Front National, Florian Philippot. Celui-ci a jugé « scandaleuse » la sortie à deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, d’un film qu’il juge « anti-Front national ». D’autre part, il y a ceux qui estiment que cette diffusion, à un tel moment, correspond au principe de la liberté de création. A ce titre, la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a déclaré « C’est dans la tradition des partis d’extrême droite que, avant même d’avoir vu une œuvre, de chercher à la censurer ». De ce fait, la sortie d’un tel film au cinéma nous interroge sur l’exigence du pluralisme, fondement de la démocratie dans les médias, en période de campagne électorale. Plus précisément, ce film nous amène à réfléchir sur la place de la liberté de création et de diffusion des œuvres de fiction dans une telle période.
La place du pluralisme au cinéma : une notion à part
« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle, et à la culture ». Pour que cet article 13 du préambule de la constitution de la quatrième République du 27 octobre 1946 soit effectif, il était alors nécessaire de préserver la diversité de l’offre dans la filière du cinéma. Ainsi, le Centre national du cinéma (CNC) encourage la création cinématographique et le pluralisme de la diffusion et de l’exploitation. En effet, en vertu de l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée (CCIA), le CNC soutient « la diversité des formes d’expression et de diffusion cinématographique ». De ce fait, ce code apporte plusieurs exigences de mise en œuvre de ce principe. Par exemple, les exploitants des salles de cinéma les plus influents doivent prendre des engagements de programmation pour assurer la diversité de l’offre cinématographique, selon les articles L. 212-22 et suivants du CCIA.
La notion de pluralisme, en tant que principe mettant en avant la diversité, est alors présente dans l’exploitation de films cinématographiques. Mais il ne s’agit pas de la notion de pluralisme que l’on pourrait entendre au sens politique. Il n’existe alors pas de règlementation qui vient encadrer le contenu politique des œuvres cinématographiques, même en cas de période d’élection. En ce sens, l’exploitation en salle du film « Chez nous », lors de la campagne présidentielle, est licite. Mais compte tenu de la puissance de l’influence d’un tel support médiatique sur le spectateur, ne serait-il pas bon de parfaire l’exigence du pluralisme dans le secteur du cinéma ? Sur le modèle de la communication audiovisuelle, l’idée d’une règlementation, au moins en période d’élection, pourrait être une solution.
La place du pluralisme dans la communication audiovisuelle : une notion encadrée
Selon l’article 1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : « La communication au public par voie électronique est libre ». Les radios et les télévisions sont alors libres de communiquer et de transmettre les idées qu’elles désirent. Pourtant, il s’agit du secteur où l’exigence du respect à la notion du pluralisme est la plus stricte.
Cette notion s’appréhende différemment si l’on se trouve en période d’élection ou en dehors d’élection. En effet, du fait de son rôle central dans la vie politique française, l’exigence du pluralisme est encore plus stricte lors des élections présidentielles. L’idée étant que chaque électeur soit apte à se forger sa propre opinion, sans craindre d’être influencé par un média.
En vertu de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». En édictant des recommandations, le CSA veille alors à ce que les conditions d’équité et d’égalité du temps de parole et du temps d’antenne soient respectées pour les différents partis politiques. En date du 7 septembre 2016, selon la dernière recommandation relative aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République, la première période de la campagne présidentielle soumise à des règles plus strictes de pluralisme a débuté le 1er février 2017. Cependant, qu’en est-il des œuvres de fiction qui feraient la promotion ou le dénigrement d’un parti politique ou d’un candidat lors de cette période ?
Le manque de précision de la notion de pluralisme pour les œuvres de fiction
En principe, une telle diffusion n’est pas envisagée par le CSA comme une atteinte au principe de pluralisme. Pourtant, plusieurs indications pourraient nous porter à croire le contraire. Par exemple, l’article L. 48-1 du code électoral dispose que « Les interdictions et restrictions prévues par le présent code en matière de propagande électorale sont applicables à tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique ». S’il est reconnu qu’une œuvre ouvertement dénigrante peut être une propagande, en vertu de cet article, la diffusion devrait être interdite. De même, l’article 2 de la délibération du CSA du 4 janvier 2011 dispose que : « Les éditeurs veillent, s’agissant de la publicité en faveur du secteur de la presse, à ne pas diffuser de messages publicitaires de nature à fausser la sincérité du scrutin ». Si une œuvre de fiction, telle que la publicité, peut être interdite, pourquoi cela ne serait-il pas le cas d’un film ou d’une série ?
Toutefois, il reste délicat de sanctionner la diffusion d’une œuvre de fiction puisque la liberté d’expression constitue, elle aussi, « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique », selon l’argumentation des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme, dans l’affaire Handyside contre Royaume-Uni du 7 décembre 1976. Par ailleurs, il serait délicat de prévoir quelle œuvre de fiction serait autorisée ou interdite. Est-ce que la diffusion de la série « Baron noir » pourrait porter atteinte à l’image du Parti Socialiste ? Est-ce que la diffusion de la série américaine « House of Cards » pourrait être sanctionnée, au motif que le caractère véreux des politiciens accentue l’abstentionnisme ou le vote pour un parti extrémiste ?
Si l’impact et la portée de ce film sont à relativiser, cette « polémique » a pour mérite de nous faire réfléchir à un renforcement du pluralisme dans les médias. Dans l’offre des programmes, à un moment où l’on pourrait assister à un effacement des frontières entre la fiction et la réalité, le CSA devrait éclaircir cette condition de pluralisme pour les œuvres de fiction.
Sources :
ANONYME, « Campagnes électorales : tout savoir sur les règles du CSA et de la CNIL – Pluralisme dans les médias audiovisuels Règles “Informatique et Libertés” », par la CNIL et le CSA, consulté le 25 février 2017 ; http://fr.calameo.com/read/004539875a5db90995944?bkcode=004539875a5db90995944
(P.) MOURON, « Les salles de cinéma entre l’art et l’industrie », AJDA, 2010, p. 1862, consulté le 25 février 2017
(M.) MACHERET, « “Chez nous” : Lucas Belvaux monte au front politique, mais y perd son cinéma », Le Monde, publié le 21 février 2017, consulté le 21 février 2017
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