L’activité des avocats travaillant pour le malletier de luxe Louis Vuitton connaît depuis dix ans une croissance exponentielle.
Celle-ci s’explique par la prise de pouvoir de l’Internet et de l’e-commerce, lequel ne manque pas à différents niveaux de porter atteinte aux droits et intérêts des fabricants de manteaux en cachemire et autres sacs en peau de crocodile, notamment en participant de la diffusion de produits contrefaits. Aussi, si le groupe LVMH peut se targuer d’avoir fait condamner par le passé plusieurs acteurs du commerce en ligne – le site d’enchères en ligne Ebay notamment – la Cour de Cassation vient de lui infliger un camouflet patent dans une affaire qui le met aux prises avec Google.
Depuis plusieurs années désormais, il fait grief au moteur de recherche américain de vendre à des annonceurs les noms de ses marques en guise de mots-clés, ce qui constituerait le délit de contrefaçon puisque cela ne se fait sans aucun aval ni a fortiori rémunération des titulaires des droits. De plus, le programme adwords affiche en conséquence des liens vers des concurrents ou, pire, des sites proposant des produits issus du marché noir. Cela équivaudrait à des actes de concurrence déloyale.
Ce système – adwords – permet donc à Google d’obtenir des recettes substantielles en vendant à tous types d’annonceurs des mots-clés ; ces derniers, à hauteur des moyens qu’ils mettent en œuvre, se retrouvant alors associés – dans un espace réservé – aux résultats des recherches effectuées par les internautes. Cependant, dès lors que lesdits mots-clés correspondent à des marques sur lesquelles Google ne possède nul droit de propriété intellectuelle, se pose la question de la légalité d‘un tel référencement.
Le 28 juin 2006, la Cour d’Appel de Paris donna raison au malletier en condamnant le moteur de recherche pour publicité mensongère, contrefaçon de marque et concurrence déloyale. Elle expliquait ainsi que, les annonces étant présentées sous l’intitulé « liens commerciaux », était créée une réelle confusion dans l’esprit du public, tandis que n’avait jamais été recherché quels pouvaient être les droits des tiers sur les liens employés.
En outre, la firme de Mountain View se vit également condamnée dans des circonstances similaires et pour ces motifs lors de procès l’opposant aux sociétés Viaticum, Luteciel et CNRRH. La jurisprudence semblait donc se fixer.
Mais, après que pourvoi en cassation ait été formé, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) – statuant sur plusieurs questions préjudicielles émanant de la Cour de cassation – précisa sa position au sujet de ces enjeux le 23 mars 2010, permettant ainsi à cette dernière de se prononcer. Et c’est un affront patent que cette dernière inflige aux juges de second degré dans un arrêt rendu le 13 juillet dernier. En effet, elle ne retient pas moins de quatre moyens de cassation, annulant l’arrêt d’appel dans sa globalité.
On peut s’étonner de l’attitude de la haute Cour face à une motivation qui semblait convenablement ficelée ; d’autant qu’elle s’était jusqu’à présent montrée plutôt véhémente envers les multinationales – a fortiori si américaines – et conciliante à l’égard des sociétés françaises.
En réalité, elle ne pouvait guère opter pour un choix différent, pressée qu’elle était par la position de la CJUE. Celle-ci, en effet, démontrait en substance que si « le prestataire du service de référencement opère dans la vie des affaires lorsqu’il permet aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à des marques en tant que mots clés, stocke ces signes et affiche les annonces de ses clients à partir de ceux-ci, il n’en découle pas pour autant que ce prestataire fasse lui-même un usage de ces signes » au sens des textes faisant foi au niveau unioniste, soit la directive communautaire du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information dans le marché intérieur – en particulier le commerce électronique – ainsi que le règlement du 20 décembre 1993.
En premier lieu, les juges du droit estiment que la Cour d’Appel ne s’est pas expliquée de façon suffisante et satisfaisante – c’est-à-dire qu’il manquait de base légale – quant à la question de la compétence des juridictions françaises. Il est vrai que cette dernière s’était contentée d’affirmer qu’est « peu importante la langue dans laquelle les sites sont rédigés dès lors qu’ils reproduisent les produits argués de contrefaçon revêtus des marques en cause ». On le comprend, bien que le principe même de l’Internet soit de permettre l’accès aux sites du monde entier depuis le territoire national, dès lors que l’un d’eux ne prend pas la peine de proposer une version francophone, cela témoigne davantage d’une certaine indifférence que d’une volonté particulière de s’adresser au public français.
Puis, la censure est justifiée par le fait que, comme l’exprime la CJUE, le service de référencement ne pouvait être tenu responsable étant donné le fait qu’il « n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées » (voir pour une présentation complète de la problématique de la qualification d’hébergeur notre article sur le site http://fr.jurispedia.org/index.php/Projet:IREDIC). Pourtant, l’argumentation de la Cour d’Appel ne semblait pas attaquable tant il ressort du dossier et cela ne semble pas contestable que la société Google « ne se borne pas à stocker des informations publicitaires qui seraient fournies par des annonceurs mais elle déploie une activité de régie publicitaire, d’abord, en organisant la rédaction des annonces, en décidant de leur présentation et de leur emplacement, ensuite, en mettant à la disposition des annonceurs des outils informatiques destinés à modifier la rédaction de ces annonces ou la sélection des mots clés qui permettront de faire apparaître ces annonces lors de l’interrogation du moteur de recherche et, enfin, en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire “coût par clic maximum” pour améliorer la position de l’annonce ». On imagine ici que les juges de la haute Cour n’ont pu que se soumettre à la volonté de la Cour de Justice tant leur démonstration parait délicate ; d’autant plus qu’il s’agit d’une question qui aurait dû en toute logique, relever du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
En troisième lieu, toujours en s’appuyant sur la réponse européenne, les hauts magistrats contrent la condamnation pour contrefaçon de marques en avançant que « le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe ». On peut à nouveau se montrer dubitatif quant à l’interprétation des faits qui est effectuée puisque le système adwords non seulement emploie des noms protégés, mais également les copie, les imite et les utilise en vue de renvoyer les internautes en direction de sites dédiés expressément à la revente de produits contrefaits. Ces divers actions sont difficilement résumables à une simple opération de stockage.
Enfin, à propos de la question de la publicité trompeuse, la Cour rétorque que les juges du fond n’ont pas suffisamment justifié l’application de cette qualification alors qu’ils arguaient que la mention « liens commerciaux » est « trompeuse en elle-même, dès lors qu’elle laisse entendre que le site […] entretient des rapports commerciaux avec ceux qui apparaissent sous cette rubrique de sorte que, en l’espèce, le site de la société Louis Vuitton Malletier apparaît être […] en relation commerciale avec les sites litigieux dont le caractère publicitaire n’est pas contestable », ce qui laisse penser qu’ils proposent des produits authentiques.
Lors du retour en appel, Louis Vuitton s’arque boutera sans doute à un mince espoir : que soit démontré que le moteur de recherche, alors qu’il avait connaissance de l’activité illicite de certains annonceurs, n’a pas agi suffisamment promptement pour bloquer l’affichage des publicités. Le cas échéant, pourrait tomber une nouvelle condamnation, soutenue par des motifs différents.
On concevoit cependant aisément, au vu de la teneur de cet arrêt, que Google crie victoire avant même que l’affaire ne soit rejugée – ce qui devrait être le cas au cours du printemps 2011 – et parle d‘un « verdict sans équivoque ». Aussi la firme américaine vient-elle, le 14 septembre, de libéraliser totalement l’achat des noms de marques sur sa plateforme adwords ; cela au grand drame des ayants droit qui s’attendent à des lendemains difficiles face à des sites de commerce en ligne en tous genres, souvent contrôlés par des sociétés offshore et parfois sans scrupule aucun à l‘égard des titulaires de la propriété intellectuelle.
Trivialement, cette libéralisation signifie que, lorsque sera entré le nom d’une enseigne dans la barre de recherches, apparaîtront des résultats en lien direct avec ses principaux concurrents. On comprend que le bât puisse ici blesser.
Ce seront ces entreprises qu’il s’agira désormais de traduire en justice pour les avocats de Louis Vuitton. En effet, la Cour européenne, faisant dans la demi-mesure, précise néanmoins dans son arrêt du 23 mars que la contrefaçon est constituée « lorsque la publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ». L’enjeu sera donc de surveiller directement les publicités, comme sur les réseaux sociaux, ce qui n’est pas une mince affaire.
Jean de La Fontaine, avec une prégnance absolue, le pressentit dès le XVIIè siècle : qu‘il s‘agisse du loup ou de Google, « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Sources :
http://fr.jurispedia.org/index.php/Les_contrefa%C3%A7ons_de_marque_par_les_sites_de_vente_en_ligne_%28fr%29#L.27apart.C3.A9_:_l.27affaire_Google_.C2.AB_Adwords_.C2.BB_ou_les_cl.C3.A9s_du_dernier_acte_.3F
http://fr.jurispedia.org/index.php/Statut_juridique_des_sites_de_vid%C3%A9o_en_ligne_%28fr%29
Arrêt n° 862 du 13 juillet 2010 (06-20.230) – Cour de cassation – Chambre commerciale, financière et économique
Communiqué relatif aux arrêts rendus le 13 juillet 2010 par la Chambre commerciale et relatifs au système “Adwords” développé par Google
http://www.generation-nt.com/google-adwords-louis-vuitton-actualite-1051801.html
http://www.01net.com/editorial/519197/adwords-la-cour-de-cassation-annule-une-condamnation-de-google/
http://www.01net.com/editorial/520647/google-adwords-attention-a-la-liberalisation-des-marques/