par David INDAHY, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Le 22 octobre 2024, des figures du cinéma, de la musique et de la littérature se sont unies afin d’alerter sur l’exploitation sans autorisation de leurs œuvres pour l’entrainement de systèmes d’intelligence artificielle.
À l’initiative du compositeur américain Ed Newton-Rex, la pétition a récolté une dizaine de milliers de signatures d’artistes et auteurs dont le prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro.
Des droits d’auteur en danger
Les articles L 111-1 et L 112-1 du code de la propriété intellectuelle disposent pour la France que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Aussi, cette protection bénéficie à tout auteur d’œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Les exceptions légales actuelles aux droits exclusifs des auteurs, telles que la copie transitoire ou la fouille de textes et de données, ne mentionnent pas expressément l’utilisation d’œuvres pour l’entraînement des IA. Ces exceptions permettent des copies temporaires ou la recherche d’informations sans finalité économique. De fait, la génération de contenus par un système d’intelligence artificielle qui est susceptible d’octroyer des revenus pécuniaire n’est pas compatible avec ces exceptions.
Aussi, cette initiative affirme que « L’utilisation sans licence d’œuvres créatives pour l’apprentissage de l’IA générative constitue une menace majeure et injuste pour les moyens de subsistance des personnes à l’origine de ces œuvres, et ne doit pas être autorisée ».
S’inscrivant dans un contexte de défiance collective du monde de la culture face à l’incertitude juridique avec l’IA, cette pétition soulève les problématiques et défis que suscite le développement accru des systèmes d’intelligence artificielle.
Notamment, elle pose la question de la violation des droits de propriété intellectuelle des œuvres exploitées.
En effet, dans l’état actuel de la technique, pour pouvoir construire un modèle nouveau, pendant son processus d’apprentissage, que l’on appelle le training, le système d’intelligence artificielle s’entraîne sur des données préexistantes incluant souvent des œuvres protégées. Concrètement, il est indispensable aux systèmes d’IA de se nourrir de contenus existants, et ce, nonobstant le fait qu’ils soient parfois protégés par des droits d’auteur. De fait, pour pouvoir créer, l’IA viole des droits de propriété intellectuelle.
Enjeux culturels et déshumanisation du processus de création
Au delà des problématiques juridiques, une certaine inquiétude autour de la déshumanisation du processus de création émerge. En fait, contrairement aux œuvres créées par des artistes physiques, par des êtres humains, qui empreignent leurs œuvres d’émotions et d’originalités, les productions générées par l’intelligence artificielle ne sont que le résultat d’un processus algorithmique. C’est cette forme de mécanisation de la création artistique qui est d’autant plus inquiétante. L’art, dans son sens originel reflète l’âme de l’artiste, les sentiments qu’il souhaite véhiculer par sa création, cette dimension ô combien importante est la pierre angulaire de la création artistique.
Ces préoccupations ne sont d’ailleurs pas nouvelles, en avril 2024, une lettre ouverte a déjà été signée par plusieurs célébrités de la musique (notamment Billie Eilish et Katy Perry) qui qualifiait l’IA comme une « attaque à la créativité humaine ».
L’IA Act : un texte avant-gardiste et précurseur d’espoirs
L’obligation de déclaration et de transparence
Entré en vigueur en août 2024, l’IA Act apporte des solutions intéressantes confortant les droits de propriété intellectuelle, notamment en son article 53.
En effet, selon ce règlement, les déployeurs d’intelligence artificielle devront désormais respecter différentes obligations. Ils seront en effet dans l’obligation de « rendre public un résumé suffisamment détaillé » des contenus qu’ils utilisent pour l’entrainement de leurs algorithmes. Si cette formulation n’est pas, il faut l’avouer, la plus précise, cette disposition représente une avancée majeure dans la protection des droits d’auteur.
Ici, le cheminement serait in fine d’associer les titulaires de droit des contenus sur lesquelles l’IA s’est entrainé aux fruits des créations générés par celui ci. Cela devrait permettre de créer un droit à rémunération en faveur des titulaires des droits.
L’obligation de respect de la clause de l’opt-out
Par ailleurs, l’exception de fouille, issue de la Directive du 17 avril 2019 permettait à un système automatisé de fouiller des textes ou des données afin de dégager des informations. L’exception n’exclut pas que des copies ou des reproductions soient réalisées tant qu’elle est gouvernée par la seule finalité de dégager des informations et que les titulaires des droits sur les contenus ne s’y sont pas opposés. A ce titre, la SACEM a exercé son droit d’opposition sur tous ses répertoires, les œuvres musicales et les artistes qui y sont membres. Toutefois, dans la mesure où certaines sources permettent d’accéder à certains contenus de façon plus ou moins aisée, comment garantir que ce droit d’opposition soit effectivement respecté ?
Quelles perspectives pour l’avenir ?
L’intelligence artificielle est en train de devenir une composante incontournable de notre quotidien et le monde artistique devra vraisemblablement s’adapter à son intégration dans les processus créatifs. Ainsi, l’enjeu ne devrait pas être d’exclure l’IA de la création artistique, mais de concilier innovation et protection des œuvres existantes.
Il est donc fondamental de trouver un équilibre entre l’usage de l’intelligence artificielle et la protection des droits d’auteurs. Cet équilibre permettrait in fine de préserver la dimension humaine et émotionnelle de la création artistique tout en profitant des bénéfices de l’innovation.
Sources :