Au cours de l’été 2011, une polémique avait éclaté, opposant le site d’hébergement Hotfile à la société de production Warner Bros. Hotfile était déjà dans le collimateur de la MPAA (Motion Picture Association of America), une entité associative défendant les intérêts de l’industrie cinématographique américaine. Cette dernière accusait la plateforme d’hébergement de permettre « le vol des films et des productions télévisées protégés par le droit d’auteur, à une échelle stupéfiante ». Un système automatisé permettant le repérage et la suppression de contenus protégés par le droit d’auteur avait été mis à la disposition de la société Warner Bros. Cet outil permettait la suppression des contenus protégés qui pouvaient être déposés sur la plateforme d’hébergement sans autorisation du détenteur des droits. Cependant, usant de cet outil, la société Warner Bros a entrepris la suppression de contenus dont elle ne disposait pas des droits d’auteur. Et c’est suite à cela que la polémique a éclaté, se prolongeant par une instance judiciaire. En effet, Hotfile reprochait à Warner Bros d’abuser manifestement de cet outil automatisé de lutte contre le piratage d’œuvres protégées. Hotfile passe à l’étape supérieure en déposant, devant un tribunal de Floride, une plainte contre la société Warner Bros. Il est indiqué dans le dépôt de plainte que « Hotfile a la preuve que Warner Bros a utilisé un outil de lutte contre le piratage fourni par Hotfile, sur demande du studio, pour retirer sans autorisation des fichiers sur lesquels Warner ne possède aucun droit ». La plateforme d’hébergement reproche à la société de production d’avoir entrepris une suppression à grande échelle, sans vérifier si les contenus suspects lui appartenaient ou pas.
L’utilisation d’un outil informatique automatisé contre le téléchargement illégal
Face à la multiplication des actes de téléchargements illégaux d’œuvres protégées par le droit d’auteur, de nombreux moyens ont été imaginés afin de lutter contre cette nouvelle forme de banditisme. C’est ainsi que les innovations technologiques ont joué leur rôle dans cette lutte si chère aux sociétés de production et d’édition, lesquelles se plaignent en permanence de voir leurs contenus, dont elles sont les propriétaires, volés en toute impunité sur des plateformes de téléchargement. Hotfile fait partie de ces sites internet qui sont dans la ligne de mire directe des acteurs de la lutte contre le téléchargement illégal. C’est la raison pour laquelle le système automatisé précédemment évoqué a été mis à la disposition de la société Warner Bros afin de supprimer de Hotfile des fichiers audiovisuels mis à la disposition du public de façon illicite. Cependant, Warner Bros a outrepassé ses droits en supprimant de Hotfile des contenus qui ne lui appartenaient pas.
Warner Bros admet, devant le tribunal, avoir entrepris, grâce à l’outil automatisé mis à sa disposition, une suppression très élargie de fichiers, sans vérifier si elle en détenait les droits. Par exemple, un livre consacré aux traitements contre certains cancers, intitulé Cancer : out of the box, ainsi qu’un document audiovisuel de la BBC, The box that save Britain, ont été retirés de Hotfile par la société Warner Bros alors même que cette dernière ne détenait aucun droit sur ces œuvres. Si ces contenus ont été retirés, c’est parce que leurs intitulés contenaient l’association de mots « the box », laquelle fait directement référence au film The Box produit par Warner Bros. La grande société de production américaine a donc étendu son action d’une façon disproportionnée. En effet, l’outil automatisé permettant la suppression de contenus illicites fonctionne grâce à un système de repérage de mots clefs. La Warner Bros aurait dû, une fois les contenus suspects repérés, identifier ceux qui faisaient réellement l’objet d’un dépôt illicite sur la plateforme Hotfile et ceux dont elle ne détenait aucun droit. Cela n’a pas été fait par la société de production, laquelle estime qu’ « au regard du volume et du rythme des nouvelles infractions commises sur Hotfile, le studio ne peut pas dans les faits télécharger et vérifier le contenu de chaque fichier ». D’après la Warner Bros, le principal objectif de cette action est la lutte contre le téléchargement illégal d’œuvres protégées. Selon elle, le retrait de fichiers dont elle ne détenait pas les droits était non-intentionnel. Il faisait suite à une absence de vérification. La Warner Bros met ici en avant le fait que la lutte contre le piratage est une priorité sur toutes autres formes de revendication, ajoutant au passage que la plupart des fichiers qui ont été supprimés par erreur sont également des œuvres protégées par le droit d’auteur et par conséquent, Hotfile n’avait pas le droit d’en permettre le libre téléchargement. De ce fait, la Warner Bros estime que son acte ne peut être assimilé à une faute justifiant une poursuite judiciaire.
Pour sa défense, Warnos Bros invoque le fait que la loi américaine sur le retrait des contenus protégés par le droit d’auteur de 1998 – appelée DMDA (Digital Millennium Copyright Act) – ne réprime pas les suppressions abusives de contenus dans tous les cas. En effet, la personne qui demande à tort l’effacement d’un contenu ne sera pas sanctionnée. Il faut prouver que cette personne savait pertinemment que le contenu en question ne lui appartenait pas et qu’elle a malgré cela demandé le retrait. La Warner Bros indique qu’en utilisant un système automatisé pour supprimer de Hotfile les contenus lui appartenant, elle ne pouvait vérifier un par un tous les fichiers suspects, du fait du nombre exorbitant de contenus lui appartenant mis en téléchargement libre sur cette plateforme. Son acte n’est donc pas volontaire et ne peut donc être sanctionné.
Les dangers d’une utilisation aveugle d’un outil informatique automatisé
Ce qui est surprenant dans l’argument avancé par la Warner Bros, c’est que la loi permettrait une suppression sauvage. En effet, si la législation ne punit pas les erreurs de suppression, la Warner Bros est parfaitement dans son droit, alors même qu’elle n’a vérifié les contenus d’aucun fichier qu’elle a fait supprimer de Hotline. La loi ne devrait-elle pas obliger celui qui demande la suppression d’un fichier d’en vérifier le contenu afin de s’assurer qu’il relève bien de sa propriété ?
Cette affaire met bien en évidence les dangers d’une lutte beaucoup trop accrue sur le téléchargement illégal. Cela devient obsessionnel. Pourtant, avant même l’arrivée d’internet et des plateformes de téléchargement litigieuses, il existait les cassettes VHS enregistrables, les cassettes audio, les photocopieuses et autres outils qui permettaient la fabrication de contenus contrefaits. Il est vrai qu’aujourd’hui, le téléchargement illégal sur internet est d’une ampleur bien supérieure aux quelques milliers de reproductions audiovisuelles ou littéraires faites par les « pirates » de l’ancien temps. Le réel problème du téléchargement illégal, c’est le manque à gagner économique. En effet, la solution pour palier à ce problème avait été trouvée à l’époque des magnétoscopes et des walkmans en instituant une taxe sur les cassettes audio, les VHS, etc., permettant une rémunération forfaitaire des ayants-droits des œuvres susceptibles d’être reproduites sans accord par des particuliers. Cependant, au niveau d’internet, aucune taxe ne permet une telle compensation financière. Non pas parce qu’elle n’est pas voulue mais parce qu’elle est impossible à mettre en application. En effet, comment contrôler les millions et millions de flux qui transitent quotidiennement, à chaque heure, sur la toile ? Comment vérifier que tel utilisateur, détenteur de telle adresse IP, a téléchargé tel contenu, appartenant à telle société de production ? Cela relève de la science-fiction. Il semble donc que ceux qui œuvrent à la protection des droits d’auteur sur le net n’ont pas encore atteint le bout du tunnel. Le chemin est encore long.
Quand une solution est trouvée, comme celle de l’outil automatisé utilisé par la Warner Bros pour supprimer ses contenus sur Hotfile, celle-ci s’avère toujours mal adaptée. En effet, même s’il est vrai que la Warner Bros ne peut vérifier un à un les contenus suspects hébergés par Hotfile, elle ne peut pas non plus se livrer, comme elle l’a fait, à une suppression automatique de tous les contenus dont le titre ressemble, de près ou de loin, à celui d’une de ses œuvres protégées. On est en plein dans le problème du « deux poids deux mesures » : comment concilier la lutte contre le téléchargement illégal grâce à des outils automatisés, lesquels facilitent grandement la lourde tâche que ce problème représente, sans pour autant porter atteinte à la libre circulation d’autres fichiers sur les réseaux de téléchargement, comme des documents libres de droits ou dont les ayants-droits ont permis la mise en ligne ? C’est une question qui reste en suspend pour le moment, peut-être la justice américaine trouvera-t-elle une solution miracle.
Sources :
CHAMPEAU (G.), « Warner Bros defend le droit d’abuser de droits d’auteur qu’il n’a pas », numerama.com, mis en ligne le 12 février 2013, consulté le 26 février 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/25056-warner-bros-defend-le-droit-d-abuser-de-droits-d-auteur-qu-il-n-a-pas.html
GARDNER (E.), « Warner Bros. Defends Allegations Il Abused Anti-Piracy Tool », hollywoodreporter.com, mis en ligne le 8 février 2013, consulté le 26 février 2013, disponible sur : http://www.hollywoodreporter.com/thr-esq/warner-bros-defends-allegations-abused-419756
J. L. :
– « Warner Bros accusé de supprimer abusivement des fichiers sur Hotfile », numerama.com, mis en ligne le 29 juillet 2011, consulté le 26 février 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/19456-warner-bros-accuse-de-supprimer-abusivement-des-fichiers-sur-hotfile.html
– « Hotfile attaque Warner Bros pour fraude et abus de droit d’auteur », numerama.com, mis en ligne le 15 septembre 2011, consulté le 26 février 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/19819-hotfile-attaque-warner-bros-pour-fraude-et-abus-de-droit-d-auteur.html
– « Hotfile : Warner Bros a fait retirer des fichiers sans en détenir les droits », numerama.com, mis en ligne le 10 novembre 2011, consulté le 26 février 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/20534-hotfile-warner-bros-a-fait-retirer-des-fichiers-sans-en-detenir-les-droits.html