En 24 heures, 400 millions de tweets sont postés dans le monde, et 552 millions d’utilisateurs se connectent à Facebook selon le CNRS. Ces nouveaux médias prennent une place croissante dans la vie des citoyens, qui se renseignent désormais de moins en moins par le biais des médias traditionnels. Au-delà de la numérisation de la plupart des titres de presse écrite, internet participe de plus en plus à la circulation de l’information. Or, sur la toile, tout un chacun peut contribuer à la production de l’information, ce qui pose nécessairement la question de son authenticité.
Le 15 décembre dernier, Facebook a annoncé la mise en place aux Etats-Unis d’un dispositif de lutte contre les fausses informations (« fake news ») qui circulent sur le réseau social. Deux mois plus tard, l’entreprise américaine a déclaré qu’elle comptait s’allier à huit médias français afin de déployer ce nouveau moyen d’action dans l’hexagone.
Dès lors, les utilisateurs pourront signaler les informations qu’ils estiment erronées. Ces dernières seront regroupées au sein d’une même plateforme, à laquelle les médias partenaires auront accès. Si deux d’entre eux démontrent que le contenu signalé est faux en soumettant un lien qui en atteste, plusieurs conséquences en découleront. D’une part, un icone informera le lecteur que deux « fact checkers » contestent la véracité de l’information. D’autre part, lorsqu’un utilisateur souhaitera partager ce contenu, une fenêtre s’ouvrira pour l’alerter. Enfin, ce contenu apparaîtra plus bas dans le fil d’actualité des lecteurs. Tout ceci pose de nombreuses questions juridiques.
Face à l’émergence des médias 2.0, le législateur, pourtant conscient d’un besoin d’adaptation de la législation relative aux médias traditionnels à internet, mets du temps à réagir. S’il est évident qu’il est nécessaire de lutter contre les fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux et autres sites web, est-ce pour autant le rôle d’un hébergeur ?
Si cette action contribue à l’impératif constitutionnel d’honnêteté de l’information – sur internet, on préfèrera parler d’intégrité de l’information – il est néanmoins important de souligner les risques d’atteinte à la liberté d’expression que pourrait engendrer, dans certains cas, un tel dispositif.
La perception du « fact checking » en un combat pour l’intégrité de l’information
L’article 1er de la loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse a défini le service de presse en ligne. Le législateur a ainsi voulu distinguer les informations qui émanent des organes de presse, de celles qui sont émises par les particuliers. En effet, l’émergence des services de communication au public en ligne étend considérablement le nombre d’émetteurs et la masse d’informations qui circulent chaque jour dans le monde. Il est donc très difficile de faire respecter les principes du droit de la presse sur internet et des abus sont commis tous les jours.
En France, il n’existe pas d’autorité administrative chargée de réguler le secteur de la presse écrite. Afin de préserver la liberté d’expression, la presse écrite doit être indépendante de toute ingérence étatique. Seules l’éthique des journalistes et les chartes de déontologie permettent de limiter les abus. Cependant, derrière les écrans ne se cachent pas que des journalistes professionnels, soucieux de déontologie. Et si les médias peuvent influencer la manière de penser des citoyens, la circulation de fausses informations peut jouer un rôle considérable lors d’évènements importants, comme par exemple, lors d’élections présidentielles. Elle a également été le fruit de nombreux évènements tragiques tout au long de l’Histoire. La question des « fake news » est loin d’être récente et n’est certainement pas née avec les réseaux sociaux.
Pour préserver le récepteur d’une information, il est donc nécessaire que cette information soit honnête, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur des données vérifiées et tangibles. On comprend dès lors aisément que des médias français comme Le Monde, l’Express ou encore Libération souhaitent participer à la mise en place de mesures qui tendent à préserver le récepteur contre les faux contenus.
Cependant, la liberté de communication est une liberté essentielle au fonctionnement de la démocratie selon le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi seuls certains délits de presse portant atteinte à l’ordre public sont sanctionnés. La lutte contre les fausses informations doit donc se faire dans le respect de la liberté d’expression.
La compréhension du « fact checking » en un risque d’atteinte à la liberté d’expression
L’article 11 de la DDHC dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
La liberté d’expression est un fondement de la liberté de communication qui a une valeur constitutionnelle depuis la décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982.
Les publications sur internet sont protégées par la liberté de communication. Or, la liberté de communication protège également la liberté de réception de l’internaute. Sauf à répondre de l’abus de cette liberté donc, un hébergeur ne devrait pas pouvoir réduire la circulation d’une publication. La liberté de communication étant, selon le Conseil constitutionnel, l’une des libertés les plus fondamentales, les contrôles de l’exercice de cette liberté doivent nécessairement être réduits aux excès de cette liberté.
Les délits de presse figurent dans le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881, intitulé « des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». Sont réprimés par exemple la provocation aux crimes et délits, la contestation de crimes contre l’humanité, la diffamation ou encore l’injure.
Il existe bien un délit de fausse nouvelle consacré à l’article 27 de cette loi. A la lecture de cet article, il ressort cependant que pour qu’une fausse nouvelle soit sanctionnée, cette dernière doit avoir troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler. En 2000, la question de savoir si, face au développement des médias, il ne serait pas judicieux de supprimer la référence au trouble à la paix publique, a été posée. La réponse du ministère de la justice (publiée dans le JO Sénat du 27 avril 2000, page 1516), était la suivante : « Il est vrai que ce texte n’est aujourd’hui que très rarement appliqué, dans la mesure où le délit n’est constitué qu’à la condition que les informations diffusées aient troublé la paix publique ou aient été susceptibles de la troubler. Tel a été par exemple le cas lors de la diffusion d’une information laissant faussement croire que des provocateurs intervenant lors d’une manifestation étaient en réalité des agents de l’autorité publique, ce qui a donné lieu à une condamnation prononcée en 1988 par la cour d’appel de Paris. Mais supprimer cette condition risquerait de faire tomber sous le coup de la loi pénale toute information erronée, ce qui serait contraire à la liberté de la presse ».
En effet, la désinformation dans les médias n’est pas nouvelle. Dans une recherche systématique du « buzz », ou parce que la prise de position dans un conflit ou encore des idées politiques peuvent jouer sur l’intégrité d’une information, des informations inexactes apparaissent souvent dans les périodiques les plus reconnus.
En outre, selon le principe de responsabilité limitée des hébergeurs, ces derniers n’ont aucune obligation générale de filtrage des contenus. Ils fournissent un service ne consistant qu’à stocker les données. Ils ne peuvent d’ailleurs être retenus responsables en cas de publication illicite que dans deux cas, au sens de l’article 6-I de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). D’une part, lorsqu’ils ont directement participé à la mise en ligne d’un contenu illicite et d’autre part, lorsqu’ils n’ont pas promptement retiré un contenu manifestement illicite signalé par un utilisateur.
Parmi les obligations énoncées à l’article 6-I de la LCEN, les hébergeurs doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant de signaler toute donnée faisant, par exemple, l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale, de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence et des atteintes à la dignité humaine. La loi n’impose pas de dispositif de signalement des fausses nouvelles.
Enfin, la grande question qui peut se poser porte sur les sites parodiques. Il semble évident que dans cette lutte contre les fausses informations, celles publiées sur des sites humoristiques, comme par exemple « Le Gorafi », risquent d’être englobées par cette mesure. Si pour beaucoup il est évident qu’il ne peut y avoir aucune confusion dans l’esprit du public, il est arrivé plusieurs fois que des journaux reprennent les informations de ce site internet, sans réaliser qu’il s’agissait d’humour. Nous en avons eu un exemple le 15 février dernier, lorsqu’un un quotidien algérien a repris dans sa une information satirique du Gorafi. Pour autant, c’est au juge qu’il appartient d’examiner s’il peut y avoir confusion dans l’esprit du public, et non à des acteurs privés. Ici, le « fact checking » pourrait fortement porter atteinte à la liberté d’expression.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faudrait pas réfléchir à une forme de régulation de la presse en ligne. Parce qu’en 1982, la télévision et la radio avaient une très grande influence sur les citoyens, le législateur a créé la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), avant de la remplacer par la Commission nationale de la communication et des libertés puis par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Aujourd’hui, l’influence d’internet surpasse celle des médias traditionnels. Peut-être que la tâche de lutter contre les fausses informations sur internet devrait revenir à des acteurs publics, dont la mission serait de trouver un nouvel équilibre, mieux adapté au secteur de la presse en ligne.
Sources :
ANONYME, « Facebook et Google s’allient aux médias français pour lutter contre les fausses informations », legipresse.com, publié le 6 février 2017, consulté le 6 février 2017, <http://www.legipresse.com/011-49012-Facebook-et-Google-s-allient-aux-medias-francais-pour-lutter-contre-les-fausses-informations.html>
ANONYME, « Marine Le Pen : la grosse bourde d’un journal algérien », lepoint.fr, publié le 15 février 2017, consulté le 15 février 2017, <http://www.lepoint.fr/medias/marine-le-pen-la-grosse-bourde-d-un-journal-algerien-15-02-2017-2104855_260.php?utm_medium=Social&utm_campaign=Echobox&utm_source=Facebook&utm_term=Autofeed&link_time=1487150258#xtor=CS1-31-%5BEchobox%5D>