Dans le cadre de l’initiative Tech For Good créée en 2018 par le Président Macron, 75 grandes entreprises de la tech ont signé l’Appel Tech for Good du 30 novembre 2020. Tous les signataires reconnaissent ainsi leur incidence sociale, écologique et sociétale, et s’engagent à mobiliser leurs moyens pour relever les défis actuels et améliorer la société.
Une initiative pour répondre aux problématiques sociétales actuelles.
Les technologies numériques sont capables du meilleur comme du pire, et ont aujourd’hui une place très importante dans nos sociétés à tel point que les grands acteurs économiques peuvent avoir des chiffres d’affaires dépassant le PIB de certains États. Alors que les outils numériques sont utilisés quotidiennement, le projet du Président Macron avait pour genèse la réunion des grands acteurs du secteur afin de négocier la mise à disposition de leurs technologies au service du bien commun et du progrès humain.
Depuis maintenant trois ans, des réunions annuelles se tiennent à l’Élysée afin d’évoquer le projet et d’inciter les géants de la tech à s’engager. Du fait de la crise sanitaire, l’édition 2020 du sommet Tech For Good a été reportée, mais un sommet intermédiaire s’est tout de même tenu au mois de novembre, à la suite duquel cet appel a été présenté.
Cet engagement part du postulat que la révolution technologique a des apports positifs notamment dans certains domaines tels que le partage de l’information, la diffusion du savoir, la coopération internationale ou l’accès à l’éducation et à la culture. Les protagonistes engagés constatent par ailleurs le rôle central qu’ont les outils numériques « dans la résilience de nos sociétés face aux crises » notamment sanitaire, sociale et environnementale.
Si ces avancées sont évoquées, l’accord reconnaît toutefois l’existence de risques et d’entraves : les pratiques concurrentielles déloyales du secteur sont mises en lumière, tout comme les fragmentations de l’internet causées par l’utilisation de ces outils à des fins criminelles. Ces dernières constituent alors une menace sur les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, tout en défiant nos démocraties.
Une reconnaissance des enjeux actuels ouvrant la porte à un engagement.
Par cet engagement, les acteurs du numérique signataires reconnaissent que leurs technologies, pour pouvoir être bénéfiques à la société, doivent respecter la vie privée, la liberté de choisir et de comprendre ainsi que l’autonomie de leurs utilisateurs. La préservation d’un « internet accessible, libre, ouvert, sûr, résilient, interopérable et non fragmenté » est aussi posée afin de garantir un cyberespace sain.
En signant cet appel, 75 grands acteurs de la tech dont Google, Microsoft et Facebook, s’engagent à soutenir les mesures « transparentes, spécifiques et techniquement faisables » afin de prévenir la publication et la diffusion de propos violents, terroristes ou contenus pédopornographiques. Ils s’engagent également à « traiter de manière responsable » les nouvelles problématiques causées par leurs outils tels que les manipulations de l’opinion, la désinformation ou les discours de haine. Le concept de privacy by design est aussi évoqué afin que ces problématiques entrent en compte dès la conception des produits.
Par ailleurs, cet appel a également été signé par des grands groupes de l’économie plus classique tels qu’Orange, Iliad, L’Oréal ou TF1. Des licornes françaises et étrangères participent également, telles que Doctolib, BlaBlaCar ou Uber. Pour cause, des enjeux fiscaux sont aussi inscrits dans cet appel qui engage les acteurs signataires à prendre place à une juste contribution aux impôts. Le texte prône aussi un soutien à la recherche mondiale ainsi qu’à la résolution des défis sanitaires et environnementaux.
La promotion de l’inclusion sociale, de la diversité et de l’égalité des chances fait aussi l’objet de cet engagement, tout comme le soutien à l’élargissement de la culture de la compréhension des enjeux technologiques au moyen d’un travail avec l’ensemble des acteurs concernés comprenant les universitaires et la société civile.
De belles promesses dans un contexte européen de régulation du numérique : entre enjeux diplomatiques et opération de communication.
Il est légitime de se questionner sur la portée de ce texte qui n’a en réalité qu’une simple valeur symbolique. En effet, la volonté du Président français était de dialoguer avec tous les acteurs afin qu’ils s’engagent d’eux-mêmes à veiller au bien commun, au moyen d’une forme d’auto-régulation.
Toutefois, cet engagement qui traduit de belles paroles est facilement discutable lorsque l’on demande à des acteurs une auto-régulation de leurs outils qui peut être contraire à leur modèle économique. De plus, comment croire en la bonne volonté d’entreprises, à l’instar de Google, qui s’engagent publiquement à respecter la vie privée des utilisateurs alors qu’ils sont condamnés dans le même temps pour leurs pratiques illégales quant à la protection des données ? Les grands acteurs étrangers sont-ils réellement prêts à adapter leurs pratiques fiscales ? Le californien Uber pense-t-il réellement à respecter les droits sociaux de ses travailleurs ? Les plateformes de communication en ligne envisagent-elles d’accroitre leur lutte contre la diffusion de fausses informations et propos haineux, conduisant dans une certaine mesure à limiter la liberté d’expression qu’elles prônent de manière large ? La frontière entre véritable engagement d’une part et social washing voire lobbying de l’autre est parfois très fine.
Quoi qu’il en soit, cette opération symbolique à l’enjeu diplomatique renforce davantage la pression sur les acteurs du numérique qui, s’ils ne sont pas engagés de droit dans ce Tech For Good Call, ne pourront pas passer à travers la règlementation européenne qui s’étoffe davantage. En effet, la régulation des plateformes en ligne et de l’internet est une question prioritaire pour la Commission européenne, qui présente à la mi-décembre ses très attendus Digital Services Act et Digital Markets Act visant à contrôler davantage les plateformes numériques.
Finalement, aussi belle soit son intention, l’Appel Tech for Good semble être une tentative de soft power reposant sur des enjeux éthiques, constituant le hors d’œuvre d’une politique européenne plus stricte.
FERNANDEZ Ludovic
Sources :
- « Apple Tech for Good», novembre 2020.
- « Tech for good : que veulent les grandes entreprises du numérique ?», La bulle économique, France culture, 05 décembre 2020.
- « Tech for Good : plus de 75 leaders s’engagent !”, Elysée.fr, 01 décembre 2020.
- “Fiscalité, regulation… : l’appel “Tech for Good”, ou la déclaration de bonne volonté des géants du numérique», Le monde, 01 décembre 2020.