par Lina BLANCO BARON, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Une nouvelle action en justice met en demeure la startup d’IA Perplexity, accusée de produire de fausses informations portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle des entreprises de presse américaines.
Le 21 octobre 2024, les sociétés Dow Jones (actuel propriétaire du journal The Wall Street Journal) et la société New York Post, toutes deux appartenant au conglomérat de médias News Corp dirigé par Robert Thomson, ont déposé une plainte auprès du tribunal fédéral du district sud de New York. Les sociétés plaignantes demandent au tribunal d’interdire à Perplexity de « copier illégalement du contenu protégé par le droit d’auteur sans autorisation préalable des titulaires de droits.»
Fondée en 2022, Perplexity est une start-up d’intelligence artificielle générative. Cette plateforme est basée sur la forme d’un agent conversationnel en ligne capable de répondre avec précision aux questions formulées en langage naturel. Cette société a été accusée de fournir à ses utilisateurs des informations et des actualités précises sur une plateforme permettant aux utilisateurs de « sauter les liens » redirigeant vers les sites web des éditeurs d’origine. En utilisant une quantité massive de copies illégales d’œuvres protégées par le droit d’auteur sans autorisation, Perplexity serait soupçonnée de nuire au modèle économique des éditeurs en détournant leurs clients et leurs revenus.
L’exploitation illégitime et massive des contenus protégés : une menace pour la sauvegarde des droits d’auteur
Les demandeurs s’appuient sur la jurisprudence fédérale en matière de concurrence déloyale, et en particulier sur la théorie dite de la “misappropriation“, issue de l’arrêt International News Service vs Associated Press (1918). Cette théorie repose sur l’idée que l’appropriation et l’exploitation commerciale du travail d’autrui constituent un acte de concurrence déloyale lorsqu’elles privent la victime du bénéfice légitime de ses productions journalistiques. En droit français, cette théorie peut être rapprochée du parasitisme économique, défini comme le fait, pour une entreprise, de tirer profit de manière injustifiée des investissements, du savoir-faire ou des efforts d’une autre, sans contrepartie ni autorisation.
Une situation qualifiée par les médias journalistiques de “Kleptocratie du contenu”, concept décrivant l’appropriation non autorisée, souvent à grande échelle, des œuvres protégées par le droit d’auteur. Dans le contexte qui nous concerne, il s’agit de l’appropriation par les systèmes d’intelligence artificielle des œuvres journalistiques, à des fins d’exploitation commerciale, sans respecter les droits d’utilisation légitime.
Par ailleurs, les entreprises de presse soutiennent que le mode opératoire de la start-up Perplexity est contraire aux dispositions du Copyright Act (17 U.S.C.106) qui confère aux titulaires de droits d’auteur le droit exclusif de reproduire, de distribuer et de créer des œuvres dérivées. Les entreprises plaignantes font valoir que l’exploitation massive des œuvres protégées par le droit d’auteur crée un déséquilibre significatif. Selon le PDG de News Corp, il s’agit en plus d’une pratique illégale constituant un abus de propriété intellectuelle.
Cette problématique a même des implications plus larges. La fonction « Skip Links » de Perplexity détourne les revenus des détenteurs de droits en limitant le trafic vers leurs publications. Cette pratique porte atteinte au secteur de la presse en réduisant leur capacité à monétiser les contenus.
Ce litige n’est pas le seul mené par les grandes entreprises américaines du secteur de la presse. Le journal New York Times a initié une procédure judiciaire contre OpenAI et Microsoft, les accusant d’avoir utilisé son contenu journalistique pour entraîner leurs chatbots, ChatGPT et Copilot. Selon le journal, cette pratique nuit non seulement à ses relations avec les lecteurs, mais porte également atteinte de manière significative à ses revenus issus d’abonnements, licences, publicités et partenariats.
Néanmoins, le préjudice ne se limite pas à cet aspect. Les sociétés Dow Jones et New York Post ont également affirmé que Perplexity favorise la production d’hallucinations en mélangeant des faits réels à des paragraphes entièrement fictifs, tout en attribuant ces contenus erronés à des publications du New York Post.
Quelques mois auparavant, durant l’été 2024, deux grands médias américains, Forbes et Wired, avaient déjà engagé des actions en justice contre Perplexity en raison de résumés inexacts de leurs contenus.
De l’exploitation des œuvres protégées par le droit d’auteur à la dilution des marques : l’impact élargi de l’affaire Perplexity
La production d’hallucinations soulève de nouvelles problématiques, notamment dans le domaine des marques commerciales. En effet, le fait de présenter des informations authentiques mélangées à des faits fictifs, tout en les attribuant à des sources reconnues comme le New York Post, porte atteinte à la valeur de la marque. Cela injecte de l’incertitude et de la méfiance dans le processus de collecte et de publication des informations, tout en causant un préjudice direct au public consommateur d’information.
En termes juridiques, il s’agit de la dilution d’une marque commerciale. Cette notion fait référence à un concept qui protège les marques notoires ou renommées contre l’affaiblissement de leur caractère distinctif ou de leur réputation. Il convient de noter que les signes d’identification, comme la marque, permettent aux consommateurs de distinguer les entreprises, leurs produits ou leurs prestations.
Par conséquent, la dilution d’une marque est particulièrement préjudiciable, car elle peut compromettre sa fonction essentielle : garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine d’un produit ou service. Ainsi, en associant du contenu fabriqué aux marques d’éditeurs réputés, Perplexity sème la confusion parmi les lecteurs, risquant ainsi de porter atteinte à la valeur et à la réputation des marques établies de ces organes d’information.
Cette affaire soulève non seulement la question de la protection des droits d’auteur dans le cadre d’utilisation des systèmes d’Intelligence artificielle, mais elle a également des implications plus vastes. Les hallucinations générées par ces systèmes peuvent porter atteinte aux droits protégés par la propriété industrielle, notamment les marques. Un signal positif a toutefois été effectué par l’entreprise OpenIA, qui a promu l’intégrité et la créativité au sein du secteur de la presse par le biais d’accords commerciaux. Néanmoins, il demeure impératif de mettre en place des stratégies permettant d’atténuer les hallucinations produites par ces systèmes d’IA et, parallèlement, de renforcer la régulation de ces services innovants.
Sources:
- Wired. 2024. A lawsuit against Perplexity calls out fake news AI hallucinations. https://www.wired.com/story/dow-jones-new-york-post-sue-perplexity/
- Chmielewski, Dawn et Paul, Katie. 2024. Murdoch’s Dow Jones, New York Post sue Perplexity AI for “illegal” copying of content. https://www.reuters.com/legal/murdoch-firms-dow-jones-new-york-post-sue-perplexity-ai-2024-10-21/
- Copyright Act: https://www.copyright.gov/title17/title17.pdf
- Fauchoux, Vincent et Dutreil, Lou. 2024. L’affaire Dow Jones vs Perplexity : analyse du contentieux relatif à l’utilisation de contenus journalistiques par l’IA. https://www.ddg.fr/actualite/laffaire-dow-jones-vs-perplexity-analyse-du-contentieux-relatif-a-lutilisation-de-contenus-journalistiques-par-lia
- Bascou,Stéphanie. 2024.Copie illegale à grande échelle “kleptocratie du contenu” La start up d’IA Perplexity à nouveau attaqué en justice. https://www.01net.com/actualites/copie-illegale-a-grande-echelle-kleptocratie-du-contenu-la-start-up-dia-perplexity-a-nouveau-attaquee-en-justice.html