par Alexia RAMOS, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Les journaux « Le Figaro », « Le Monde », « Les Échos » ou encore « Le Parisien » ont annoncé qu’ils poursuivaient le réseau social X devant le tribunal judiciaire pour utilisation de leurs contenus sans rémunération en contrepartie.
L’introduction du droit voisin des éditeurs de presse face à la digitalisation
L’essor du marché numérique et de la presse en ligne a conduit à l’introduction d’un droit voisin du droit d’auteur par l’article 15 de la directive européenne du 17 avril 2019[1]. Il s’agit, pour les éditeurs de presse, d’un droit permettant d’autoriser ou d’interdire toutes communications au public, reproductions ou représentations des contenus de leurs publications. La directive protège la publication de presse dans son intégralité et confère à l’éditeur un droit exclusif sur son utilisation. Ce droit est opposable aux moteurs de recherche et autres services qui reprennent des contenus de presse, y compris les réseaux sociaux et les services accessibles gratuitement au public. Depuis, les éditeurs peuvent demander une rémunération pour la réutilisation de leurs contenus par les « géants du numérique » qui exploitent ces articles pour générer des revenus publicitaires sans verser de compensation aux auteurs.
Les tensions autour de l’application de ce droit ne sont pas nouvelles. En 2024[2], Google a été condamné à une amende de 250 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence pour avoir violé le droit voisin des éditeurs de presse. La plateforme générait des revenus indirects en référençant des articles sous forme de résumés, titres ou liens hypertextes, et monétisait la publicité générée sans autorisation. De plus, la patience de certains journaux français a atteint ses limites, et leur action en justice intervient six mois après que le juge des référés a enjoint X de leur transmettre, dans un délai de deux mois, des données commerciales afin évaluer les revenus qu’ils pourraient tirer de l’exploitation de leurs contenus. Cependant, la plateforme ne s’est toujours pas conformée à cette décision, ce qui, pourrait témoigner selon les éditeurs, « d’une volonté persistante de se soustraire à ses obligations légales ».
La lutte contre l’utilisation non rémunérée des titres de presse par les plateformes
En réponse à cette sanction, on se rappelle que Google a ajusté ses pratiques en décidant de ne plus afficher de « snippets » (liens et contenus associés) vers des articles sans l’accord des éditeurs. Selon Cédric O, « Google réalise un contournement légal de la loi », c’est une manière de s’adapter tout en minimisant l’impact économique. Cette décision a provoqué un débat entre les acteurs de l’écosystème numérique et les éditeurs de presse. D’un côté, certains éditeurs, comme Numerama, soutiennent que les plateformes contribuent à la visibilité des médias alors que les droits voisins favorisent une privatisation des contenus. Julien Cadot, journaliste, considère que Google, bien qu’il soit un « kiosque imparfait » joue un rôle bénéfique et « vertueux » pour la presse et demander une rémunération serait « absurde ». De l’autre, certaines figures comme Marc Feuillée[3] pointent du doigt la dépendance des éditeurs aux géants du numérique qui génèrent des milliards de visites mensuelles[4] ; elles sont devenues essentielles pour la publicité des articles. Pierre Louette[5] insiste sur le fait que les éditeurs sont piégés « Google nous propose une alternative entre nous amputer de notre trafic et nous amputer de notre droit ». Ce dilemme met en jeu l’équilibre entre la circulation libre de l’information et la nécessité de protéger les intérêts économiques des médias.
La convergence des réseaux sociaux met en péril le droit des éditeurs de presse
La bataille juridique menée par les éditeurs de presse contre les plateformes numériques dépasse la question de rémunération touchant l’avenir de l’information en ligne. Alors que les revenus publicitaires des médias traditionnels s’érodent au profit des géants du numérique, une rémunération équitable devient cruciale pour la presse. L’Alliance de la presse d’information générale souligne que « le respect des droits voisins représente un enjeu vital pour la survie et l’indépendance des médias d’information ». Cette crise est exacerbée par la convergence des médias qui a transformé le paysage de l’information, phénomène par lequel les différents types de médias fusionnent et interagissent grâce aux avancées technologiques. Aujourd’hui les plateformes jouent un rôle crucial dans la diffusion de l’information et sont désormais assimilées à des tiers à la communication en générant des profits du fait de l’utilisation des articles pour alimenter leurs services sans en être les propriétaires et sans verser de compensations aux véritables auteurs. Cette situation risque de conduire à une concentration du marché, où seuls les grands acteurs en tireraient profit, marginalisant les médias indépendants et réduisant la diversité de l’information.
Face à cela, l’Union européenne cherche à responsabiliser les plateformes, afin de préserver la diversité des voix dans l’espace public et de garantir la viabilité économique des médias. Ainsi, l’article 17 de la directive DAMUN[6] remet en cause le régime d’irresponsabilité des plateformes prévu par l’article 6 LCEN[7], en obligeant les plateformes obtenir l’autorisation des titulaires de droits pour diffuser les articles et rémunérer leur utilisation[8]. Cette mesure vise à mieux réguler la diffusion des contenus et à lutter contre la contrefaçon. En parallèle, les médias doivent diversifier leurs sources de financement (abonnements, contenus sponsorisés, partenariats) et envisager des accords de partage des revenus avec les plateformes. Cela permettrait de garantir une rémunération juste pour les titulaires de droits et d’organiser la publication des contenus, assurant ainsi la pérennité du journalisme de qualité et la diversité de l’information.
[1] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.
[2] Décision 24-D-03 du 15 mars 2024 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse.
[3] Vice-président de l’Alliance pour la presse d’information générale « Tout le monde sait très bien que dès qu’une URL n’est pas enrichie les liens sont moins cliqués. Moins vous avez de clics moins vous apparaissez dans les résultats de recherche de Google et donc au bout d’un moment vous disparaissez ».
[4] Google génère en Europe 8 milliards de visites mensuelles pour les sites de presse.
[5] PDG du groupe Les Echos-Le Parisien.
[6] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.
[7] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
[8] Content ID est un système d’empreinte de vidéos et de sons développé par Google qui est utilisé pour identifier et gérer les contenus sous licence sur Youtube. Il permet aux ayants droit d’une œuvre de bloquer son apparition dans des vidéos ou de monétiser ces apparitions.
Sources :
- France Info
- Le Monde
- Le Parisien
- Les Echos
- Loi LCEN du 21 juin 2004
- Directive DAMUN du 17 avril 2019