Plaintes contre une vidéo envoyée par un ministre concernant la réforme des retraites

Contexte

Ce jeudi 26 janvier 2023, de nombreux agents de la fonction publique ont reçu sur leur boîte mail personnelle un message de la direction générale des finances publiques de la part du ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini. Ce mail a pour objectif de faire la promotion du projet de réforme des retraites par le gouvernement. Pour ce faire, un lien est glissé dans le contenu du mail qui conduit à une vidéo dans laquelle le ministre vante les mérites de cette réforme et explique pendant 6 minutes les avantages qu’elle octroie aux personnes concernées.

En réaction à ce message, de nombreux syndicats se sont dit indignés par une telle pratique qu’ils estiment illégale et allant à l’encontre des droits des fonctionnaires en question.

De nombreux internautes se sont aussi plaints de cette communication sur les réseaux sociaux et certains ont déjà fait un recours auprès de la CNIL, qui a déclaré qu’elle allait procéder à des vérifications concernant cette affaire. On peut dès lors penser qu’elle prend la chose au sérieux, considérant un éventuel manquement de la part du ministère.

Problème juridique

Il s’agit alors ici de savoir dans quel cadre une communication électronique dans un but politique est conforme aux dispositions relatives à la protection des données et plus spécifiquement au RGPD.

Pour répondre à ce questionnement, il va falloir se pencher sur la licéité du traitement car des manquements sont potentiellement constatables.

Tout d’abord, il s’agit de s’assurer que le mail en question constitue bien un traitement de données à caractère personnel. Une donnée personnelle selon le RGPD est toute information relative à une personne physique susceptible d’être identifiée, directement ou indirectement. En l’espèce, les messages polémiques ont été envoyés sur des adresses mails personnelles ce qui constitue en effet une donnée personnelle.

La finalité du traitement

A présent, il s’agit de savoir si le traitement effectué en question est conforme au RGPD ou non. Pour qu’un traitement de données à caractère personnel soit légal il faut qu’il respecte une liste de conditions exhaustives présentes à l’article 5 du RGPD.

Ce qui va nous intéresser en particulier ici est la finalité du traitement des données. En effet, dans son communiqué la CNIL précise qu’elle doit vérifier si la finalité du traitement en l’occurrence est licite ou non.

D’après l’article 5b du RGPD les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. L’article précise ensuite que tout traitement ultérieur ayant une finalité incompatible avec celle prévue de base est illégal.

En l’espèce, les mails ont été envoyé par la DGFIP qui est l’organisme gérant les finances publiques. Les citoyens, lors de leur inscription électronique à cette institution consentent à fournir leurs données personnelles. Concernant les agents de la fonction publique, la DGFIP leur sert en priorité à déclarer leurs impôts. Elle peut avoir d’autres missions mais n’a jamais pour objectif de faire de la communication politique pour n’importe quelle raison. Il serait alors intéressant de voir à quoi ont consenti exactement les agents qui ont reçu le mail litigieux. Si ces derniers ne consentent pas à fournir leurs données dans un but de recevoir des communications politiques alors la finalité du traitement initialement prévue a été détournée.

Il faut aussi se pencher sur d’autres articles du RGPD qui évoquent la finalité du traitement des données à caractère personnel. Le troisièmement de l’article 13 de ce règlement dispose que si le responsable du traitement a l’intention d’effectuer un traitement ultérieur des données pour une finalité différente que celle consentie initialement alors il doit en informer la personne concernée à l’aide d’une liste d’informations précises prévues au paragraphe 2 de ce même article.

Par ailleurs, la CNIL a déjà communiqué à ce sujet en rappelant les principes en matière de communication politique par voie électronique. Elle a rappelé, le 27 novembre 2019, qu’un parti politique ou un candidat peut acheter ou louer un fichier de clients mais ne peut pas l’utiliser à des fins commerciales sans respecter certaines conditions.

La première condition paraît déjà non respectée ici car il s’agit d’avertir les clients qu’une communication politique peut leur être faite mais uniquement au moment de la collecte initiale.

Il faudra attendre la décision de la CNIL mais à première vue il est fort possible que le ministre et la DGFIP soient en torts concernant la finalité du traitement opéré.

Les autres manquements potentiels au RGPD

Il est possible que la CNIL ait à se pencher sur le potentiel transfert de données entre la DGFIP et le ministère en question. Cependant, déjà interrogé, le ministre a assuré qu’aucun transfert de données personnelles ne s’est fait entre les deux entités.

Si c’est le cas alors il n’y a pas d’infraction sur ce domaine mais si cette déclaration est fausse alors il est possible qu’une autre infraction au RGPD soit caractérisée car le transfert des données des usagers doit se faire avec leur consentement.

De plus, certains internautes ont affirmé ne plus travailler pour la fonction publique depuis plusieurs années et ont tout de même reçu le mail. Il n’est donc pas impossible que les données des utilisateurs soient conservées pour une période plus longue que celle nécessaire. Ce qui constituerait une nouvelle infraction à l’article 5 du RGPD mais il est plus difficile de l’établir ici car il faudrait tous les éléments, or nous ne les possédons pas encore.

Pour conclure, il faudra attendre une décision de la CNIL pour pouvoir s’assurer que la pratique utilisée par le ministre est bien illégale. Toutefois, même si elle s’avère conforme, ce procédé s’apparente davantage à une tentative désespérée pour convaincre le maximum de personnes des bienfaits d’une réforme assez impopulaire qu’à une stratégie de communication.

Sources :

CHAPITRE II – Principes | CNIL

CHAPITRE III – Droits de la personne concernée | CNIL

La communication politique par courrier électronique | CNIL

Réforme des retraites : un mail de Stanislas Guerini fait enrager les syndicats (francetvinfo.fr)