par Agathe LAMY, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
En septembre dernier, le Service d’Information du Gouvernement (SIG) a lancé un appel d’offres pour acquérir des outils permettant de surveiller et d’analyser les tendances sur les réseaux sociaux et les recherches en ligne effectuées sur le territoire. D’après le SIG, cette initiative vise à « détecter, analyser et mesurer les préoccupations et les attentes des internautes vis-à-vis de l’action du Gouvernement et de l’actualité en général ». Ces techniques, appelées « social listening » et « search listening », soulèvent une question chez de nombreux Français : le gouvernement nous surveille-t-il ?
L’appel d’offres, d’un montant estimé à 5 millions d’euros pour une durée de 4 ans, inclut plusieurs missions : mesurer en temps réel l’impact des contenus publics accessibles en ligne, suivre des dispositifs de communication, détecter des signaux faibles, ainsi que fournir des outils et études de social et search listening. Parmi ces missions, les inquiétudes portent sur une potentielle surveillance des recherches privées faites par les internautes sur les plateformes en ligne et sur l’atteinte aux droits et libertés que l’action par anticipation du gouvernement pourrait engendrer.
L’intérêt du gouvernement pour nos activités en ligne : une pratique préexistante
Le social listening et le search listening sont des méthodes que certains qualifient d’espionnage. Pourtant, le social listening effectué pour le compte de l’État n’est pas nouveau. L’État avait déjà mis en place cette mission en 2021. En revanche, le search listening est récent.
Pour le social listening, la nouveauté tient à l’utilisation de l’IA dans cette méthode. L’intégration de l’IA permettrait de détecter « les signaux faibles ». Ces signaux faibles sont des éléments de perception de l’environnement, qu’il s’agisse d’opportunités ou de menaces, qui doivent faire l’objet d’une écoute anticipative dans le but d’élaborer une stratégie de réponse. La veille du gouvernement et la détection de ces signaux faibles permettraient, en partie, de « savoir ce que pensent les Français », mais surtout de repérer en amont les fake news et les opérations d’astroturfing de manière efficace afin d’engendrer une réponse gouvernementale.
Pour l’ancien hacker éthique et chercheur en cybersécurité Baptiste Robert, il n’est pas étonnant de voir ce service recourir à ces pratiques. Il affirme d’ailleurs que « c’est une bonne chose que le gouvernement cherche à comprendre ce qui se passe ».
La véritable nouveauté de cet appel d’offres est le « search listening », qui vise à analyser « les mots-clés les plus spontanément recherchés par les internautes ». Cette analyse sera effectuée sur des plateformes telles que Google, TikTok ou YouTube. Le SIG précise qu’il cherche à analyser les tendances et non les individus, afin d’orienter sa communication. Ainsi, aucune surveillance individuelle ne serait effectuée. « Le but est simplement de prendre le pouls de la société française, comme tout gouvernement devrait le faire », indique une source gouvernementale auprès de la société Tech&Co.
Un traitement de données publiques soumis aux lois en vigueur
Le SIG affirme que seules des données publiques, c’est-à-dire accessibles à tous, seront utilisées. Il précise à L’Informé que « les données privées issues de groupes Facebook ou de comptes Instagram privés ne sont pas accessibles via ces outils et ne sont pas traitées ». Par conséquent, seules les informations volontairement rendues publiques par les internautes seront analysées.
S’agissant du search listening, il s’appuiera uniquement sur des tendances déjà rendues publiques par les plateformes, comme Google Trends pour les moteurs de recherche ou l’onglet « trending » de X pour les réseaux sociaux. Il ne s’agit donc pas d’examiner les recherches privées des Français, mais uniquement les tendances visibles sur ces plateformes. Il n’y a donc pas à craindre une atteinte à la vie privée par une surveillance individuelle.
Néanmoins, la CNIL rappelle que la notion de données publiques n’exclut pas celle d’informations à caractère personnel. Des données publiques peuvent également être des données à caractère personnel, voire des données sensibles, telles que les opinions politiques, qui sont normalement interdites de traitement. Cependant, en ce qui concerne les données sensibles, l’article 9 du RGPD autorise leur traitement si elles ont été « manifestement rendues publiques par la personne concernée ». Par conséquent, la collecte de données publiques, quelle que soit leur nature, est licite. Toutefois, les prestataires répondant à l’appel d’offres et le gouvernement devront respecter les droits et obligations prévus par le RGPD et la loi Informatique et Libertés.
Par ailleurs, le SIG a précisé que la collecte de données vise une analyse des tendances ; logiquement cela impliquerait peu de collecte de données personnelles fournies par les utilisateurs.