L’application, très populaire auprès des adolescents, leur permet désormais de voir où se situent leurs amis. Un service qui fait réagir les associations de protection de l’enfance depuis quelques mois, sachant que la majorité des personnes utilisant l’application a en moyenne 16 ans. Ainsi avec cette nouvelle fonctionnalité, les utilisateurs peuvent accéder à une carte sur laquelle apparaît l’emplacement de leurs relations, de façon assez précise. La position est partagée à chaque fois que l’utilisateur ouvre l’application. De nombreux questionnements et inquiétudes ressortent alors de cette possibilité offerte aux snapchatteurs, méfiances non nouvelles en revanche.
Un changement calculé et justifié par l’application
Snapchat avait marqué un gros coup dès le commencement en changeant les règles des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, concernant la temporalité : en effet, les posts disparaissent au bout de 24 heures sauf si l’utilisateur décide de les conserver.
Mais la nouveauté de l’application, ayant dans l’idée de renforcer le lien social et de, par exemple, pouvoir rejoindre facilement ses amis si leur soirée nous fait envie, pose des problèmes juridiques conséquents.
D’abord, certains se sont plaints du fait que cette géolocalisation s’activait automatiquement et par défaut avec l’une des précédentes mises à jour, et, pour ne pas être visible, il fallait désactiver l’option et se mettre en mode fantôme d’où la question du véritable consentement de l’utilisateur, mais en réalité l’application informait l’utilisateur sur cette nouvelle fonctionnalité dès l’installation de la mise à jour, même si l’application se « couvrait » d’avance avec l’article 13 dans ses conditions de service, où elle énonce que « nous améliorons sans cesse nos services et créons de nouveaux en permanence. Cela signifie que nous pouvons ajouter ou supprimer des fonctions, fonctionnalités (…) dans ce cas, nous nous efforcerons de vous informer à l’avance mais ce ne sera pas toujours possible ».
Problématique également en matière de vie privée : Snapchat va plus loin que la plupart des autres applications utilisant la géolocalisation en précisant la rue exacte et même l’immeuble dans lequel la personne est située et même, peut dire si l’utilisateur est en voiture, prend l’avion, écoute de la musique… la multiplicité des techniques utilisées pour recueillir les informations de localisation est protégée au sein de la politique de confidentialité, concernant les données relatives à notre localisation où l’entreprise dit « lorsque vous utilisez nos services, nous sommes susceptibles de collecter des informations relatives à votre position géographique. Sous réserve que vous y consentiez, nous pouvons également collecter des informations sur votre position exacte à l’aide de différentes méthodes, telles que le GPS, les réseaux sans fil, les antennes relais de téléphonie mobile, les bornes d’accès Wi-Fi et autres détecteurs (gyroscopes, accéléromètres et boussoles) », l’intrusion au sein de la vie privée demeure réelle malgré le « pseudo consentement » de l’utilisateur, qui ne réalise pas réellement l’impact de la divulgation de ces données.
La géolocalisation, un dispositif intrinsèque à l’actuelle société
« Nous sommes entrés dans un type de société où le pouvoir de la loi est en train non pas de régresser, mais de s’intégrer à un pouvoir beaucoup plus général : celui de la norme. Ce qui implique un système de surveillance, de contrôle tout autre. Une visibilité incessante, une classification permanente des individus, une hiérarchisation, une qualification, l’établissement des limites, une mise en diagnostic. La norme devient le partage des individus. » (Michel Foucault, Dits et écrits, p. 74-79).
Il est essentiel de prendre conscience des informations partagées et de leur impact. Le manque d’information des utilisateurs sur la collecte de leurs données personnelles est constaté depuis de nombreuses années. Il est impossible de ne pas remarquer l’usage banal et généralisé des applications surtout depuis l’arrivée des smartphones, chaque personne a sur son téléphone plusieurs dizaines d’applications, dont plusieurs requérant les données de localisation. Le développement de telles applications répond à un besoin pratique réel et c’est pour cela qu’elles sont appelées à croître. Il apparaît donc que la géolocalisation n’est pas liée à un phénomène de mode et répond à un vrai besoin en termes de déplacement individuel.
Néanmoins, on peut voir se former une interaction sociale entre les utilisateurs. Cette dimension sociale de la géolocalisation est fortement présente chez les usagers habitués à utiliser ce type d’application. Ils peuvent communiquer et se déplacer davantage. Le fort développement des réseaux sociaux sur mobiles est une preuve de cette volonté d’interaction sociale, par exemple l’application Foursquare, permettant à l’utilisateur d’indiquer où il se trouve grâce à un système de géolocalisation et de recommander des lieux de sortie.
Nos smartphones deviennent de « véritables réserves d’informations gratuites récupérées par les sociétés » mais est-on vraiment conscient de la finalité du partage de ces données ? Par exemple, en se connectant à la Snap Map a-t-on la lucidité nécessaire pour penser que cette géolocalisation poussée peut avoir pour conséquence extrême un cambriolage lorsque l’application indique que nous ne sommes pas chez nous, ou les personnes que nous rencontrons par exemple ?
De l’application d’Apple « mes amis », en passant par Instagram, Shazam ou autre, quel que soit l’application qui utilise la géolocalisation, la protection des données reste la question primordiale. Avec l’annonce du vol des données Uber datant d’octobre 2016 impactant 50 millions d’utilisateurs, il est même nécessaire de se demander si les données, même en faisant confiance à des géants et experts sur le marché, sont vraiment protégées.
Les données volées contenaient les noms, adresses email et numéros de téléphone des clients mais aussi les numéros de permis des chauffeurs, ainsi il est capital de s’interroger sur la possible atteinte qui pourrait découler du hackage de nos données de géolocalisation.
Sorte d’espionnage moderne et ayant conscience que nos données sont revendues, comme expliqué sur ce site concernant les données de géolocalisation à travers les données d’utilisation Izly, celles-ci sont souvent utilisées dans un but commercial et publicitaire et le problème découlant de l’extrême précision de la géolocalisation serait peut-être le manque de protection à ce niveau, mériteraient-elles d’être traitées comme des données sensibles par exemple ?
La géolocalisation : un problème ancien et récurrent, sans solution concrète
Le point essentiel concernant la géolocalisation est le consentement de la personne et la possibilité de modifier son choix quand elle le souhaite. Définie au point h) de l’article 2 de la directive de 1995, le consentement de la personne concernée correspond à « toute manifestation de volonté, libre, spécifique et informée par laquelle la personne concernée accepte que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. » et figure également aux articles 7 et 8. Cette obligation de consentement est une condition de la légitimité du motif du traitement des données opéré par le responsable de traitement. Le consentement doit être demandé à l’utilisateur préalablement au traitement envisagé, il doit être exprès. Par conséquent, le silence de l’utilisateur ne doit pas valoir acceptation pour le responsable de traitement, si l’utilisateur ne se manifeste pas de son propre chef, le consentement ne doit pas être considéré comme donné. Le consentement doit pouvoir être donné et retirer quand l’utilisateur le souhaite.
Mais plusieurs entreprises ont du mal avec le concept de consentement, par exemple, rappelons le problème de Google, qui a collecté les données de localisation même lorsque l’option de localisation est désactivée : dès que l’utilisateur se connecte à internet, les données sont envoyées à Google.
Si Google s’efforce aujourd’hui de limiter la portée de cette collecte et d’annoncer sa fin prochaine, il n’est pas impossible de penser que cette affaire lui cause quelques soucis auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Avec le droit des personnes renforcé avec le RGPD entrant en vigueur en mai 2018, « les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités » (article 5 du RGPD), il est possible d’espérer une amélioration et une meilleure protection. Mais le problème est que les textes européens sont axés sur le traitement des données à caractère personnel dans leur globalité et ne sont pas assez précis sur la localisation en tant que telle, alors qu’elle mériterait d’être traitée de manière distincte.
SOURCES :
BERGOUNHOUX (J.), Uber a caché le vol de données de 50 millions de clients et 7 millions de chauffeurs, publié le 22 novembre 2017, consulté le 15 décembre 2017,https://www.usine-digitale.fr/article/uber-a-cache-le-vol-de-donnees-de-50-millions-de-clients-et-7-millions-de-chauffeurs.N617393
BOLESSE (C.), Snapchat : l’extrême précision de la Snap Map inquiète, publié le 26 juin 2017, consulté le 23 décembre,http://www.01net.com/actualites/snapchat-l-extreme-precision-de-la-snap-map-inquiete-1195042.html
LAUSSON (J.), Google l’admet : même sans localisation, Android collecte votre position, publié le 21 novembre 2017, consulté le 23 décembre, http://www.numerama.com/tech/308151-google-admet-collecter-la-position-des-smartphones-meme-quand-la-localisation-est-coupee.html?utm_content=buffer588fc&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
TUAL (M.), Snapchat : la nouvelle fonctionnalité de géolocalisation soulève des inquiétudes, publié le 26 juin 2017, consulté le 23 décembre, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/06/26/snapchat-la-nouvelle-fonctionnalite-de-geolocalisation-souleve-des-inquietudes_5151312_4408996.html