De nombreux contentieux en justice se sont créés entre le polémiste Eric Zemmour et l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle (CSA). La Justice a dû trancher entre ce qui tenait de la liberté d’expression et ce qui tenait de la provocation à la haine raciale et à la discrimination.
Eu égard au principe de la liberté de communication des pensées et des opinions, consacré et protégé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi du 30 septembre 1986 rappelle qu’il faut veiller à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République et de contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations. Le Conseil d’État souhaites éviter que le CSA interprète la loi de façon à imposer, à l’éditeur du service l’interdiction sur son antenne de toute critique des principes et des valeurs républicains.
Quel rôle doit jouer le CSA concernant Eric Zemmour, créateur d’audience toujours plus controversée ?
Pour comprendre l’intervention du CSA, il est utile de rappeler les différents épisodes judiciaires du polémiste. Éric Zemmour a été condamné le 17 septembre 2019 à une amende de 3 000€ par la Cour de cassation pour incitation implicite à la haine. Le demandeur estimait que cette décision porte atteinte à la liberté d’expression et constitue une atteinte au procès équitable. Il s’indigne en commentant « la France laisse-t-elle encore à quelqu’un le droit d’être un polémiste ? ».
Quelques temps plus tard, ce dernier est rattrapé par la justice notamment pour son discours radical lors de la Convention de la droite du 28 septembre 2019. En effet, les membres du CSA se sont réunis en assemblée plénière le 4 octobre 2019 pour statuer sur la séquence diffusée sur LCI. L’autorité a adressé une ferme mise en garde à la chaîne, pour avoir offert une tribune aux idées du polémiste sans “mettre en contexte de façon appropriée les propos tenus, ni apporter une contradiction adéquate”. Le problème pour l’autorité de régulation, c’est qu’elle n’a pas pour mission de sanctionner des propos potentiellement illégaux, mais d’obliger les chaînes à respecter leurs conventions et un certain nombre de règles déontologiques fixées et ce, sans nuire à la liberté d’expression.
En raison de la gravité des propos d’Eric Zemmour lors de ce discours, l’instance a décidé de saisir le procureur de la République de Paris des éléments dont elle a connaissance, dans le cadre de l’enquête pour “injures publiques” et “provocation publique à la discrimination, la haine ou à la violence”. Ainsi, le CSA va communiquer au parquet de Paris, le contenu des centaines de signalements reçus à la suite de la diffusion du discours d’Eric Zemmour sur LCI.
Cette procédure a été considéré comme une initiative exceptionnelle. Son déclenchement est fondé sur l’article 40 du Code de procédure pénale qui dispose qu’une autorité publique qui “acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs”. La dernière intervention de ce type remontait à 2005, lorsqu’un programme à caractère antisémite sur la chaîne iranienne Sahar, avait été diffusé. À ce moment, les membres du CSA avaient mis en demeure l’opérateur français Eutelsat d’en cesser la diffusion dans un délai d’un mois.
À la suite de ces épisodes judiciaires, Eric Zemmour a été recruté récemment par la chaine CNews et commente en direct l’actualité dans l’émission quotidienne « Face à l’info ». CNews a décidé de le recruter malgré l’intense controverse déclenchée à la Convention de la droite. Cette émissions de débat a permis à CNews de tripler son audience grâce au polémiste ( +170% d’audience ) mais la chaine a aussi subi une perte dans ses recettes publicitaires. On aurait pu craindre le pire pour Cnews, qui s’est volontairement privé de publicités durant l’émission (diffusée entre 19 et 20 heures). Plusieurs annonceurs avaient demandé à la chaîne, de ne plus diffuser leurs publicités en même temps que son émissions. Par exemple, le groupe Ferrero a décidé d’exclure ses publicités de l’émission et a été suivi par Groupama, la Maif et Monabanq. Les marques veulent éviter le « bad buzz », d’autant plus que des ONG ont Cnews dans le collimateur. En attendant, le directeur de CNews assure avoir le soutien de Vincent Bolloré, grand patron du groupe Canal +.
Les difficultés ne se sont pas arrêtées là, le nouveau chroniqueur de “Face à l’info” affirmait le 23 octobre 2019, être « du côté du général Bugeaud » qui, « quand il arrive en Algérie, commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs ». les syndicats de Canal + ont alors saisi le comité d’éthique du groupe afin de réclamer le départ du polémiste. Après de nombreuses négociations entre la direction du groupe Canal + et les syndicats, l’émission de débat ne sera plus diffusée en direct. Désormais, les interventions de Eric Zemmour seront contrôlées et coupées au montage, si nécessaire. L’émission sera enregistrée avant l’heure de diffusion afin de prévenir d’éventuels manquements éthiques.
En somme, la chaîne LCI n’est plus seule dans le viseur du CSA. S’adressant sans la nommer à CNews, le régulateur a appelé les médias « à la responsabilité » et rajoute que « La liberté d’expression ne saurait justifier la diffusion de propos susceptibles d’inciter à la haine ou aux discriminations ». Cette tendance des émissions polémiques, qui semble attiser l’audience des chaines, doit nécessairement être encadrée. Le risque dans ces scandales à répétition, est d’aboutir à un rétrécissement de la liberté d’expression. Il ne faut pas confondre la liberté de pensée et la liberté de publier tout ce que l’on pense au risque de porter atteinte aux autres. La collaboration du CSA et de la justice doit avant tout permettre et garantir une pluralité des pensées, mais aussi responsabiliser les éditeurs de service audiovisuel.
Léa CHARTON
Sources:
- Emmanuelle Maupin, « La liberté d’expression inclut celle de critiquer les valeurs républicaines », Dalloz actualité, 24 octobre 2018
- Barthélémy Philippe, « Le CSA transmet des renseignements à la justice concernant Eric Zemmour, une première depuis 15 ans », 25 octobre 2019
- Sandrine Cassini, « Le CSA transmet au parquet des éléments sur le discours d’Eric Zemmour diffusé sur LCI », 24 octobre 2019
- Le Monde avec AFP, «Eric Zemmour définitivement condamné pour provocation à la haine raciale», 20 septembre 2019