A l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant ayant lieu le 20 novembre, Claire Hédon, Défenseure des droits, ainsi que son adjoint, Éric Delemar, Défenseur des enfants, ont le 17 novembre 2022 présenté publiquement leur rapport annuel consacré aux droits de l’enfant, intitulé La vie privée : un droit pour l’enfant.
L’édition 2022 de ce rapport se consacre en effet à un enjeu et objectif de taille dans le cadre de notre société, aujourd’hui fortement imprégnée par le numérique : protéger la vie privée des enfants, en particulier sur Internet, tout en permettant une véritable garantie de leurs libertés.
Dans le cadre d’une consultation nationale, l’opinion de 1100 enfants âgés de 6 à 21 ans a alors été recueillie autour de 3 thèmes principaux : la protection de la vie privée de l’enfant dans ses rapports aux autres, dans ses rapports au corps et, enfin, dans ses rapports au numérique. L’expertise de nombreux professionnels spécialisés a également été sollicitée s’agissant de la rédaction de ce rapport.
Ainsi, les questionnements abordés s’appliquent tout d’abord aux enfants, mais aussi aux personnes étant quotidiennement en contact avec ceux-ci : parents, famille, communauté éducative, corps médical, professionnels de l’enfance et autorités en charge de leur protection.
Dès le début du rapport, la complexité de l’enjeu consistant à protéger les enfants tout en respectant leurs libertés ainsi que leur vie privée, est alors nettement soulignée :
« Quand on interroge les enfants sur leur conception de la vie privée, on s’aperçoit aisément de l’importance de leurs questionnements, de la demande de protection de leur espace d’intimité, de leur volonté de préserver leurs secrets. A travers les interdits qu’ils énoncent, ils dénoncent finalement des atteintes à leur vie privée ».
[…]
« Difficile à saisir, la vie privée est néanmoins identifiée comme un élément à préserver et à protéger. Sans intimité, sans espace personnel préservé du regard d’autrui, il n’y a pas de vie privée. Toutefois, pour les enfants, le droit au respect de la vie privée n’a rien d’une évidence. La préservation de la vie privée et de l’intimité des enfants repose sur des conditions concrètes, portant aussi bien sur son environnement que sur son entourage. Certaines peuvent sembler anecdotiques ou accessoires, mais aucune ne l’est. »
Qui est le Défenseur des droits et quel est son rôle ?
Issu de la fusion entre différentes autorités administratives indépendantes (AAI), le Défenseur des droits a été institué par le biais de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi du 29 mars 2011. Cette autorité est nommée pour une durée de six ans par le Président de la République.
Dès lors, le Défenseur des droits revêt aujourd’hui la qualité d’autorité constitutionnelle indépendante et son rôle principal consiste notamment à veiller au respect des libertés et des droits des citoyens par les administrations et organismes publics.
En ce sens, le Défenseur des droits agit alors s’agissant des relations avec l’administration, de la protection de l’intérêt de l’enfant, des discriminations, de la déontologie des forces de police ainsi que, depuis la loi du 09/12/2016 dite Sapin 2, de l’orientation et de la protection des lanceurs d’alerte.
A savoir que toute personne a la possibilité de saisir de façon directe et non onéreuse cette autorité par le biais d’une simple lettre. En effet, le Défenseur des droits bénéficie d’une large capacité d’intervention et est aujourd’hui de plus en plus sollicité. A ce titre, l’autorité recevait plus de 165 000 demandes de conseil ou d’intervention pour l’année 2020.
La vie privée, un droit trop peu reconnu aux enfants
Le rapport note qu’il est souvent complexe d’envisager concrètement l’idée que les enfants bénéficient, au même titre que les adultes, d’un réel droit à la vie privée. Pourtant, l’exercice de ce droit fondamental par l’enfant ainsi que l’accès à des espaces d’intimité et de secret s’imposent de façon indéniable comme étant essentiels à sa construction.
De fait, l’enfant étant soumis à l’exercice de l’autorité parentale ayant la possibilité de limiter ses libertés afin de le protéger, cette autorité garante de la sécurité, de l’éducation et de la santé de l’enfant est alors nécessairement en position d’encadrer tout ce qui a trait à sa vie privée.
Or, l’article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) prévoit explicitement que : « Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteinte illégales à son honneur et sa réputation. L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. ».
Plus largement, l’article 9 du Code civil prévoit également que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». D’autant plus que depuis une décision du Conseil constitutionnel rendue le 23 juillet 1999, ce droit revêt la qualité de principe à valeur constitutionnelle.
Ainsi, malgré une consécration en droit, le rapport souligne cependant que la vie privée comme droit de l’enfant n’est pourtant que très peu reconnu et trop souvent bafoué en pratique.
De fait, le droit à la vie privée pour les enfants et sa protection doivent impérativement bénéficier d’une garantie effective à la fois par les détenteurs de l’autorité parentale mais aussi par les pouvoirs publics.
En ce sens, le rapport insiste sur le fait qu’en l’absence d’une protection effective de sa vie privée, l’enfant ne sera pas nécessairement en capacité de devenir un individu « libre, autonome et respectueux de l’altérité ».
Un lien indissociable entre le droit à la vie privée et le droit d’être protégé contre toute forme de violence
La Défenseure des droits ainsi que le Défenseur des enfants détaillent ensuite un constat intéressant : la garantie du droit à la vie privée des enfants est, in fine, intimement reliée au bon respect de leur droit à la protection contre toute forme de violence, ce dernier étant également prévu par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989.
En effet, afin de protéger et de préserver l’enfant face à la violence, l’un des premiers réflexes va être de restreindre au maximum son espace de vie privée, voire de lui prohiber toute dimension privée au moyen d’intrusions et de contrôles multiples.
Or, une telle réaction donnerait finalement lieu à d’autres dangers puisque faute d’espace d’intimité qui lui est propre, l’enfant serait alors davantage enclin « d’exposer en public – ou du moins au regard d’autrui – ce qui relève de sa vie privée ».
De fait, sans en être conscients ou en mesurer pleinement l’ampleur, beaucoup d’enfants et adolescents font aujourd’hui face à des partages récurrents de contenus en ligne conduisant à exposer publiquement des photos, vidéos ou informations désignant de réelles composantes intimes de leurs vies privées.
Néanmoins, ce constat révèle également, de façon alarmante, que dans bien des cas cette prise de conscience quant aux éventuels impacts sur leur vie privée, n’intervient malheureusement que lorsque les conséquences de ces publications sont graves (chantage, harcèlement, exploitation sexuelle…).
Ainsi, une fois de plus la réelle nécessité d’un accompagnement de l’enfant s’impose indéniablement s’agissant de l’utilisation des outils mais aussi des dangers du numérique, tout en lui permettant le plein exercice de ses libertés et surtout, la protection de sa vie privée.
De nouveaux défis liés au numérique et à Internet
Le développement des usages numériques a malheureusement conduit à une constante exposition des enfants face à de potentielles violences de nature numérique telles que le cyberharcèlement, l’atteinte à la e-réputation, la haine en ligne ou encore la provocation au suicide.
Le rapport évoque également, sans toutefois le nommer explicitement, le phénomène très courant dit du « sharenting » désignant la publication en ligne par les parents de photos de leurs enfants. Selon la Défenseure des droits, ces pratiques aujourd’hui trop « banalisées » constitueraient néanmoins « des atteintes inédites à la vie privée de l’enfant ».
En effet, les défenseurs alertent notamment sur le fait que « ces intrusions quotidiennes privent les enfants de leur capacité à définir leur propre image et leur identité, déjà inscrites dans la sphère publique ».
Une fois de plus, le rapport souligne que malgré la ressource infinie de partage et de savoir que désigne Internet, son utilisation par les enfants requiert néanmoins un accompagnement et une vigilance toute particulière.
De fait, les chiffres sont parlants, selon une enquête menée par l’IFOP pour la CNIL en 2020, 82 % des enfants âgés entre 10 et 14 ans indiquent aller régulièrement sur internet sans leurs parents.
Enfin, 25 % des collégiens déclarent avoir connu au moins une atteinte à leur vie privée en ligne selon la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO).
Quelles recommandations pour prévenir des atteintes à la vie privée des enfants en ligne ?
Ce rapport est à l’origine de 33 recommandations ayant vocation à garantir une meilleure effectivité du droit à la vie privée pour les enfants.
D’un point de vue global, la Défenseure des droits insiste, d’une part, sur la nécessité de porter une attention toute particulière à la parole de l’enfant ainsi qu’à son comportement.
D’autre part, il apparait ensuite indispensable de soutenir le pouvoir d’agir de l’enfant notamment en lui donnant accès à des outils et repères lui permettant d’exercer ses droits, mais aussi de conscientiser qu’il bénéficie de garanties adaptées telles que le droit à l’oubli en matière numérique.
Finalement, la Défenseure des droits précise que l’éducation reste le meilleur moyen de protéger les enfants. En ce sens, le rapport formule alors plusieurs recommandations s’agissant du comportement à adopter afin de faire évoluer cette question :
- Faire connaitre leurs droits aux enfants et notamment leur droit à l’oubli
- Leur offrir des espaces d’expression
- Tenir compte de leur parole
- Garantir leur accès à des espaces respectueux de leur intimité et de leur dignité
- Mener des campagnes de sensibilisation, notamment dans les établissements scolaires
- Proposer des formations spécialisées aux parents et les inviter à l’utilisation d’un outil de contrôle parental, moyen de prévention encore trop peu démocratisé aujourd’hui
- Intégrer l’enfant dans les décisions prises au sujet de sa vie numérique
A savoir que le Règlement Général sur la Protection des données (RGPD), prévoit, en son article 17, un droit à l’effacement de ses données personnelles ou droit à l’oubli pour toute personne en faisant la demande auprès du responsable de traitement.
Quant à elle, la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 prévoit désormais en son article 40, un droit à l’oubli spécifique aux mineurs ainsi qu’une procédure accélérée quant à l’exercice de ce droit permettant à la personne concernée d’obtenir l’effacement de ses données personnelles, et ce, peu importe la personne étant à l’origine de la publication du ou des éventuels contenus. Il est néanmoins nécessaire d’avoir été mineur au moment de la collecte des données afin de bénéficier de cette procédure.
Enfin, Claire Hédon, Défenseure des droits, revendique également, de la part du législateur, un meilleur encadrement de la commercialisation de la vie privée des enfants dans les cas où ceux-ci sont exposés en ligne.